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Denis Charbit : « Benyamin Netanyahou préfère que le Hamas reste au pouvoir »

RONEN ZVULUN/REUTERS

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Alors que la droite radicale israélienne pousse à l'éradication du Hamas de la bande de Gaza, Benyamin Netanyahou a hésité à riposter. Le sociologue israélien Denis Charbit nous explique les enjeux souterrains du conflit.


Denis Charbit est sociologue de la société israélienne et a participé à l'ouvrage Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (Albin Michel, 2013). Il vit en Israël depuis 40 ans.


Figarovox: L'escalade se poursuit entre Israël et le Hamas. Alors que des dizaines de roquettes ont visé Jérusalem et Tel-Aviv mardi, l'aviation israélienne a mené 160 raids de représailles sur le territoire palestinien et on dénombre déjà des dizaines de victimes côté palestinien. Bien que sous la pression de son aile droite qui prône une éradication du Hamas, Benyamin Netanyahou, pourtant tenant d'une ligne dure, a hésité à riposter. Comment l'expliquez-vous?

Denis Charbit : L'aile droite est dans son rôle. Mais je pense que son attitude sert Benyamin Netanyahou. Cela lui permet de se recentrer.

Concernant la Hamas, si en 2009 durant l'opération Plomb durci, le gouvernement israélien avait pu concevoir son éradication totale pour laisser le Fatah prendre les devants, cette fois-ci ce scénario est totalement exclu. Lorsqu'on lit la carte régionale, on s'aperçoit que le radicalisme islamiste a le vent en poupe et s'installe en Syrie et en Irak. Dans ces conditions, Benyamin Netanyahou, même si il ne le dira pas à haute voix, pense qu'il est préférable que le Hamas soit maintenu au pouvoir. Le but est d'éviter l'émergence d'un djihadisme de type Al-Qaïda dans la bande de Gaza. Le gouvernement est d'autant plus favorable au maintien du Hamas que

Benyamin Netanyahou, même si il ne le dira pas à haute voix, pense qu'il est préférable que le Hamas soit maintenu au pouvoir. Le but est d'éviter l'émergence d'un djihadisme de type Al-Qaïda dans la bande de Gaza.

l'Egypte a cessé toute alliance avec lui. Il n'y a donc plus le risque d'un front Hamas/frères musulmans.

Néanmoins, l'Etat israélien entend frapper la capacité militaire du Hamas qui, s'il se révèle politiquement et économiquement plus faible, semble avoir perfectionné sa force de frappe. La portée des missiles du Hamas a augmenté puisque ces derniers ont été en mesure d'atteindre non seulement Tel Aviv, mais aussi pour la première fois Jérusalem. C'est quelque chose de totalement nouveau qui a un impact sur la population. Certes, les gens sont allés au travail ce matin, mais les enfants qui sont dispersés dans les colonies de vacances vont pour la plupart rester à la maison. Lorsque la sirène est en action, la population a une minute et demie pour identifier un endroit protégé et s'y réfugier. La «bonne nouvelle», c'est que les roquettes sont fabriquées localement et donc de moins bonne qualité que celles produites et envoyées par l'Iran. Cela expliquerait que les cibles ne sont pas atteintes outre le fait qu'Israël a depuis 2009 développé la technologie défensive du dôme d'acier qui permet d'intercepter les frappes.

On compte déjà des victimes civiles du côté palestinien, l'opération «bordure de protection» va-t-elle ressembler à l'opération «plomb durci» en 2009 qui avait été très critiquée par la communauté internationale?

Incontestablement, cette nouvelle opération va servir de test. Aujourd'hui, une opération militaire est jugée selon deux paramètres. Le premier paramètre est juridique. Est-ce qu'Israël a le droit de riposter? Est-ce qu'elle est en état de légitime défense? Elle l'était en 2008-2009 puisque c'est le Hamas qui avait pris l'initiative de ne pas reconduire le cessez-le-feu. Elle l'est également aujourd'hui. La Maison Blanche a publié un communiqué qui le confirme. Benyamin Netanyahou a été extrêmement habile. Pendant quarante-huit heures, il n'a cessé de répéter en Anglais et en Hébreux que contre le silence des roquettes, le Hamas obtiendrait le silence d'Israël. Il a délibérément attendu pour répondre au premier critère de légitime défense.

Le deuxième critère porte sur la méthode. Ce qui a été critiqué en 2009 n'est pas tant le fait d'avoir attaqué que la méthode employée qui visait à épargner au maximum l'armée israélienne quitte à faire des victimes civiles du côté palestinien. Mon sentiment est que cette fois Israël va tenir compte de ce deuxième critère malgré les difficultés concrètes qui se posent sur le terrain. Contrairement à la guerre de 1948 ou celle des six jours, les combats n'opposent plus des armées régulières dans un no man's land inhabité: les civils limitent la liberté de manœuvre de l'armée israélienne d'autant plus que le Hamas reste inséré dans la population gazaoui et n'hésite pas à se servir de cette dernière comme d'un bouclier humain.

Il est exclu qu'Israël occupe la bande de Gaza. En revanche, il peut y avoir une opération commando ciblée pour toucher des leaders précis. L'armée israélienne devra alors prendre plus de risque. C'est quelque chose que le gouvernement aura néanmoins beaucoup de mal à assumer devant l'opinion.

Pourquoi le Hamas a-t-il pris le risque d'attaquer maintenant alors qu'il semble affaibli?

L'attitude du Hamas est, en effet, très surprenante. Il s'agit peut-être d'un baroud d‘honneur. Le Hamas a attaqué Tel Aviv et Jérusalem dès le premier jour. Habituellement de telles cibles sont visées à la fin et non au début d'une confrontation. Frapper la capitale aura forcément un retentissement mondial. Le Hamas a donc déjà sa «photo finish» et il se pourrait qu'il abandonne les frappes très vite devant le mécontentement dans la population de Gaza. Israël serait ainsi frustré d'une riposte d'envergure et le Hamas aurait réussi un coup médiatique. Mais, il n'est pas exclu non plus qu'il y ait une escalade dans la violence et que des armes plus sophistiquées de fabrication iranienne soient utilisées par la suite.

Une partie de l'opinion israélienne reproche à Netanyahou son relatif attentisme et certains observateurs disent le Premier ministre déstabilisé par des mouvements d'extrême droite. Est-on en train d'assister à «un virage à droite» de la société israélienne?

On parle souvent pour la France d'une parole raciste et antisémite libérée. On assiste au même phénomène en Israël à travers les réseaux sociaux qui permettent un défoulement de l'opinion et génèrent une radicalité effrayante. La question est de savoir si ce défouloir est une catharsis qui permet de purger les passions ou si cela créer un climat qui autorise au passage à l'acte? Ce qui s'est passé avec l'assassinat du jeune palestinien, c'est effectivement le passage à l'acte.

On parle souvent pour la France d'une parole raciste et antisémite libérée. On assiste au même phénomène en Israël à travers les réseaux sociaux qui permettent un défoulement de l'opinion et génèrent une radicalité effrayante.

Mais, l'expression virage à droite n'est pas exacte. De manière continue, quel que soit le degré de violence, 60% des israéliens sont disposés à la création d'un Etat palestinien à côté d'Israël. Et même le Premier ministre reconnaît cet objectif du bout des lèvres. La majorité de la population reste donc malgré tout modérée. En revanche, il y a une méfiance qui s'est installées à cause de l'échec du retrait de la bande de Gaza en 2005. Israël avait espérer en obtenir un gain en sécurité. Or le résultat a été exactement inverse. D'un territoire où Israël se retire, l'insécurité croît et d'un territoire sur lequel elle exerce sa domination, l'insécurité diminue. Si les choses se faisait de manière rationnelle, c'est en Cisjordanie, qu'Israël occupe toujours, que la tension devrait monter, et c'est à Gaza qu'elle devrait retomber. Ce n'est pas le cas. On comprend aussi pourquoi. La présence partielle d'Israël en Cisjordanie lui permet d'avoir des indications militaires plus facilement et donc d'exercer un contrôle. Après l'enlèvement des trois jeunes étudiants juifs, Israël a procédé à l'arrestation des principaux leaders du Hamas en Cisjordanie. Dans la bande de Gaza, il faudrait procéder à un bombardement ou dépêcher un commando spécial. Depuis son retrait de ce territoire, Israël en est à la troisième opération militaire. Et tout le monde attend déjà la quatrième. Plus personne n'a d'espoir de transformation politique radicale.

Un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien demeure-t-il, malgré tout, possible?

L'option de la négociation comme celle de la lutte armée sont pour le moment stériles. 60% des palestiniens comme 60% des israéliens souhaitent la création de deux Etats. Pourtant cette majorité ne se traduit jamais politiquement. Cela s'explique par trois facteurs de longue durée. Premièrement, cela est lié à l'exigüité du

60% des palestiniens comme 60% des israéliens souhaitent la création de deux Etats. Pourtant cette majorité ne se traduit jamais politiquement.

territoire. De la Méditerranée au Jourdain, celui-ci ne représente que 25000 km2 ce qui équivaut à l'Hérault couplé aux Alpes-Maritimes. Si les Palestiniens acceptent un Etat à côté d'Israël, ils devront se contenter de 5000 km2, c'est-à-dire 22% de leurs ambitions initiales. Deuxièmement, les Israéliens comme les Palestiniens sont convaincus de défendre une cause morale et juste. Troisièmement, ni les Israéliens, ni les Palestinien ne reconnaissent une véritable légitimité à «celui d'en face». Quand j'interroge des Palestiniens sur la légitimité qu'ils reconnaissent à Israël d'exister, ils ne se cachent pas. Pour eux, l'Etat juif est tout au plus un colonialisme qui a réussi. 60 % des Palestiniens sont prêts à se résigner devant la force qui leur est opposée, mais ne reconnaissent pas pour autant le droit des juifs à être là. De même, beaucoup de juifs pensent que la nation palestinienne est «une création de toute pièce» destinée à détruire Israël. Ils ne conçoivent pas qu'il y a une légitimité en droit et non en fait à ce que les Palestiniens puissent disposer d'un Etat au nom de l'existence d'un peuple palestinien.

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