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Antisémitisme: les juifs sont-ils les «parias de la République»?

Un policier armé garde la synagogue de Sarcelles dans le Val d'Oise. François BOUCHON/Le Figaro

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Les actes antisémites ont doublé en France en 2014. Gil Mihaely analyse ce phénomène et considère qu'il faudra plus que des déclarations solennelles pour le réduire.


Gil Mihaely a fondé, avec Elisabeth Lévy, le site et le magazine Causeur, en 2007, consacré au débat d'idées. Il en est actuellement le directeur de la publication.


Le rapport du CRIF a annoncé aujourd'hui que le nombre d'actes antisémites avait doublé en France entre 2013 et 2014. Son président, Roger Cukierman, a récemment déclaré que les juifs de France avaient l'impression d'être les «parias» de la Nation. Est-ce que cette appellation vous paraît juste?

Beaucoup de juifs français se sentent très seuls. Par exemple, après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, le mot d'ordre retenu était la défense de la liberté d'expression alors que celle-ci n'était pas le dénominateur commun entre les victimes: elles furent victimes de terrorisme. Sauf que ni les juifs de Vincennes, ni la policière de Montrouge ne sont tombés sur l'autel de la liberté d'expression. Pour Montrouge, c'était probablement un attentat raté contre une école juive, et à Vincennes, un attentat réussi contre une épicerie casher. Après les attentats de Toulouse et Montauban, où les victimes étaient des militaires et des juifs, la réaction a été beaucoup moins spectaculaire.

Ce lapsus continue à révéler quelque chose de très profond dans l'inconscient collectif: les juifs ne seraient jamais vraiment innocents.

Lors des attentats de la rue Copernic en 1981, le Premier ministre de l'époque, Raymond Barre, avait déclaré: «Cet attentat odieux voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic». Or aujourd'hui, il y a le sentiment que ce lapsus continue à révéler quelque chose de très profond dans l'inconscient collectif: les juifs ne seraient jamais vraiment innocents.

Roger Cukierman a utilisé un terme très fort pour essayer de dire que, de nouveau, les juifs se détachent du corps de la nation. Dans l'histoire récente, les juifs ont massivement choisi de faire partie de cette nation: en 1945, les rescapés ont choisi de revenir en France et non pas d'émigrer en Israël. Puis en 1962, 22 ans après que Vichy les ait dépouillés de leur nationalité française, les français juifs des départements algériens choisissent aussi la France plutôt qu'Israël. Ainsi, non seulement les juifs n'ont pas développé de ressentiment vis-à-vis de la France, et encore moins à commettre des attentats pour se venger, ils l'ont massivement choisie. Une situation qui semble malheureusement s'inverser actuellement, comme le démontrent les chiffres de l'Alyah.

Lors de son discours au mémorial de la Shoah, aujourdd'hui, François Hollande a annoncé que l'antisémitisme et le racisme seront considérés comme circonstance aggravante d'un délit. Cette mesure est-elle la bonne solution?

Cela me semble dérisoire par rapport au problème. Ce n'est pas avec de telles mesures que l'on peut changer quoi que ce soit. Je ne pense pas que cela soit mal, mais c'est totalement inefficace. Au-delà de la mesure légale, la déclaration est importante. Mais ni l'une ni l'autre ne sont en mesure de changer la réalité aujourd'hui.

Je crois qu'il y a un sentiment général de lassitude de la mémoire de la Shoah. Il y a un an, au moment de l'affaire Dieudonné, de nombreuses personnes, surtout des jeunes, ont exprimé leur agacement envers ce travail de mémoire. Certains pensaient, par exemple, que le film Shoah de Claude Lanzmann était projeté trop souvent.

Ainsi, aujourd'hui, le bilan de ce travail de mémoire sur la Shoah est plutôt négatif: il renforce le ressentiment envers les juifs. Puisqu'aujourd'hui être victime est la plus haute distinction, beaucoup de gens pensent qu'il n'y en a que pour les juifs. Cela est perçu comme un privilège et donc, cette mesure, au lieu d'améliorer la compréhension, produit des effets pervers qui accentuent le ressentiment et la haine.

Aujourd'hui le bilan de ce travail de mémoire sur la Shoah est plutôt négatif: il renforce le ressentiment envers les juifs.

Aujourd'hui le climat est tel que tout est mal perçu, mal interprété parce que la grille de lecture est déjà formatée. Beaucoup pensent, par exemple, que les véritables victimes sont les musulmans qui subissent l'islamophobie et estiment alors que c'est incompréhensible que l'on ne parle que des juifs. Or c'est un comble: ce sont des attentats qui ont été commis au nom de l'islam et des juifs en ont été victimes parce qu'ils étaient juifs. En quelques jours, par un tour de passe-passe incroyable, ce mécanisme a changé les rôles entre victimes et bourreaux. Et comme pour beaucoup les juifs ne sont pas vraiment innocents, cela passe d'autant plus facilement.

La prise de conscience n'a pas eu lieu parce que l'essentiel n'est pas de proclamer une adhésion de principe mais d'être prêt à en payer le prix.

Je rappelle que même la défense de la liberté d'expression devient de plus en plus molle avec chaque jour qui nous éloigne du 11 janvier. La prise de conscience n'a pas eu lieu parce que l'essentiel n'est pas de proclamer une adhésion de principe mais d'être prêt à en payer le prix. J'ai le sentiment que beaucoup pensent que la liberté d'expression est importante, mais que si elle leur coûte, c'est à voir. C'est exactement la stratégie des terroristes: ils nous posent la question de savoir si l'on est prêt à payer un prix pour nos libertés et pour notre mode de vie. Si on n'assume pas, si on ne tient bon, pas la peine de manifester avec des écriteaux plus créatifs les uns que les autres.

Que faudrait-il faire pour combattre réellement les nouvelles formes d'antisémitisme?

La seule chose réellement efficace est qu'il y ait une prise de conscience et un travail collectif au sein des communautés où ce genre de sentiment prospère, pour que tous comprennent que c'est inacceptable.

Ce ne sont ni l'état ni l'école, complètement discrédités aux yeux de beaucoup, qui pourront les combattre. Aujourd'hui nous sommes tous éduqués par des agents qui échappent complètement à tout contrôle. C'est tout un environnement qui doit changer: famille, cages d'escalier, quartier, communautés religieuses, amis… Ils doivent envoyer un message très clair et traiter les dérapages. Sans cela, la situation ne changera pas. Lorsqu'un nombre suffisamment important de personnes qui ont du poids au sein de ces populations vont comprendre que l'antisémitisme est dangereux et leur pose problème, ils vont agir.

Il y a actuellement une grande défiance vis-à-vis tout ce qui, de près ou de loin, sent «l'officiel» ou le «système»: on préfère croire n'importe quel site internet plutôt que des médias connus et réputés, on écoute attentivement n'importe quelle voix du quartier qui répète des rumeurs plutôt qu'un professeur ou un représentant de l'état! Ce n'est pas la peine de faire des déclarations si ceux qui les font ne sont pas crédibles pour les destinataires.

Ce n'est pas la peine de faire des déclarations si ceux qui les font ne sont pas crédibles pour les destinataires.

Il faudrait donc avoir une action envers les relais d'opinion et que, lorsque les leaders des communautés concernés se rendent compte que trop de personnes tiennent des propos antisémites, croient en des théories du complot, suivent un code d'honneur archaïque fondé sur un contrôle masculin de la sexualité des femmes, il faut agir! Quand ces trois éléments sont très présents, il faut comprendre que cela favorise le développement de terreaux extrêmement dangereux. Ceux-ci caractérisent souvent ce que l'on appelle les «territoires perdus de la République». Très fréquemment l'islam est aussi présent dans ce «cocktail Molotov» idéologique.

Faudrait-il donc, par exemple, avoir une action envers les imams?

Cela aurait pu être la réponse mais actuellement ça ne marche pas. Ariane Chemin du journal Le Monde a visité l'école de théologie de la Grande Mosquée de Paris, et ce qu'elle raconte sur la formation des imams de courant modéré a de quoi nous faire douter de l'efficacité d'une telle démarche: une grosse semaine après les attentats ils évoquaient d'abord le théorie du complot insinuant un coup monté pour ensuite s'interroger avec fausse naïveté sur les intérêts financiers de Charlie Hebdo dans cette affaire. Voilà ce que pensent certains des futurs imams formés par la Grande Mosquée de Paris.

Si les mesures prises par l'état ne marchent pas en raison de son discrédit, et si des acteurs locaux -ceux qui pourraient avoir de l'influence- n'ont pas l'air enclins à lutter contre l'antisémitisme, quels moyens d'action reste-t-il?

L'antisémitisme sous ses multiples formes existe depuis plusieurs siècles. Ce phénomène est probablement plus tenace qu'on ne le croyait dans la parenthèse enchantée de l'après-guerre et cela rejoint une très longue liste de problèmes profonds de l'humanité que l'on n'est pas prêts à résoudre, malgré l'énorme progrès de ces derniers siècles.

Pour le moment, il faut avoir le courage de dire que nous n'avons pas de réponse aux causes profondes de ce problème, qu'il faut vivre avec ce constat et faire ce que l'on peut pour en atténuer les symptômes.


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