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Pendant la trêve entre Israël et le Hamas, dans les décombres de Chajaya

Crédits: CYRILLE LOUIS / LE FIGARO

REPORTAGE - Plusieurs dizaines de corps ont été découverts samedi dans ce quartier de Gaza ravagé depuis une semaine par de violents affrontements entre l'armée israélienne et les combattants du Hamas.

De notre envoyé spécial dans la bande de Gaza

«Shahid! Shahid!» Perchés sur la montagne de décombres qu'ils fouillent à la main depuis plusieurs heures, quatre Palestiniens se redressent soudain pour appeler des renforts. Ils pensent avoir localisé l'un des dix «martyrs» enfouis ici, sous des tonnes de béton, depuis le dimanche 20 juillet à l'aube. Selon Issam al-Helou, un proche parent, c'est une famille entière qui a été tuée par une frappe de l'aviation israélienne. Il y avait Djihad le patriarche, sa femme Siham et ses deux fils. L'un d'eux avait trois enfants dont deux jumeaux âgés de cinq mois, Karam et Kareem. Une dizaine de jeunes hommes arrivent aussitôt pour prêter main-forte, ainsi que deux secouristes professionnels. Au bout de quelques minutes, ces derniers affirment qu'il s'agit d'une fausse alerte. Les autres redoublent d'ardeur - non par espoir de trouver des survivants mais parce qu'ils sont décidés à exhumer les corps de leurs proches avant la fin du cessez-le-feu.

Après dix-huit jours de guerre, la journée de samedi avait pourtant commencé sous le signe de la résurrection. Dès huit heures du matin (heure locale), à l'entrée en vigueur de la trêve décidée par Israël et le Hamas, des milliers d'habitants avaient réinvesti les rues de Gaza désertées depuis le début du conflit. De longues files d'attente s'étaient formées devant les banques, des carrioles chargées de légumes se bousculaient au marché et les embouteillages habituels s'étaient reconstitués en un clin d'œil. Sur les trottoirs de la place principale, les marchands de babioles étalaient leurs sacs à dos Pokémon et les articles d'artisanat destinés à d'improbables touristes. Pour la première fois depuis que quatre enfants ont été tués sur la plage par des tirs israéliens, le 16 juillet dernier, quelques pêcheurs s'étaient même aventurés à jeter leurs filets à la mer.

Au même moment, une tout autre atmosphère régnait à l'entrée de Chajaya. Ce quartier populaire, situé à l'est de la ville de Gaza et décrit par les stratèges israéliens comme un bastion du Hamas, est depuis une semaine le théâtre de violents combats. Ils ont débuté le week-end dernier par un déluge d'artillerie qui a tué plus de soixante Palestiniens. Treize soldats israéliens ont été tués dans ces combats. Après une brève trêve décrétée dimanche dernier mais vite rompue, les affrontements ont repris et se sont poursuivis à huis clos jusqu'à ce que les belligérants acceptent, dans la nuit de vendredi à samedi, un cessez-le-feu de douze heures.

Au cœur de Chajaya, samedi. Crédits: CYRILLE LOUIS / LE FIGARO

Tout au long de la matinée, des milliers de Palestiniens ont convergé en longues files silencieuses pour mesurer l'étendue des dégâts et, dans la mesure du possible, récupérer quelques effets au milieu des décombres. Beaucoup ont les yeux rougis, une femme hurle de désespoir. Les immeubles détruits se font plus nombreux à mesure qu'on progresse en direction de la clôture qui sépare la bande de Gaza de l'État hébreu. La rue de Bagdad, d'où l'on aperçoit au loin les nuages de poussière soulevés par deux tanks israéliens, semble avoir été dévastée par un tremblement de terre. Certaines maisons se sont écroulées comme des mille-feuilles, d'autres ont simplement été réduites en miettes. Des arbres, des plaques de tôle et des fragments de parpaings jonchent la chaussée. Les lignes électriques, arrachées, pendent piteusement des pylônes.

« Nous n'avons que peu de temps avant le retour des tanks israéliens »

Ahmed Abou Eisheh

Une odeur pestilentielle se répand soudain. Au bout d'une ruelle, un homme en état de choc fait de grands gestes pour attirer les passants. Dans les enclos à bestiaux qui se succèdent à droite et à gauche, plusieurs dizaines de vaches gisent à terre, les membres désarticulés. Elles semblent avoir été emportées par d'atroces convulsions. «Ces bêtes ont été tuées dimanche par les bombardements israéliens, après que j'ai essayé en vain de les faire sortir d'ici en brandissant un drapeau blanc, raconte Mohamed Abou Ajwa, 32 ans. Au total, mes frères et moi avons perdu près de 200 vaches et une grande quantité de matériel.»

Crédits: CYRILLE LOUIS / LE FIGARO

Rue Beltaji, une forte odeur de brûlé supplante celle des bêtes en décomposition. Quelques flammes lèchent encore l'intérieur d'une usine de plastique dont les façades sont noircies. Au pied d'un immeuble dévasté, des adolescents chargent à la hâte des matelas à l'arrière d'une camionnette. «La guerre n'est pas finie, croit savoir Ahmed Abou Eisheh, et nous n'avons que peu de temps avant le retour des tanks israéliens.» Partout, ce qui reste de ce quartier raconte la violence des affrontements qui s'y sont déroulés. Des trous de toutes les tailles percent les murs et ajourent les façades. Les épaves de deux ambulances dévastées par des tirs stationnent l'une derrière l'autre. Assis sur le trottoir, Moayin al-Eijla peine à détacher son regard embué du bâtiment qui, il y a peu, abritait son épicerie. «Ils ont tout détruit, soupire-t-il. J'avais ici pour un demi-million de dollars de marchandises.»

Crédits: CYRILLE LOUIS / LE FIGARO

Si les dégâts matériels sont immenses, les habitants de la bande de Gaza en étaient encore, samedi, à compter leurs morts. Cent trente cadavres ont été découverts dont plusieurs dizaines à Chajaya, selon le ministère palestinien de la Santé. Des bulldozers continuaient de fouiller les ruines aux quatre coins de Chajaya. Peu avant dix-sept heures, les recherches menées pour retrouver la famille al-Helou ont d'ailleurs fini par aboutir. Un par un, dix corps ont été extraits des décombres à l'endroit où se trouvait la salle à manger familiale jusqu'à sa destruction par une bombe israélienne. «Il est vraiment temps que cette guerre s'arrête», implorait Issam al-Helou.

Rue Mansour, tous les édifices ont été dévastés à l'exception notable de la mosquée Ahmed Yassine, ainsi dénommée en référence au cheikh tétraplégique qui fonda le Hamas et en fut le chef spirituel jusqu'à son assassinat par l'armée israélienne, le 22 mars 2004. Occupé à charger des affaires dans un camion, Mahmoud Obeh refusait cependant de se laisser abattre. «Nous continuerons de résister tant qu'il le faudra et Nétanyahou finira bien par être vaincu», assurait-il. D'autres voix, plus nombreuses, réclamaient la fin de cette guerre et le retour au calme.

Pendant la trêve entre Israël et le Hamas, dans les décombres de Chajaya

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