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Colère dans la communauté juive et une question : partir ou rester ?

La peur a de nouveau envahi les personnes de confessions juives, cibles de la prise d'otages qui a fait quatre morts, vendredi, porte de Vincennes à Paris.

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Publié le 11 janvier 2015 à 04h13, modifié le 11 janvier 2015 à 12h15

Temps de Lecture 4 min.

Hommage aux victimes de la prise d'otage dans un supermarché casher de la porte de Vincennes.

Il est vingt heures passées et la colère bouillonne chez les quelque cinquante personnes qui s'attardent devant le supermarché casher de la porte de Vincennes, à Paris, samedi 10 janvier. Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira ont, depuis un moment, déjà quitté le rassemblement de plusieurs milliers de personnes convoqué par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) devant le supermarché où quatre personnes ont été assassinées par Amedy Coulibaly la veille, au cours de sa prise d'otages. Et le choc ressenti par les juifs d'Ile-de-France qui ont fait le déplacement ce soir en leur mémoire a ravivé une douleur devenue chronique chez beaucoup.

La discussion, animée, s'est d'abord engagée entre Stéphane Villard et Jérémie Brami, développeur Web de 22 ans de Bagnolet. Elle a pour objet la question que presque chacun ici se pose : faut-il quitter la France ? « Il faut qu'on se réveille, lance le premier. La France a oublié qui elle était. Les juifs vont partir. Moi, je vais partir. Quand Ilan Halimi a été tué, on a pleuré. Quand il y a eu l'affaire Merah, on a pleuré. Aujourd'hui, on pleure. Je suis français, et j'en ai marre de pleurer. »

Pancarte rendant hommage à l'une des victimes tuées lors de la prise d'otage dans un supermarché casher de la porte de Vincennes à Paris.

Jérémie Brami aussi a pleuré, mais il voudrait rester : « Si on part, si les synagogues, les épiceries casher ferment, comment pourra-t-on manger, prier, vivre en juif ? » Pourtant, Jérémie, lui aussi, en a gros sur le cœur. Il vit dans une cité à Bagnolet, connaît ses voisins musulmans depuis l'enfance, ce sont ses amis, il les côtoie sans problèmes, mais rien à faire, « avec ce qui se passe aujourd'hui, on se méfie ». Lui aussi en a « ras le bol de venir pleurer » ses « frères » et, à 22 ans, avec un métier tout neuf et une vie devant lui, il n'a pas envie de partir, mais il sent que tout l'y pousse. « Et alors ? A chaque génération, on part ! », lui rétorque Stéphane Villard.

« ON NE VEUT PAS FUIR, MAIS ON A PEUR »,

La discussion est lancée, à laquelle chacun apporte son écot avec une véhémence qui ne permet pas d'identifier tous les intervenants. « Pourquoi partir, pourquoi ne pas plutôt forcer les autres [ceux qui s'en prennent aux juifs] à partir ? », interroge Ouriel Fitoussi, jeune commerciale de Charenton. Son père, Patrick, met en cause les politiques d'immigration des gouvernements successifs et préconise, lui aussi, le départ. « Je fuis peut-être, lance Stéphane Villard, mais la France qui m'a construit, elle s'en fiche, que je parte. C'est ce qui m'a le plus déchiré le cœur ».

Ce sentiment d'être abandonné par la République et livré en pâture est prégnant. « On a un point rouge sur le front », lance un jeune homme. « Dans les manifestations, personne ne porte de panneau 'je suis juif'. On ne nous aime pas », affirme un autre. « On ne veut pas fuir, mais on a peur », résume une femme. « Je pense que nous allons tous partir, regrette une autre. Dans la France d'aujourd'hui, je ne suis plus à ma place. »

Manifestation de la communauté juive à la fin de shabbat, samedi 10 janvier, porte de Vincennes à Paris.

Une jeune fille du XXe arrondissement, qui était à l'école publique, s'est fait harceler, explique sa mère. Celle-ci l'a donc mise dans une école juive. Mais depuis, raconte-t-elle, elle « tremble », de crainte d'une agression antisémite. L'alternative devant laquelle elle a été placée la consterne.

« PAS QUESTION » DE FERMER LES SYNAGOGUES

La peur et les interrogations touchent bien au-delà de ce petit groupe dans la communauté juive. Corinne Chekroun n'aurait pas cru en arriver là. Cette femme de 51 ans, qui vit à Rosny, a « maintenant peur. Ça fait plusieurs années que cela monte mais maintenant, on ne se sent plus en sécurité. » Du coup, elle aussi s'interroge : « Rester ou partir, c'est une question qui nous travaille. Si on était sûr d'avoir un travail, alors on serait déjà partis. C'est malheureux, car la France est notre pays. Mais avant, on se disait d'abord Français, et après juifs. Aujourd'hui, c'est d'abord juif, puis français. » Sa fille Camille, étudiante en droit, n'en est pas là. « Dans ma tête, je suis sûre de rester, mais quand je vois des crimes comme ceux-là… Je comprends que pour les indécis, ces événements les aient fait se décider à partir. »

Dans le petit groupe qui s'attarde devant l'Hyper casher, la fermeture des synagogues et des commerces juifs, recommandée par les forces de l'ordre vendredi après midi, au début du shabbat, alors que la prise d'otage dans le supermarché avait commencé, les a tous marqués. « La dernière fois que ça s'était produit, c'était sous l'Occupation », rappellent plusieurs d'entre eux. Un rabbin arrive et lance l'assemblée dans une prière – deux psaumes et le Kaddish, la prière des morts. « La dernière fois qu'on a fermé une synagogue en France, dit-il, c'était sur ordre de la Gestapo. Il n'est pas question de les fermer, elles doivent rester ouvertes. Sinon, c'est un cadeau que nous faisons à nos ennemis ».

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