Proche-Orient: la dimension religieuse du conflit est devenue menaçante et dangereuse
L’attentat qui a fait quatre morts et huit blessés graves mardi matin dans une synagogue du quartier orthodoxe de Har Nof à Jérusalem est le premier du genre. "Une synagogue au moment de la prière, c’est clairement indicatif d’une volonté de donner au conflit national cette dimension religieuse qu’il a toujours eue, un peu en sous-main" .
- Publié le 19-11-2014 à 17h26
- Mis à jour le 21-11-2014 à 12h22
L’attentat qui a fait quatre morts et huit blessés graves mardi matin dans une synagogue du quartier orthodoxe de Har Nof à Jérusalem est le premier du genre. Les attaques meurtrières contre des lieux religieux ou liés à la religion restent rares en Israël. Dans la ville sainte, il faut remonter à 2008 pour trouver une attaque plus meurtrière : un Palestinien avait abattu huit personnes dans une yeshiva (école talmudique).
Pour le politologue Denis Charbit, on est face à une attaque d’une autre ampleur que celles menées ces derniers jours à l’arme blanche et à la voiture bélier et qui ont provoqué la mort de cinq Israéliens et d’un touriste étranger, et d’autant de Palestiniens qui les avaient menées. "Ce n’est plus le passage à l’acte individuel, spontané et incontrôlé, mais une opération préméditée, organisée et menée par plusieurs personnes" , affirme Denis Charbit, maître de conférence à l’Open University d’Israël. L’attaque a d’ailleurs fait l’objet d’une revendication de la part d’une organisation, certes plus marginale que le Fatah ou le Hamas, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Et puis, dit-il, "le lieu choisi n’est pas anodin. Une synagogue au moment de la prière, c’est clairement indicatif d’une volonté de donner au conflit national cette dimension religieuse qu’il a toujours eue, un peu en sous-main" .
Le conflit israélo-arabe, politique par nature puisqu’opposant deux nationalismes, est-il en train de virer pour autant à l’affrontement religieux ? Les tensions de ces dernières semaines autour de l’esplanade des Mosquées (ou mont du Temple) à Jérusalem ont clairement une portée religieuse. Des nationalistes juifs orthodoxes ont revendiqué le droit d’aller prier sur ce lieu saint du judaïsme et de l’islam. Lors des heurts avec des Palestiniens, plusieurs soldats israéliens étaient brièvement entrés dans la mosquée al-Aqsa, où selon la tradition le prophète Mahomet était arrivé.
Pour le politologue, l’imbrication des deux dimensions, politique et religieuse, a toujours été présente dans le conflit ( "il s’agit de l’affrontement entre deux collectivités nationales qui se trouvent, en plus, avoir des religions distinctes" ) mais l’une ne se substitue pas à l’autre pour autant. L’instrumentalisation de la dimension religieuse est sans doute plus prégnante aujourd’hui.
Dimension fanatique
D’après lui, "la dimension fanatique du conflit s’inscrit" autant "du côté palestinien avec le Hamas et son exclusivisme nationaliste et radical islamique et du côté israélien avec la colonisation surtout réalisée par des juifs religieux. Donc le fanatisme est plutôt le fait de la partie religieuse des deux populations. Et bien entendu, cette dimension religieuse est plus menaçante et plus dangereuse qu’elle ne l’était il y a vingt ou trente ans".
Si la facette religieuse est aujourd’hui plus saillante dans le conflit israélo-palestinien, c’est parce que celle-ci est aussi plus prégnante dans la société israélienne. L’émergence, dès le milieu des années 80, d’un parti religieux comme le Shass - bien que défendant les intérêts des seuls ultraorthodoxes sépharades - a aussi contribué à influencer l’ensemble de la société en y faisant percoler ses idées, ses valeurs. Le repli identitaire après les Accords d’Oslo (1993) a également joué un rôle non négligeable dans la sensibilisation au fait religieux. Celui-ci s’est aujourd’hui imposé jusque dans les sphères du pouvoir : le Foyer juif de Naftali Bennett, un parti ultranationaliste religieux est au gouvernement.
Cette évolution religieuse de la société est encore perceptible dans l’armée israélienne. "On a mis en cause l’un des commandants d’une unité qui a participé à l’opération Bordure de protection (l’été dernier à Gaza, NdlR) parce qu’il avait invoqué la guerre au nom du Dieu d’Israël" , explique M. Charbit. Des propos qui avaient fait scandale.