Un musée de la vie plutôt que de la tragédie
"Il le fallait ce musée, je suis très fière qu'il soit enfin là, à Varsovie." Agée de 84 ans, Liliana Alter est tout émue. Cette rescapée de l'Holocauste a fait le voyage depuis Paris pour l'inauguration du Musée de l'histoire des Juifs de Pologne, qui a été inauguré ce mardi. Mais il suscite déjà des débats. Reportage sur place de Valérie Woyno.
- Publié le 29-10-2014 à 20h40
- Mis à jour le 29-10-2014 à 23h04

"Il le fallait ce musée, je suis très fière qu'il soit enfin là, à Varsovie." Agée de 84 ans, Liliana Alter est tout émue. Cette rescapée de l'Holocauste a fait le voyage depuis Paris pour l'inauguration du Musée de l'histoire des Juifs de Pologne, qui a été inauguré ce mardi en présence des Présidents polonais et israélien. C'est la première fois que Liliana remet le pied dans son pays natal depuis qu'elle l'a quitté en 1946. "Heureusement, c'est un tout autre musée que les autres musées sur les Juifs. Yad Vashem est un lieu de martyr et de tragédie. Le musée de Varsovie montre le passé millénaire et regarde vers l'avenir", poursuit cette femme sauvée par une famille catholique, les Studnicki, qui l'ont sortie du ghetto et cachée jusqu'à la fin de la guerre.
"Ce n'est pas un musée de l'Holocauste. C'est un musée de la vie", a souligné le président israélien Reuven Rivlin, un musée qui "retrace tout ce qui a été et qui ne le sera plus jamais mais qui fait naître l'espoir d'un autre avenir".
C'était l'objectif de ses auteurs. "Nous avons voulu montrer la vie des Juifs pendant mille ans avec une fin brutale et douloureuse et non tout juste cinq ans de l'Holocauste", a expliqué Dorota Keller-Zalewska, vice-directrice du musée.
Une controverse sur le sens du musée
Ce fut d'ailleurs le reproche principal de certains milieux juifs dans le monde qui voulaient voir à Varsovie un autre musée de l'Holocauste, renforçant l'image de la Pologne, où les Allemands ont exterminé 90 % de la population juive, comme le plus vaste cimetière de cette communauté.
Les financements collectés auprès de la diaspora pour l'installation de l'exposition ont eu du mal à affluer et la création du musée a pris vingt ans. La ville de Varsovie et l'Etat ont déboursé 43 millions d'euros, soit plus de la moitié du budget total, en finançant le magnifique bâtiment de l'architecte finlandais Rainer Mahlamäki.
Le musée s'appelle "Polin" qui, en hébreu, signifie Pologne. Selon une légende du XIIIe siècle, les Juifs venus dans le pays auraient entendu une voix leur intimant de "se reposer ici" et ils y sont restés. Chassés d'Espagne et d'autres pays d'Europe, à la fin du XVIIIe siècle, ils étaient 750 000 à vivre en Pologne, puis 3,3 millions avant la Seconde Guerre mondiale. Varsovie était la plus grande communauté juive en Europe et la seconde au monde après New York.
"Désormais ce musée servira de nouveau point de départ aux jeunes Juifs pour visiter le pays de leurs ancêtres. Ils ne commenceront plus leurs visites au camp de la mort d'Auschwitz", espère Zygmunt Rolat, l'un des donateurs, membre de la communauté juive new-yorkaise. Jusqu'à présent, ces jeunes ne voyaient que des camps d'extermination.
Le musée ne satisfera pas tout le monde, ses auteurs en sont conscients. Pour certains, l'antisémitisme d'avant-guerre n'a pas été montré dans ses justes proportions. Pour d'autres, la façon dont est évoqué le rôle des communistes juifs dans l'appareil de répression communiste à l'époque stalinienne, et leur rôle dans les persécutions des membres de la Résistance polonaise antinazie et antisoviétique, est inadéquate. "L'idéologie nationaliste et antisémite d'avant-guerre est tout juste esquissée", déplore le directeur de l'Institut historique juif de Varsovie, Pawel Spiewak. Le journal conservateur "Rzeczpospolita" en revanche se dit agréablement surpris de voir que le musée a su éviter des "simplifications montrant les Polonais comme une majorité persécutrice, souillée par des cas de collaboration avec des occupants allemands".