Israël, discrète tête de pont des produits numériques dans le monde arabe

Israël, discrète tête de pont des produits numériques dans le monde arabe

Sans le savoir, le Moyen-Orient vit peut-être à l’e-heure de l’Etat hébreu : faute de contenus suffisants en langue arabe, les start-up d’Arabes israéliens réussissent à attirer incognito de nombreux internautes.

Par Marie-Françoise Lantieri
· Publié le · Mis à jour le
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Capture d'cran de la home de Panet, le 8 septembre 2014
Capture d’écran de la home de Panet, le 8 septembre 2014 - Panet.co.il

Panet est un portail internet de divertissement en langue arabe qui propose une sélection de séries, films, dessins animés, recettes de cuisine mais aussi de la musique, des news... Il bénéficie d’une popularité record au Moyen-Orient : plus de 1 600 000 visiteurs par jour.

Rien de très particulier, si ce n’est que ce site est israélien. Or, plus de la moitié de ses utilisateurs vivent bien loin de Jérusalem, principalement en Jordanie ou en Egypte, des pays peu réputés pour leur amitié envers l’Etat hébreu. Le contenu du site, créé par un Arabe israélien, s’adressait à l’origine aux Arabes du pays. Le siège social de la société se situe à quelques kilomètres de Tel-Aviv.

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Made in Israel, mais chut !

Sites de cuisine ou de musique orientale, contenus éducatifs, plateformes interactives ou de partage de contenus, applications pour smartphones, sélection de films doublés en arabe, jusqu’aux applications pour restaurateurs... Le Moyen-Orient vit sans le savoir à l’e-heure de Tel-Aviv. Ou plutôt de Nazareth. Car ces innovations sont le fait d’Arabes israéliens, dont la plupart vivent dans la ville de Joseph. On y assiste depuis peu à la création en série de start-up spécialisées dans les contenus numériques en langue arabe et à l’attention des pays voisins.

Incognito bien sûr. Pas question d’être estampillé « israéliens » par leurs clients. Ce qui n’est pas très compliqué, les internautes se préoccupant rarement de la provenance du service qu’ils utilisent.

Pourquoi un tel succès ? La raison est simple et se résume à quelques chiffres :

  • le monde arabe comprend 100 millions d’internautes et trois fois plus d’utilisateurs de mobiles ;
  • or, seul 1% des contenus du Web sont en arabe.

Un mauvais score qui pénaliserait les populations mais également les économies arabes, selon l’ONU. Commentaire de Zuhear Butto, président de Ahlannet, une start-up nazaréenne :

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« Imaginez-vous vivre sans e-booking, sans Yahoo ! , sans Amazon et vous aurez conscience de notre situation : un véritable désert numérique. Ces services en ligne n’existent pas en arabe. Pour réserver votre billet d’avion, si vous ne maîtrisez pas l’anglais, il faut passer par une agence de voyage. »

Sa société, Ahlannet, vient de créer un réseau social en arabe, dénommé Fostuq.

« C’est surtout très difficile de trouver de bons contenus en arabe. »

D’où une demande énorme et qui devrait exploser dans les années à venir.

Un effet Printemps arabe

L’attrait pour Internet et les réseaux sociaux a connu une croissance record depuis les Printemps arabes. Il y a dix ans, seul 10% de la population des pays arabes surfait sur le Web. Un chiffre qui s’élève aujourd’hui à 50% et pourrait atteindre rapidement 80%. Car le monde arabe est jeune, très jeune : environ 63% de ceux qui y vivront en 2020 auront entre 15 et 59 ans. « On espère plus de 413 millions d’internautes en 2015 “, dit Zuhear Butto.

Or, les Arabes israéliens sont parmi les mieux placés pour s’emparer de ce marché : ils baignent dans l’environnement high-tech du pays et sont boostés par des investisseurs de tout bord.

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L’évolution est récente. Cette minorité a longtemps végété à l’écart du miracle économique de la nation start-up. Elle représente environ 20% de la population d’Israël (soit 1,7 million) et n’intervient que pour 8% de l’économie du pays. Seuls 20% des Arabes possédant un diplôme supérieur scientifique travaillent dans leur domaine de compétence.

Plusieurs études récentes ont révélé que le maintien des minorités arabes mais aussi religieuses hors du système économique national pourrait être responsable d’une baisse de croissance de 1,3% par an. Du coup, les gouvernants s’en sont émus.

Lors d’une conférence sur l’entrepreneuriat à l’université de Tel-Aviv en octobre dernier, Naftali Bennett, ministre de l’Economie, reconnaissait lui-même :

‘Les choses sont plus dures pour les jeunes Arabes que pour les jeunes juifs. On ne peut pas le nier, il y a de la discrimination.’

Les billes du gouvernement israélien

Cette communauté souffre également de deux handicaps importants :

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  • la barrière de la langue,
  • le manque de réseau.

Plusieurs initiatives ont vu le jour, associant argent privé et public. Al Bawader est un fonds d’investissement créé en 2012 pour financer les start-up arabes, avec un focus sur celles qui proposent des contenus numériques. Il est financé à hauteur de 40% par le gouvernement.

Fadi Swidan, responsable de Naztech
Fadi Swidan, responsable de Naztech - UK Israel Tech Hub

Naztech, un accélérateur et incubateur d’entreprises high-tech a été fondé la même année. L’Etat y met aussi des billes à travers le Economic Council for Arab Sector Development, une structure dépendant du ministère de la Justice. Fadi Swidan, responsable du programme incubateur de Naztech, explique :

‘Nous accompagnons des jeunes entrepreneurs arabes. Nous complétons leur formation, les mettons en relation avec de nombreux partenaires et les aidons à trouver des financeurs pour développer leur entreprise.’

Bader, un des poulains de Naztech, s’intéresse aux contenus éducatifs en arabe pour smartphones et tablettes. Sa start-up a créé quatre applications.

‘L’objectif est de développer les compétences créative et entrepreneuriale des enfants.’

Le succès est important – 30 000 utilisateurs pour chacune – et les clients, principalement saoudiens. Le téléchargement se fait à partir de l’Apple Store, et personne ne sait d’où vient l’application. Zuhear Butto compte, lui, déléguer la gestion de la publicité sur son nouveau site à Google. Les utilisateurs régleront à travers le système PayPal.

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Transférer son siège pour avancer masqué

Mais les soutiens viennent aussi de l’étranger. Le vivier de Nazareth n’est pas passé inaperçu auprès des Anglais, qui comptent bien utiliser les Arabes israéliens comme tête de pont de la high-tech vers le grand Moyen-Orient.

Lors de la visite en Israël de David Cameron en 2011, un accord a été conclu avec Benyamin Netanyahou pour la création d’un programme pilote de partenariat technologique entre les deux pays. Parmi les priorités de ce UK Israel Tech Hub, qui dépend de l’ambassade d’Angleterre à Tel-Aviv : les contenus numériques en arabe.

Dona Haj Mana?a
Dona Haj Mana”a - UK Israel Tech Hub

“Aujourd’hui la plupart des contenus de qualité viennent d’Israël. Cela représente environ 10% du total, mais dans cinq ans, ce sera cinq fois plus”, explique Dona Haj Mana’a, responsable du programme UK Israel Tech Hub dénommé “Go Global” lancé en février 2014. 

Six start-up ont été sélectionnées dans les domaines suivants : e-booking, santé, contenus éducatifs, vidéo. Elles ont bénéficié d’un accompagnement ciblé de plusieurs mois qui s’est soldé par un voyage à Londres il y a quelques jours pour rencontrer des investisseurs. Dona Haj Mana’a :

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“Il s’agit de la première initiative de ce genre. Un véritable succès. Plusieurs jeunes entrepreneurs sont déjà en discussion avec des investisseurs anglais.”
Speed dating au UK Israel Tech Hub de Londres
Speed dating au UK Israel Tech Hub de Londres - UK Israel Tech Hub

Ce type de partenariat présente également l’avantage de permettre à ces compagnies israéliennes d’avancer masquées. Bader :

“Je suis en train de transférer mon siège social à Londres. Ce qui ne m’empêchera pas de garder mon bureau à Nazareth, et de travailler avec les programmateurs de Ramallah, qui facturent beaucoup moins cher leurs services.”

Une astuce assez classique pour contourner l’embargo. Et qu’utilisent sans complexe certains pays arabes. Dubaï et le Qatar viennent d’ouvrir plusieurs bureaux à Ramallah. Leur objectif : repérer les start-up israélo-arabes les plus prometteuses, leur proposer un financement mais à condition qu’elles déménagent leur siège social à Aman ou Doha.

Marie-Françoise Lantieri
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