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Gaza: Netanyahou subit les évènements et n’a aucune stratégie

Le gouvernement israélien a sous-estimé la capacité de résistance du Hamas et a sans cesse hésité entre ménager les dirigeants du mouvement islamiste pour conserver un interlocuteur et le détruire militairement.

Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse le 6 août 2014 à Jérusalem. REUTERS
Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse le 6 août 2014 à Jérusalem. REUTERS

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La guerre avec Gaza n’est pas encore formellement finie que déjà les analystes cherchent à tirer des conclusions et que les critiques commencent fuser. L’offensive limitée lancée par Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, contre Gaza avait plusieurs objectifs: détruire et désorganiser la force militaire du Hamas, monter la population civile contre un régime qui avait montré un début de faiblesse en raison d’une situation économique difficile, et briser le pacte naissant de réunification entre le Fatah et  le Hamas.

Les résultats n’ont pas été au rendez-vous. Il semble que le gouvernement israélien ait sous-estimé les islamistes.

Les non choix militaires

Des doutes commencent à s’exprimer de la part des militaires. Certes ils ont détruit des infrastructures militaires, «essentiellement des pierres» se plaignent certains; certes les images de destructions d’habitations civiles ont fait le tour des rédactions. Mais ils ne sont pas convaincus d’avoir détruit tous les tunnels et ils reconnaissent à voix haute que des surprises dramatiques sont à attendre dans ce domaine. Certes des roquettes ont été détruites dans leurs hangars ou en vol, mais 3.000 roquettes et missiles sont encore en état de fonctionnement sachant par ailleurs que la plupart des fusées à longue portée ont été utilisées avec parcimonie par le Hamas, comme s’il les réservait pour le grand jour de la conflagration finale.

Les analystes stratégiques sont à présent convaincus que la force militaire humaine islamiste a résisté aux coups de l’armée et de l’aviation parce qu’elle s’est bien protégée contrairement aux populations civiles.

En revanche, Ismaël Haniyeh peut se prévaloir d’une victoire politique car, grâce au déclenchement des hostilités, il a réussi à rapprocher les factions palestiniennes en plaçant le Hamas à la tête des combats.

Israël a sous-estimé le Hamas qui a réussi à agréger autour de lui tous les Palestiniens prêts à en découdre

 

Le gouvernement israélien pensait que le Hamas avait un genou à terre puisqu’il ne disposait plus des fonds et des armes en provenance d’Iran, que le soutien de l’Egypte avait été perdu avec la destruction des tunnels et qu’ostensiblement l’Arabie saoudite avait fait front commun avec Israël. Mais, le Hamas n’a pas été pris par surprise et était bien préparé lors de l’offensive de Tsahal. Il l’a d’ailleurs prouvé en infligeant des pertes relativement élevées à l'armée israélienne, 64 officiers et soldats, à la suite notamment de plusieurs embuscades.

Le groupe terroriste a été stimulé par les combats et a réussi à agréger autour de lui tous les Palestiniens prêts à en découdre.

Ceux de Cisjordanie, qualifiés de plus modérés, ont été contraints de suivre le Hamas en appuyant la voie militaire après les manifestations de sa jeunesse contre la police israélienne. Le Hamas a ainsi réussi en quelques semaines à réduire l’écart dans les divergences entre les deux clans palestiniens ce qui a poussé les négociateurs palestiniens au Caire à manifester plus d’intransigeance.

Ménager les dirigeants du Hamas

Le Hamas a alors mis la barre très haut pour accepter un accord de cessez-le-feu de longue durée: fin du siège de Gaza avec la réouverture des points de passage israéliens et égyptiens, construction d’un aéroport et d’un port maritime, libération des prisonniers, élargissement des zones de pêche et enfin reconstruction de la ville de Gaza au frais des donateurs occidentaux.

Certains diplomates israéliens ont critiqué à la télévision la publicité faite ouvertement au soutien égyptien et saoudien qui a mis ces deux pays en porte-à-faux face à leur opinion publique. D’ailleurs la presse égyptienne s’en est donnée à cœur joie.

Le journaliste Abdallah El-Senawi du journal Shorouk a exprimé ses réserves:

«En toute honnêteté, un coup terrible a été porté à la réputation du nouveau président égyptien. La scène régionale en général, et l’Egypte en particulier, semblent faibles dans leur solidarité avec le calvaire de Gaza.»

Mais les critiques à peine voilées des militaires israéliens se font pressantes à présent. Ils ne cachent pas leur mauvaise humeur parce qu’ils estiment qu’ils «n’ont pas fini le travail à Gaza». Ils ont accepté de mauvaise grâce l’ordre imposé par l’échelon politique de ménager les dirigeants islamistes parce qu’ils sont les seuls avec qui Israël peut parler de paix ou de guerre.

Al-Sissi voulait pousser Mohamed Dahlan, un choix écarté par Abbas qui craignait un redoutable concurrent

 

Les militaires avaient dans leurs cartons un projet qui avait reçu l’aval égyptien et qui a été soumis à Mahmoud Abbas par le président Al-Sissi.

Il s’agissait de permettre à Mohammed Dahlan, l’ancien chef de la sécurité palestinienne, d’avoir les mains libres pour entrer à Gaza avec ses 3.000 miliciens formés par la CIA en Jordanie et par le Mossad. Al-Sissi avait une préférence pour son homme fort palestinien, le seul capable de remettre de l’ordre à Gaza –d’où il a été évincé à l’arrivée du Hamas parce qu’il ne disposait pas suffisamment de troupes du Fatah bien armées et en nombre. Mais le chef de l’Autorité palestinienne s’est opposé au souhait égyptien car il ne tenait pas à faire la courte échelle à un concurrent redoutable qui lorgne depuis quelques mois sur son poste.

A défaut de Mohamed Dahlan, les dirigeants égyptiens auraient misé, selon certaines indiscrétions sécuritaires, sur la chute rapide du régime islamiste de Gaza ou pour le moins sur une défaite cuisante de l’aile militaire du Hamas.

Ils auraient d’ailleurs transmis à Israël un message secret le 9 août faisant part de leur déception qu’Israël «n’ait pas frappé assez fort le Hamas». Le général Al-Sissi accusait l’aile militaire du Hamas, les brigades Ezzedine Al-Qassam, d’être à l’origine des blocages dans les négociations alors qu’ils auraient dû être contraints à la soumission par une défaite. D’ailleurs, ils ne sont pas surpris de voir le Hamas et le djihad islamique renaître de leurs cendres au point d’imposer la reprise des tirs de roquette sur le sud d’Israël. Tsahal estime que les cessez-le-feu humanitaires permettent aux dirigeants du Hamas, en sortant victorieux de leurs blockhaus en toute sécurité, de revigorer leurs troupes.

Retournement de l'opinion israélienne

Durant la guerre de Gaza, les sondages donnaient à Netanyahou plus de 80% d’opinions favorables pour sa conduite du conflit. Mais il semble qu’il y ait un retournement de l’opinion sous les effets des critiques de plus en plus fréquentes des militaires de réserve intervenant à la télévision.

Le gouvernement est accusé d’avoir hésité sur la conduite à adopter, laissant au Hamas l’initiative de la guerre d’usure qu’il compte mener contre Israël. Le pays ne peut supporter une désorganisation de l’économie pendant plusieurs semaines sans  hypothéquer la patience de la population. Le gouvernement aura aussi du mal à contenir la mauvaise humeur des villageois du sud qui ont opté depuis longtemps pour l’éradication du Hamas, seule condition pour eux de retrouver une vie normale.

Certains généraux de réserve ayant occupé des postes prestigieux n’hésitent plus à condamner l’indécision du Premier ministre. Ils rappellent d’ailleurs la période qui avait précédé la Guerre de Six-Jours durant laquelle le Premier ministre Levi Eshkol avait fait preuve des mêmes hésitations au grand dam du chef d’état-major de l’époque, Yitzhak Rabin.

Ces généraux pressent l’échelon politique de donner l’ordre à l’armée d’entrer plus en profondeur à Gaza, à la recherche des terroristes terrés dans les abris et des dirigeants islamistes qui continuent à distribuer leurs ordres en toute impunité. Ils sont convaincus que seule une défaite claire du Hamas pourrait redonner une aura à l’Autorité palestinienne qui lui permettra de diriger seule les négociations pour une fin définitive des hostilités.

Le plan de la gauche israélienne

La gauche prône de son côté un courage politique qui devrait se concrétiser par la rédaction d’un projet précis de paix que le gouvernement présenterait aux Palestiniens avec un règlement détaillé des frontières, un plan d’évacuation de certaines implantations non stratégiques éparpillées de l’autre côté du mur de séparation et la création d’un corridor réunissant la Cisjordanie à Gaza.

Les Palestiniens seraient mis au pied du mur en étant contraints de se prononcer sur le projet ou de l’amender à leur guise.

L’opposition pense que c’est le seul moyen pour Israël de reprendre l’initiative politique et de reconquérir l’opinion internationale qui pour l’instant, en raison de l’étendue des dégâts et des morts civils à Gaza, prend fait et cause pour les Palestiniens.

Mais il ne semble pas que Benjamin Netanyahou prenne le chemin d'une initiative diplomatique qui changerait la donne. Il continue à subir les évènements.    

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