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Au musée du judaïsme, les collégiens apprennent à « partager les souvenirs »

Reportage avec des élèves du collège Auguste-Renoir d'Asnières, à l'occasion de la semaine d'éducation contre le racisme et l'antisémitisme.

Par  (Dakar, correspondance)

Publié le 19 mars 2015 à 18h01, modifié le 19 mars 2015 à 20h53

Temps de Lecture 5 min.

Les élèves de Madame Chataigner lisent les fiches d'identité de juifs déportés.

Ces collégiens connaissent maintenant le chemin par cœur. C'est la troisième fois depuis la rentrée qu'ils se rendent au Musée d'art et d'histoire du judaïsme, à Paris. Leur professeur d'histoire-géographie, Marianne Chataignier note que c'est par un « heureux hasard », que cette visite, consacrée à la mémoire des lieux, se déroule en cette semaine d'éducation contre le racisme et l'antisémitisme. Car cette sortie scolaire est le fruit d'un long travail de l'enseignante contre les stéréotypes et préjugés racistes. 

Ses élèves de 3e du collège Auguste-Renoir d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) écoutent, attentifs, la guide leur raconter que les épaisses portes cochères de l'hôtel particulier de Saint-Aignan ont abrité, avant ce musée, une histoire pesante : la rafle, en 1942, de ses habitants, des juifs ashkénazes arrivés une dizaine d'années plus tôt, qui travaillaient dans les ateliers du rez-de-chaussée et vivaient en famille sous les moulures des étages. Cordonniers, tanneurs, chapeliers, ils ont été déportés au camp de transit de Pithiviers, puis vers les camps d'extermination. Sur les colonnes qui encadrent l'entrée du bâtiment, un élève remarque des lettres effacées : « chapeaux ». Elles indiquaient l'emplacement des établis saccagés par les nazis.

« Offrir un bagage culturel et historique »

Marianne Chataignier n'a pas attendu les attentats de janvier en Ile-de-France, et les polémiques sur la minute de silence, pour agir contre le racisme avec ses élèves. Sa révolution pédagogique, elle l'a débutée en 2012, quand une poignée d'élèves de 3e, remontés après un sévère conseil de classe, sont arrivés en cours le bras tendu, en mimant le salut nazi. « A ce moment-là, j'ai su qu'il fallait trouver une solution rapidement pour éviter que leur attitude contamine une classe déjà difficile », explique-t-elle.

Les provocations se multipliaient depuis plusieurs semaines déjà, à travers une photo d'Hitler saluée d'un « v'la le beau gosse ! » ou un refus permanent d'évoquer la Shoah pour ne pas devoir prononcer le mot « juif ». « J'ai décidé de monter le projet “connaissance de l'autre” pour offrir un bagage culturel et historique à mes élèves et leur permettre de lutter contre les stéréotypes racistes dont ils sont parfois eux-mêmes l'objet. »

Marianne Chataigner, enseignante de 3e discute avec ses élèves.

« Effrayant mais instructif »

L'enseignante a démarré le projet sur son temps personnel : une formation à l'université d'été du mémorial de la Shoah, des recherches en compagnie d'un collègue documentaliste, Xavier Provost, puis une coordination avec les responsables pédagogiques du Musée d'art et d'histoire du judaïsme. Il a fallu faire vite pour être éligible à une subvention du conseil général des Hauts-de-Seine.

Les 2 000 euros obtenus ont permis de lancer le programme sur  l'« histoire des minorités au XXe siècle » qui s'étale sur toute l'année scolaire avec sept visites prévues, à l'Institut du monde arabe, au mémorial de Drancy, au musée de la Grande Guerre à Meaux ou au mont Valérien. Les élèves rencontrent des témoins de la Shoah, réalisent des exposés sur les génocides arménien et tzigane, participent à des ateliers sur les massacres ethniques du Rwanda et sur la Nuit de cristal. Une éducation citoyenne « parfois effrayante mais très instructive, confie une élève qui n'avait « jamais entendu parler de ces crimes avant et [s]'en fichai[t]. »

Depuis le lancement du programme, Mme Chataignier a noté un changement d'attitude chez ses élèves, qu'elle trouve plus paisibles. « Certains ont arrêté de fanfaronner, de parler de complot juif ou de manipulation médiatique, explique-t-elle. Même si, au lendemain des attentats, plusieurs élèves croyaient à la mise en scène du policier abattu qui ne saigne pas, ou à la voiture aux rétroviseurs qui changent de couleur. Mais quand on leur explique calmement avec des arguments, ils sortent de leur provocation. »

Partager les souvenirs

Cette année, le thème du projet traite de « l'enfance en guerre au XXe siècle ». « Le but n'est pas de dire regardez comme les nazis étaient méchants, mais de montrer par quel mécanisme on arrive à un génocide, par une idéologie raciste et un contexte de crise ou de guerre », précise l'enseignante.

Une élève de 3e écrit une histoire lors d'un atelier au musée d'art et d'histoire du judaïsme.

Assis en cercle, les élèves écoutent la guide. Elle leur demande d'écrire un souvenir sur un bout de papier puis de le partager avec ses camarades. Un travail d'édification de la mémoire que les élèves ressentent avec finesse. « Une mémoire collective, c'est quand on partage tous le même souvenir, comme les cours qu'on a à l'école », s'exclame une jeune fille timide. « Un ami qui a fait une chute est devenu amnésique… Hé bien, sans mémoire, on est perdu », souffle un autre. « C'est comme un éternel recommencement », philosophe un troisième.

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Dans ce processus du souvenir commun, tous s'accordent sur l'importance des lieux de mémoire comme la Bastille, « où s'est déroulée la révolution française ». L'enseignante apporte un exemple plus récent au débat : celui de la rue du 19-Mars 1962 à Béziers, nommée en hommage aux accords d'Evian, rebaptisée samedi 14 mars du nom d'un officier putschiste de la guerre d'Algérie par le maire de la ville Robert Ménard. « Les adolescents ne sont pas les seuls à faire de la concurrence mémorielle », ironise-t-elle.

Mémoire éphémère

« Lorsqu'on était plus jeune, on avait l'image de ce qu'étaient les camps de concentration, raconte Mme  Chataignier . Les jeunes générations n'ont plus ce fond culturel. Les wagons de déportation sont absents de leur imaginaire. Il faut prendre acte de cette évolution en apportant des solutions. » Lors de la visite à Drancy, Oumou, Sirine, Andrea et Naëlle ont été marquées par « monsieur Berkover », dont elles se souviennent toutes du nom sans hésitation. Ce témoin de la Shoah « avait le même âge que nous lorsqu'il a dû fuir Auschwitz pieds nus dans la neige de Pologne », raconte Oumou. « Il a même dû mentir sur son âge à la sortie du train pour ne pas être tué tout de suite dans les chambres à gaz », se rappelle Naëlle.

Devant l'oeuvre de Boltanski, un élève lit les noms de juifs déportés.

Au fond du musée, dans une cour intérieure, une œuvre de Boltanski fascine le petit groupe. Ce sont les noms des résidents déportés de l'hôtel de Saint-Aignan, accompagnés parfois de leur date de naissance et de leur métier. Ces avis mortuaires affichés sur un mur se décollent régulièrement sous la pluie, pour symboliser le caractère éphémère de la mémoire. « Je comprends. C'est pour dire que le travail de mémoire devra sans cesse être recommencé, s'exclame Curtis, 14 ans. Avant de réaliser, déçu : « Cette œuvre ne sera jamais terminée. »

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