Nouvelle tempête politique à Jérusalem
Au marché Mahane Yehuda, beaucoup des travailleurs sont Arabes-Israéliens.
Photo : Marie-Eve Bédard
Prenez note que cet article publié en 2014 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le ciel était menaçant ce matin au-dessus du vieux marché de Jérusalem. Et avec l'orage, une nouvelle tempête politique s'est abattue sur la ville. Ce n'est pas la première fois que le sujet fait la manchette : Israël, État national du peuple juif.
Hier, le Cabinet israélien a décidé d'aller de l'avant avec le projet controversé d'une loi fondamentale pour renforcer le caractère juif de l'État hébreu, à l'initiative du premier ministre Benyamin Nétanyahou et de ses alliés d'extrême droite.
Seul le peuple juif a des droits nationaux : celui à un drapeau, à un hymne, à l'immigration et autres symboles. Ces droits sont accordés à notre peuple dans son seul et unique État.
Des propos qui réjouissent Mordechai Ben-Yomtov qui, guitare à la main, chantait entre les marchands d'olives et de fruits secs, malgré la pluie. « Ça pourrait être un pas dans la bonne direction, parce que ça élimine tout de suite le fait que les Palestiniens disent que c'est à nous, c'est à nous, c'est à nous. Ce n'est pas à vous! Ce n'est pas à vous, point à la ligne », dit-il.
Près de là, Simon Isakoff, pousse ses provisions en secouant la tête. « Je suis né ici, à Jérusalem, avant même la déclaration d'indépendance », dit le vieil homme. Lui ne voit qu'une manœuvre politique qui ne fait qu'ajouter aux tensions toujours vives entre voisins.
« À Jérusalem, il y a des chrétiens, des musulmans et il faut prendre soin de tout le monde. Nous ne sommes pas seuls, rappelle-t-il aux politiciens, mais c'est parfois l'impression qu'on donne. C'est ça le problème. S'ils veulent le faire, alors il faut redonner les territoires occupés sur lesquels nous sommes assis. »
Le texte final de la loi doit encore être rédigé, mais des propositions qui circulent dans les factions plus radicales du gouvernement retirent entre autres à la langue arabe son statut de langue officielle.
On habite dans ce pays, qu'est-ce qu'on peut y faire, demande Majdi Bourkan, un marchand de légumes. On y vit et on y reste. On tient à nos terres, on tient à tout.
Pour les Arabes-Israéliens, qui représentent environ 20 % de la population, le projet de loi est perçu comme une gifle et renforce le sentiment d'être des citoyens de deuxième classe. Au marché Mahane Yehuda, beaucoup de travailleurs sont des Arabes-Israéliens. Ils se demandent aujourd'hui si tout ça ne menace pas aussi leur droit au travail.
Un État pour eux seuls, ici, ça n'arrivera pas. S'il n'y a pas de paix, ce ne sera bien ni pour eux ni pour nous, jamais. Pourquoi ce racisme? On n'ira pas tranquille chez nous à regarder le plafond. On va se mettre à créer des problèmes.
En plus de nuire aux relations bien fragiles entre Juifs et Arabes, les opposants au projet de loi craignent que le pays soit en train de tourner le dos aux principes démocratiques qui gouvernent Israël. Le procureur général d'Israël, Yehuda Weinstein, s'est prononcé contre le projet.
« Je crois qu'il s'agit plus d'une déclaration politique qui joue sur les émotions et non d'une loi avec des applications concrètes, estime Yohanan Plesner, président de l'Institut démocratique d'Israël, un centre de recherche indépendant. Mais si une telle loi devait être adoptée, il faut qu'elle préserve la démocratie en même temps que le caractère juif. Elle doit comporter une charte des droits. »
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Menace d'implosion au gouvernement
Tout ce débat plonge de nouveau le pays dans une crise politique profonde. Aujourd'hui, la ministre centriste de la Justice, Tzipi Livni, a réitéré son opposition catégorique au projet de loi et a dit refuser tout compromis. Les débats houleux menacent de faire imploser le gouvernement. Et c'est peut-être là justement ce que cherche Benyamin Nétanyahou, qui maintient sa détermination.
Dans les studios de la Voix d'Israël, Gil Hoffman, un commentateur politique du Jerusalem Post, s'apprêtait à enregistrer une émission consacrée au débat. « Nétanyahou est très frustré de sa coalition, ça ne marche pas. Certains croient donc qu'il pousse la loi sur l'État juif pour avoir une excuse pour renverser son gouvernement et former une nouvelle coalition ou déclencher des élections. »
Le destin parlementaire de cette loi sur un État juif pour le peuple juif est bien incertain. Mais Benyamin Nétanyahou donne l'impression d'y avoir lié le destin de son gouvernement. Une crise politique qui tombe mal, alors que Jérusalem-Est est encore le théâtre d'émeutes sporadiques et que le pays n'est pas remis d'une série d'attentats meurtriers.
Marché Mahane Yehuda
Photo : Marie-Eve Bédard