France

Dissoudre la Ligue de défense juive? Pourquoi pas, mais si on le fait bien

Il n'y a pas d'obstacle juridique à la dissolution de la LDJ. Faut-il pour autant le faire?

Photo prise en novembre 2012 à Paris. AFP PHOTO / THOMAS SAMSON
Photo prise en novembre 2012 à Paris. AFP PHOTO / THOMAS SAMSON

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Selon Libération, la dissolution de la Ligue de défense juive serait à l’ordre du jour. Cette prérogative de l’Etat d’exclure une formation de l’espace public a souvent été employée par vagues, avec des interdictions frappant divers groupuscules dans le même temps. La dernière vague, en 2013, a été consécutive de la mort du jeune militant antifa Clément Méric, mais elle visait en fait avant tout à rappeler l’autorité et la légitimité de l’Etat, à la suite des débordements physiques et verbaux factieux constatés aux marges des manifestations contre le Mariage pour tous.

Un an après, cette proclamation d’autorité n’a pas porté ses fruits, puisque des milliers de personnes peuvent défiler lors de manifestations non-autorisées.

Si les vagues de dissolutions sont généralement dédiées à un espace politique spécifique (par exemple les gauchistes en 1968, l’extrême droite radicale en 2013), elles peuvent aussi frapper plusieurs bords concomitamment (ainsi en 1973 la trotskyste Ligue communiste et le néofasciste Ordre nouveau). 

La légalité des mouvements est généralement préférable

Une potentielle dissolution de la LDJ ne signifierait donc nullement, comme ses porte-parole l’affirment, que l’Etat a choisi un camp, mais, bien au contraire, qu’il rappelle sa capacité répressive aux divers protagonistes des actuels excès.

Concernant la LDJ, il n’y a pas d’obstacle juridique à sa dissolution. Cette milice d’extrême droite voit tant ses idées que ses actions pouvoir être des causes de dissolution. Est-il pour autant utile de la dissoudre? C’est là un point qui relève moins du droit stricto sensu que de technique du maintien de l’ordre.

La légalité des mouvements est généralement préférable, car elle permet une meilleure surveillance policière. Par ailleurs, toute organisation implique une hiérarchie, donc des batailles de leadership, qui occupent les activistes d’une façon utile pour le maintien de l’ordre. 

En outre, les meilleurs cadres radicaux finissent bien souvent par se lasser de l’agitation groupusculaire et intègrent des formations offrant une plus grande surface sociale. Il y a là un phénomène d’embourgeoisement également utile à l’ordre public.

En revanche, les dissolutions sont certes très contrariantes et contraignantes, mais elles n’empêchent ni les reconstitutions ni l’activité politique. Preuve en est: dans l’organisation de la campagne 2017 de Marine Le Pen se retrouve un ancien néonazi membre d’un groupe ayant été interdit trois fois pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

Enfin, les dissolutions peuvent entraîner un plus grand trouble à l’ordre public que l’existence des structures, avec des militants qui se radicalisent en même temps qu’ils échappent désormais au contrôle social d’une organisation.

Nécessaire, mais pas suffisant

En définitive, la dissolution est donc une arme juridique dont l’Etat se doit de disposer, mais, quoique nécessaire, elle n’est pas suffisante.

Lors des débats de l’été 2013 sur l’opportunité de dissoudre des mouvements néo-fascistes, les chercheurs qui composent aujourd’hui l’Observatoire des radicalités politiques avaient tous signifié que la dissolution était une mesure peu efficace (voir ici ce qu’en disait Jean-Yves Camus, ce que j’en écrivais).

Néanmoins, une fois prise la décision de l’Etat, il nous avait semblé, à l’historien Stéphane François et moi-même, que, quitte à dissoudre, il fallait le «faire bien». Autrement dit, si la dissolution en-soi d’un groupuscule n’a pas forcément grand intérêt, il importait d’intégrer cette action à un programme général que nous avions exposé dans Le Monde du 11 juillet 2013. Cette tribune avait fort inquiété quelques esprits, d’autant que par le truchement de l’imaginaire obsidional, je me retrouvais promu sur des sites d’extrême droite «proche conseiller» de Manuel Valls et prétendu membre du Parti socialiste...

Alors qu’une dissolution de la LDJ est possible, et n’ayant de sens que si elle constitue également un avertissement aux groupements qui défient des interdictions de manifester, il me semble que l’analyse et les propositions alors faites demeurent d’actualité, avec ce mérite qu’en ces temps d’hystérie autour du Moyen-Orient on ne saurait ainsi les accuser d’être une réaction guidée par une quelconque position quant à celui-ci.

Ce qui valait pour les uns, vaut encore pour les autres, ce qui vaut pour l’extrême droite juive ou islamophobe vaut pour les extrémistes antisionistes ou antisémites.

La dissolution de l'Etat

On trouvait d’ailleurs dans notre texte mention des Indigènes de la République, aujourd’hui actifs dans les manifestations anti-israéliennes, et réflexion sur une possible dissolution de la LDJ. Cela me semble souligner que nous demeurons dans un problème global, qui ne relève ni du conjoncturel , ni ne se limite à des «communautés» (ce ne sont pas des «communautés» qui s’opposent, mais des communautaristes qui instrumentalisent un conflit, comme l’exposait déjà Jean-Yves Camus en 2005). 

En fait, il s’agit moins de réponses à la dissolution de groupuscules qu’à celle de l’Etat, tel que nous l’exposions l’an passé:

«… la seule interdiction de structures n’est pas en mesure de résoudre l’affaiblissement de la communauté républicaine. La contestation des valeurs égalitaires, une altérophobie tantôt antisémite tantôt islamophobe, tantôt les deux, sont des dynamiques sociales puissamment à l’œuvre. Celles-ci réclament une politique globale alliant répression des troubles à l’ordre public et réintégration sociale des agents de déstabilisation de l’ordre républicain. (…)

La République doit faire savoir sa fermeté par l’instauration de peines planchers, de privation de droits civiques pour ceux qui menacent son contrat social, que ce soit pour incitation à la haine, violence, discrimination en raison de l’ethnie, la confession, le genre, la nationalité, l’orientation sexuelle ou pour détournement de fonds publics. On ne pourra pas faire reculer l’adhésion aux thèses d’extrême droite en faisant l’économie de la répression d’une corruption qui menace autant le pacte républicain que le racisme. Cette privation de droits civiques est certes insignifiante pour le skinhead, mais des élus et hommes de médias devraient être ainsi plus soucieux des conséquences de leur discours. (…)

La manifestation projetée un temps par Riposte laïque et Résistance républicaine contre "les islamo-racailles" et les "antifas", les défilés des Indigènes de la République faisant l’apologie de groupes terroristes, relèvent de l’agitation factieuse permanente qu’assurent ces structures depuis plusieurs années. S’il faut dissoudre, alors il importe autant de frapper des groupes qui se livrent à la violence, comme la Ligue de défense juive, que ceux qui construisent socialement cette violence. (…)

Le dépôt de plainte pour incitation à la haine ne doit plus être le fait sporadique d’associations: l’Etat doit systématiquement rappeler à l’ordre républicain ceux qui s’en écartent. Cela passe peut-être par un dispositif voué à ce fait, comme cela existe en Allemagne, et non sans penser également à l’exemple du Pôle financier: l’instauration d’une structure permanente de veille et saisine du juge quant aux infractions aux principes fondamentaux de la République. En ce qui concerne des ressortissants étrangers condamnés pour de tels faits, la procédure d’expulsion reste la plus adéquate.

Cela signifie enfin un travail d’intégration des citoyens aux normes républicaines. (…) Les cours d’éducation civique doivent devenir effectifs. Matière sans épreuve au baccalauréat, les heures qui lui sont dévolues sont dans les faits utilisées pour tenter d’absorber le pléthorique programme d’histoire-géographie. Ce dernier doit justement être repensé non pour imposer un savoir officiel, mais réintroduire du commun: tout le long du cursus scolaire, instaurons un cours d’histoire-géographie de la France, venant compléter le cours général actuel et instituant un socle culturel commun.

Posons-nous enfin la question de savoir si la défiance à l’égard des élites et l’exutoire xénophobe ne tient pas aussi au fait que près d’un cinquième des électeurs ne voit pas son vote traduit dans la représentation politique. Intégrons donc aussi ceux qui votent à l’extrême droite. Il nous faut soit une part de députés élue à la proportionnelle, soit, mieux encore, un Sénat élu au suffrage universel direct. Plutôt que d’instaurer un cordon sanitaire autour des hommes et des femmes et d’ouvrir toutes les fenêtres à leurs idées, faisons l’inverse: assurons à ceux qui jouent le jeu des institutions que leur propos peut venir s’exprimer dans les instances législatives, refusons toute compromission idéologique. Ne nous contentons pas de la facilité qui consiste à ostraciser des groupes marginaux: mettons-nous nous-mêmes en cause, pour fabriquer du commun

 

 

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