
A l'issue des élections législatives du 22 janvier en Israël, le premier ministre sortant Benyamin Nétanyahou, bien qu'affaibli, reste le mieux placé pour former le prochain gouvernement. Selon les chiffres de la commission centrale électorale, qui portent sur 99,5 % des résultats, la coalition de droite et des religieux est à égalité avec le bloc du centre et de gauche. La liste commune formée par le Likoud de Benyamin Nétanyahou et le parti Israel Beitenou ("Israël, notre maison") de l'ultranationaliste Avigdor Lieberman ne remporte que 31 sièges, contre 42 dans le Parlement sortant.
Afin de former un gouvernement de coalition, le premier ministre sortant devra ainsi composer avec le parti centriste Yesh Atid ("Il y a un futur"), de Yaïr Lapid, surprise des législatives en Israël avec dix-neuf sièges, et avec ses "alliés naturels" : la Maison juive (la formation nationaliste religieuse représentant les colons : douze sièges), le parti ultra-orthodoxe séfarade Shass et l'autre parti religieux ashkénaze Judaïsme unifié de la Torah.
Elisabeth Marteu, chargée de cours à Sciences Po Paris et spécialiste des questions israélo-palestiniennes, revient sur les enseignements de ces élections israéliennes.
C'est une victoire pour le centre et notamment le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid ?
Le score de Yaïr Lapid est la grosse surprise de ces élections. Il remporte dix-neuf sièges, alors que les derniers sondages le créditaient de douze sièges. Il a siphonné les voix du parti centriste Kadima ("En avant") de Shaul Mofaz et du parti Hatnoua ("Le Mouvement") de Tzipi Livni, ancienne de Kadima. Son succès tient à ce qu'il a axé sa campagne sur les questions socio-économiques, avec une attention particulière pour la classe moyenne laïque avec le slogan du "partage du fardeau".
Il est le seul à avoir ciblé sa campagne sur le coût des orthodoxes [qui bénéficient notamment de nombreuses aides sociales] et des colonies. Il s'est positionné sur le clivage traditionnel entre laïcs et religieux et cela a fonctionné auprès de la classe moyenne laïque urbaine. D'ailleurs, il n'est pas exclu que Naftali Bennett, de Maison juive, s'entende avec lui sur une conscription élargie des religieux car, dès le début de la campagne, il a laissé peser un doute sur la question.

A la différence de Yaïr Lapid, la responsable du Parti travailliste, Shelly Yachimovich, avait un programme économique ambitieux, trop aux yeux de certains, mais elle n'a pas tenu un discours populiste. Elle a dit qu'elle ne voulait pas couper les vivres des colons. Elle a même déclaré que le Parti travailliste n'avait jamais été un parti de gauche, mais un parti centriste, ce qui lui a fait perdre une partie de l'électorat de gauche au profit du parti Meretz ("Energie"). Les travaillistes ont toutefois gagné deux sièges auprès de l'électorat du mouvement social de 2011 en mettant sur leur liste des anciens "Indignés", mais cela n'a pas suffi.
On observe que la force centriste en Israël est installée. On a vu émerger un centre en 2003 avec le Shinoui ("Changement") de "Tommy" Lapid [le père de Yaïr], puis en 2006-2006 avec Kadima. Les forces centristes sont importantes car les questions domestiques ont primé pendant cette élection, que ce soit les questions socio-économiques et la question identitaire du clivage entre laïcs et religieux.
Mais le parti de Yaïr Lapid peut également se révéler être un feu de paille et disparaître comme les autres partis centristes auparavant. Son problème est qu'il n'a aucune expérience politique et qu'il devra satisfaire son électorat tout en acceptant des compromis politiques.
Comment expliquer la déconvenue du premier ministre sortant Benyamin Nétanyahou dont l'alliance avec Israel Beitenou ne récolte que 31 sièges contre 42 dans le Parlement sortant ?
On sentait venir la déconvenue de l'alliance Likoud/Israël Beïtenou, d'une part car ils étaient au gouvernement et n'ont pas apporté de réponses aux questions socio-économiques. M. Nétanyahou est également rentré tard en campagne, car il a désiré rester au-dessus de la mélée avant de se rendre compte, trop tard, qu'il devait se positionner sur les questions centrales. Il ne s'est ainsi adressé aux colons que tard, alors que Naftali Bennett de Maison juive avait déjà capté cet électorat.

A en juger par l'émergence de nouvelles figures avec ces élections — Yaïr Lapid et les personnalités sur sa liste n'ayant aucune expérience politique ; les "Indignés" chez les travaillistes ; ou Naftali Bennett et les jeunes présents sur sa liste —, il semble que l'électorat israélien veuille évincer les vieux, dire à "Bibi" Nétanyahou que son règne est terminé. Ces nouveaux venus ne sont pas issus de l'appareil classique gouvernemental-militaire. Beaucoup viennent du privé.
On observe également une radicalisation de la droite, avec notamment le parti de Naftali Bennett et les autres partis religieux qui font mieux. M. Bennett revient à des scores dignes du parti religieux dans les années 1960. Il y a une partie de l'électorat Likoud qui n'a pas voulu voter pour l'alliance avec Israël Beïtenou du fait du côté laïcard d'Avigdor Lieberman. Cette droitisation se retrouve au sein même du Likoud, avec la montée en force des nationalistes religieux autour de Moshé Feiglin. Dan Meridor et Benny Begin ont même été évincé dès les primaires. Le processus d'entrisme de cette vieille garde pro-colon au sein du Likoud a porté ses fruits.
Quelle pourrait être l'approche du prochain gouvernement sur la question palestinienne ?
La question palestinienne n'a pas été présente dans l'élection. Seul le Meretz a fait campagne sur la relance du processus de paix et cela a porté ses fruits. Il a doublé ses voix, de 3 à 6 sièges, en mobilisant un électorat de gauche travailliste ou en remobilisant un électorat de gauche qui ne votait pas. Cela n'a en revanche pas été bénéfique pour Tzipi Livni, qui a également fait campagne sur ce thème. Cela fait longtemps que la question ne mobilise plus l'électorat.
Il demeure que les travaillistes, qui n'ont plus le privilège des questions socio-économiques, ont intérêt à se repositionner sur la question des frontières et la reconstruction d'un discours sur les questions internationales pour gagner en crédibilité. On peut douter de la capacité de Shelly Yachimovich à agir que les questions extérieures. Elle a révélé un certain manque de charisme et de vision internationale.
La droite a le discours le plus cohérent sur la question, avec la défense des colons. Elle est sur une ligne totalement décomplexée concernant l'occupation de la Cisjordanie. Cette question est centrale pour Naftali Bennett, dont le positionnement en faveur des colons et des colonies est clair. Il est en faveur de l'occupation de plus de 60 % de la Cisjordanie. Cette radicalisation de la droite, avec un bloc de colons qui se solidarise au sein du Likoud et de Maison juive, ne laisse rien présager de bon sur la question palestinienne.
Yaïr Lapid n'a pour sa part pas dévoilé sa position sur les questions territoriales. Il s'est dit en faveur d'une relance des négociations et veut couper les vivres des colonies. Mais ce n'est ni un forcené des négociations, ni une colombe. Il va devoir se révéler sur cette question, même si ça ne sera pas sa priorité s'il entre au gouvernement. Savoir où va Israël à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières seront les grands défis des années à venir.

Benyamin Nétanyahou a bien compris que le mandat qui a été donné par les électeurs au prochain gouvernement est, avant tout, de règler la question de la conscription des religieux et de prendre des mesures sur le logement et les entreprises en faveur de la classe moyenne. Il ne fera certainement rien pour s'engager sur le dossier palestinien. Déjà, lors de son discours à Bar Ilan en 2009, il s'était engagé en faveur d'une solution à deux Etats mais n'avait rien fait pendant son mandat.
La seule issue possible est un investissement du président américain Barack Obama dans son deuxième mandat, en faisant pression sur Nétanyahou pour éviter une plus grande fragilisation de l'Autorité palestinienne et assurer la survie de la solution à deux Etats. M. Obama est en position de force car Nétanyahou est affaibli.
Qu'en est-il de la question du nucléaire iranien et de frappes israéliennes contre l'Iran ?
La question iranienne a été complètement absente de la campagne car il n'y a pas de clivage politique ou partisan sur la question. Personne n'est contre des frappes sur l'Iran. Seules des divergences existent sur la question d'y aller seul ou avec les Etats-Unis. Les partis du centre comme celui de Yaïr Lapid estiment qu'il faut y aller avec les Etats-Unis. Les partis religieux n'ont quant à eux pas de position claire sur la question.
Le poste-clé de la défense ne devrait pas aller à Yaïr Lapid, qu'on donne davantage aux affaires étrangères ou à l'éducation, ni à Israel Beïtenou, qui pourrait avoir les finances, ni à Naftali Bennett, qui ne pousse pas à cela. Le poste devrait probablement aller à un membre du Likoud comme Moshé Yaalon ou, si Kadima entre dans la coalition, il pourrait être reproposé à Shaul Mofaz. Un doute subsiste autour d'Ehoud Barak qui n'est pas à exclure, bien qu'il ait dit vouloir se retirer. Ce sont des gens qui soutiendront Benyamin Nétanyahou sur la question iranienne.
C'est une autre question sur laquelle les Etats-Unis pourront jouer de leur influence. Pendant son premier mandat, Barack Obama ne voulait pas y aller. Désormais, il sait que les forces centristes sont puissantes et qu'elles ne voudront pas qu'Israël y aille seul. Le président américain pourra s'appuyer sur cela face à un Nétanyahou va-t-en-guerre.
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