
Le collectionneur d'art Cornelius Gurlitt est décédé mardi 6 mai. L'information a immédiatement fait la « Une » des principaux sites Internet des médias allemands. Pourtant il y a un an, personne ne connaissait cet homme de 81 ans qui vivait reclus dans un discret appartement munichois. Mais un article paru dans Focus le 3 novembre 2013 l'a rapidement rendu célèbre.
L'hebdomadaire révélait qu'à la suite d'un banal contrôle d'identité effectué en 2010 dans un train entre l'Allemagne et la Suisse, les douanes avaient découvert – et saisi – en 2012 à son domicile munichois plus de 1 406 toiles parmi lesquelles des Chagall, des Matisse, des Picasso…, dont la valeur globale pourrait atteindre 1 milliard d'euros.
En février 2014, nouvelle révélation : dans une maison située à Salzbourg (Autriche) et lui appartenant, ce sont cette fois 238 toiles dont 39 peintures à l'huile et des aquarelles de Monet (Waterloo Bridge, temps gris), Corot, Renoir, Manet, Courbet (Portrait de M. Jean Journet), Pissarro, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Liebermann, Cézanne et Nolde qui sont retrouvées.
ŒUVRES « DÉGÉNÉRÉES »
Cornelius Gurlitt n'a pas acquis ces toiles. Il les a héritées de son père, Hildebrand Gurlitt (1895-1956) un célèbre galeriste et marchand d'art impliqué dans la vente des œuvres « dégénérées » au bénéfice du IIIe Reich et dans les trafics de tableaux à Paris durant l'Occupation. Celui-ci avait prétendu que les tableaux qu'il possédait avaient été détruits dans les bombardements de Dresde en février 1945. Il n'en était rien.
La découverte du « trésor Gurlitt » a braqué les projecteurs sur un personnage balzacien. Un vieil homme qui vivait à l'écart du monde, ne bénéficiant d'aucune couverture sociale et dont la seule richesse, les tableaux hérités de son père, voisinait dans l'appartement avec des détritus remontant à plusieurs années. Surtout, cette découverte, qui a eu un énorme retentissement aux Etats-Unis, a relancé le débat sur la restitution des œuvres d'art volées ou achetées à vil prix par les autorités nazies.
Après avoir été soupçonnées de vouloir étouffer l'affaire, les autorités allemandes – qui n'avaient pas rendu publique leur découverte de 2012 – ont chargé des experts d'identifier la provenance de ces œuvres. Un site Internet a été ouvert pour l'occasion. Opéré du cœur en début d'année, Cornelius Gurlitt réclamait à la fois la récupération de ces œuvres mais laissait ses avocats indiquer qu'il était prêt à restituer les œuvres dont les experts avaient pu, de manière incontestable, déclarer qu'elles étaient issues de spoliation.
Il y a quelques semaines, les experts évaluaient à 590 le nombre de toiles qui auraient pu appartenir à des familles juives, alors que les avocats de Cornelius Gurlitt parlaient, eux, de « 40 à 50 toiles », voire moins. Cornelius Gurlitt n'avait semble-t-il pas d'héritier. « Je n'ai rien aimé de plus dans ma vie que mes tableaux » a-t-il expliqué fin 2013 au Spiegel dans le seul entretien qu'il n'ait jamais accordé. Son décès met fin aux enquêtes mais ne lève évidemment pas tout le mystère. Son père ayant réparti ses tableaux dans six dépôts, rien ne prouve que tous aient été retrouvés.
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