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Israël : «L'irresponsabilité du gouvernement Netanyahou explique le regain de tensions»

Les forces anti-émeutes israéliennes repoussent des manifestants, le 9 novembre. Ariel Schalit/AP

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Alors que deux israéliens ont été tués ce lundi dans des attaques au couteau par des Palestiniens, de nombreux observateurs redoutent une troisième Intifada. Le décryptage du politologue Denis Charbit.


Denis Charbit est politologue, spécialiste de la société israélienne et a participé à l'ouvrage Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (Albin Michel, 2013). Il vit en Israël depuis 40 ans.


FigaroVox: Après le meurtre de deux israéliens, à quelques heures d'intervalle à Tel-Aviv, certains observateurs redoutent une troisième Intifada. La menace vous paraît-elle sérieuse?

Denis CHARBIT: La question revient à chaque fois qu'on observe un regain de tension depuis la Première et la Seconde Intifada, en 1987 puis en 2000. Dans le cas présent, cette vague de violence s'inscrit dans la durée, et remonte au début du mois d'octobre. Auparavant, l'opération Bordure protectrice, en juillet, avait détourné l'attention vers Gaza.

Aucun parti, aucune organisation n'a intérêt, pour l'instant, à ce que la situation dégénère.

La menace n'est pas encore très sérieuse, mais elle a tout de même déjà modifié les habitudes des locaux, en particulier à Jérusalem. La terreur ne se mesure pas au nombre de morts, mais à la modification qu'on introduit dans sa vie ordinaire dans ce qu'elle a de plus banal: ainsi, les gens changent leur itinéraire habituel pour se rendre au travail, évitent de prendre les transports en commun dans la mesure du possible, et les parents demandent à leurs enfants de ne pas sortir le soir. On constate un climat d'incertitude général, qui n'a certes pas l'ampleur atteinte lorsque des roquettes frappaient quotidiennement Israël, mais qui impose tout de même certaines précautions.

Pour l'instant, personne ne peut prévoir l'évolution du mouvement. Dans le passé, les intifada furent déclenchées à partir d'initiatives locales, non planifiées, qui s'étaient propagées et reproduites dans l'ensemble du pays. Les partis politiques et les organisations comme le Fatah et le Hamas ont alors été obligés de prendre le train en marche, et ont cherché à en prendre le contrôle.

Depuis fin août, Mahmoud Abbas est convaincu que la voie de la négociation avec Benyamin Netanyahou est une impasse. Il s'est donc lancé dans une bataille diplomatique visant à faire voter par le Conseil de sécurité de l'ONU la fin de l'occupation des territoires palestiniens. Or, si la situation devient explosive, Israël pourra prétendre que Tsahal est le seul moyen de garder le contrôle de territoires sous pression: voter pour la fin de l'occupation ouvrirait alors la porte au chaos. Mahmoud Abbas préfère donc un calme relatif, seul espoir pour convaincre Barack Obama de le soutenir - espoir timide, il faut le dire.

Le Hamas, quant à lui, se concentre sur la reconstruction de la bande de Gaza. Il se tient sur ses gardes, en attendant, mais n'a pas montré de signe d'hostilité depuis la fin de la guerre.

En somme, aucun parti, aucune organisation n'a intérêt, pour l'instant, à ce que la situation dégénère. De plus, on ne peut pas encore parler d'intifada, dans la mesure où les actes de violence restent sporadiques et limités. Tout dépend de l'évolution de la situation.

Assiste-t-on aux répercussions de la guerre de Gaza en juillet dernier?

Deux erreurs, récemment commises par le gouvernement qui frise l'irresponsabilité peuvent expliquer ce regain de tensions.

Pas directement. Les violences ne sont pas politiques, mais spontanées. Elles ne sont pas causées par un refus, par exemple, des conséquences de la guerre. Toutefois, l'opération à Gaza a permis de rétablir la place centrale occupée par la cause palestinienne dans les médias et les préoccupations des citoyens, place qu'elle avait perdu depuis les Printemps arabes. L'attention étant retombée depuis la fin des hostilités, ils vivent mal cette mise à l'écart, et se sentent oubliés face à d'autres crises, comme en Syrie ou en Irak, d'où le recours à la violence.

Toutefois, les actes de violence n'ont pour le moment pas été revendiqués par le Fatah ou le Hamas. Ces derniers ne veulent pas laisser la situation leur échapper, et souhaiteraient, sans le dire, que les violences s'estompent. Ils préfèrent donc temporiser, attendre de voir si les tensions s'allègeront ou au contraire exploseront.

Pourquoi les violences interviennent-elles maintenant, alors qu'à l'époque, la Cisjordanie était restée relativement calme?

Deux erreurs, récemment commises par le gouvernement qui frise l'irresponsabilité peuvent expliquer ce regain de tensions.

D'abord, au début du mois d'octobre, plusieurs maisons du quartier arabe de Silouane, à Jérusalem, ont été rachetées par des sociétés domiciliées aux Etats-Unis, mais qui sont en réalité tenues par des organisations d'extrême-droite souhaitant repeupler ce quartier par des Juifs. Une quinzaine de familles juives s'est installée là, remettant ainsi en cause le statu quo urbain.

Ces individus agissent seuls, motivés par une volonté de vengeance à l'égard d'Israël et une quête de rédemption personnelle, ou encore par mimétisme.

Ensuite, toujours en octobre, le projet de loi sur la liberté du culte juif sur l'esplanade des mosquées a mis le feu aux poudres. L'idée, en elle-même, se défend ; toutefois, lorsqu'on connaît les tensions autour de ce dossier, jugé irréversible par les Musulmans de Jérusalem, il faut évidemment le traiter avec précaution et s'interdire toute remise en cause du statu quo. Or, les discours de l'extrême-droite ont piégé le gouvernement, en exigeant une révision du statut quo.

Netanyahou, qui craint un renforcement de sa droite et de son extrême-droite aux prochaines élections a insisté sur ces sujets, dans une logique purement électoraliste. Ces deux fautes ont contribué au regain des tensions.

Le Hamas et le djihad islamique semblent aujourd'hui affaiblis. Sont-ils à l'origine de ces violences? N'assiste-t-on pas plutôt à un nouveau type de révolte sociale?

L'absence de revendication et d'organisation centralisée validerait plutôt la thèse de la révolte. Les partis, comme on l'a vu, n'ont aucun intérêt à ce que la situation devienne explosive.

Il est, de plus, très difficile de définir un portrait des auteurs de ces violences. Il ne s'agit pas d'individus organisés, préparés, affiliés à un parti, ayant des revendications précises, mais plutôt de passages à l'acte. Les attentats sont bien entendu meurtriers, mais ne se font pas à l'aide de bombes, d'armes à feu, mais plutôt grâce à des voitures béliers ou à des armes blanches. Ces individus agissent seuls, motivés par une volonté de vengeance à l'égard d'Israël et une quête de rédemption personnelle, ou encore par mimétisme, poussés par l'exemple de leurs camarades qui ont attaqué physiquement des Israéliens. En d'autres termes, ils sont très difficiles à identifier, contrairement, par exemple, aux militants européens partis rejoindre les rangs de Daech en Irak.

Le mouvement débouchera peut-être sur une troisième Intifada si les tensions continuent à grimper. Il peut également rester relativement maîtrisé, voire retomber.

On peut infiltrer un groupe terroriste, surveiller ses membres grâce à des caméras, utiliser le réseau de surveillance pour les identifier ; mais que peut-on faire face à un individu isolé ? Faut-il arrêter, par prévention, chaque personne ayant un casier judiciaire ?

Cette situation semble inédite ; comment peut-on la régler?

La situation est d'autant plus difficile à régler que les agressions sont imprévisibles. Les terroristes n'ont pas de casier judiciaire notable, et n'appartiennent à aucune organisation politique. Ils ne sont donc ni fichés, ni écoutés. Le système de prévention, redoutable lorsqu'il s'agit d'arrêter une attaque planifiée par une organisation, devient inopérant ici. On peut infiltrer un groupe terroriste, surveiller ses membres grâce à des caméras, utiliser le réseau de surveillance pour les identifier ; mais que peut-on faire face à un individu isolé? Faut-il arrêter, par prévention, chaque personne ayant un casier judiciaire?

Pour l'instant, le gouvernement n'a donc réagi qu'en incitant la population à la prudence. Il pourra, par la suite, accroître les mesures répressives et dissuasives contre les terroristes, et déployer un nombre important de policiers dans les rues ; dans l'absolu, ces mesures ne permettront cependant pas de prévoir les attaques. Seule une sortie politique de la crise israélo-palestinienne pourrait permettre d'atténuer durablement les tensions ; or, cela n'est pas à l'ordre du jour…

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