Melilla, 13 ans, ravale un fou rire avant de proposer sa drôle de devinette à ses camarades, petits Parisiens issus, comme elle, du quartier de Stalingrad, dans le 19e arrondissement de Paris. Le carême, est-ce « pour les chrétiens le temps de préparation avant Pâques », « un plat pour célébrer l’arrivée d’un enfant » ou « une fête juive pour marquer la quatrième année de mariage » ? Houcine, Faël, Ryan et Walid n’hésitent pas bien longtemps. « C’est le ramadan des chrétiens, juste avant Pâques, explique l’un d’eux, en CM2. Les quarante jours que Jésus aurait passés dans le désert. »
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La question, posée à n’importe quel parent, aurait-elle trouvé réponse plus précise ? Pas sûr. C’est que ces cinq enfants vont à bonne école : au centre social de la rue de Tanger, entre un cours de flûte et une partie de foot, ils débattent, chaque mercredi, des fêtes chrétiennes, juives et musulmanes. Réfléchissent aux traditions des uns et des autres. Parlent des religions sous l’angle des savoirs, pas des convictions. Et rient, beaucoup, de ces sujets d’actualité sur lesquels bien des adultes s’empoignent – les interdits alimentaires, les coutumes vestimentaires – mais qu’ils apprennent, eux, à décoder de façon ludique, décomplexée. Bref, apaisée.
L’Arbre à défis... outil ludo-éducatif
« A Pâques, les chrétiens fêtent… les lapins au chocolat », glousse Houcine. « Mais non, ils se souviennent de Jésus », corrige Faël. « Ils se remémorent sa naissance », croit savoir Melilla. « Non, sa mort », l’interrompt Faël. Marine Quenin, cofondatrice de l’association Enquête, à l’initiative de ces ateliers de découverte de la laïcité, se lève et dessine au tableau un pendu en douze lettres : le mot « résurrection », que les enfants devinent après un temps d’hésitation. Elle enchaîne sur le sens de l’Aïd et de Yom Kippour. Parle de ce qu’est – ou n’est pas – le halal, le casher...
Après une demi-heure d’échanges, place au jeu de L’Arbre à défis. La petite fierté de l’association Enquête – qui a déjà écoulé plus de 400 exemplaires de cet outil ludo-éducatif, pensé pour des enseignants mais qui a aussi séduit des groupes de scouts ou des parents. Répartis en deux groupes, les enfants tirent des cartes. Sur l’une, une définition à trouver, comme « athée » ou « étoile de David ». Sur une deuxième, une notion à préciser – « halal », « Noël ». Sur telle autre, un mot inconnu ou un préjugé à identifier.
Dans les couloirs du centre social, le succès de ce rendez-vous hebdomadaire, lancé en novembre 2014, est une « vraie bonne surprise, raconte Fabrice Guillaume, le directeur. On pensait le sujet un peu tabou, trop intello. Mais il a été applaudi par les familles et les enfants reviennent sans qu’on ait à les rappeler ! » Prochain projet : l’organisation de visites dans les églises, mosquées et synagogues du quartier. « Des visites culturelles, pas cultuelles », distingue-t-il.
Lauréat du Projet présidentiel « La France s’engage »
Marine Quenin est, elle aussi, allée de surprise en surprise ces derniers mois, au point de reconnaître que les attentats de janvier ont probablement constitué un « effet d’aubaine » pas facile à assumer. Après cinq ans d’existence, l’association dont elle est la déléguée générale vient en effet d’être reconnue, le 10 mars, parmi les quinze lauréats du projet présidentiel « La France s’engage ». En février, elle recevait du ministère de l’éducation l’agrément lui permettant d’intervenir, à la demande, en milieu scolaire. Un peu comme ces « réservistes citoyens » – avocats, intellectuels… – que Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'éducation nationale, a appelés à la rescousse de l’école, après la tuerie de Charlie Hebdo. « Mais la dynamique a mis du temps à s’amorcer », raconte la jeune femme, confiant s’être « d’abord vu fermer des portes » .
A commencer par celles des municipalités qui, à l’exception de Grigny (Essonne), ont décliné la proposition d’ateliers périscolaires – alors que la réforme des rythmes était en cours. Une « douche froide », dit Marine Quenin. Mais elle n’en est pas à son premier défi : après avoir dirigé l’association Samusocial international, elle a lancé Cap Essec, une préparation aux concours d’admission sur titre à l’Essec pour des jeunes d’origine modeste. C’est sa fille aînée qui lui a donné l’idée de s’investir . « A 6 ans, elle rentrait de l’école en me parlant de la “fête de la poussin”, de ses copains malades après avoir mangé du porc à la cantine, de l’insulte “tête de ralouf” à la récré... Ça m’a donné envie de me plonger dans les programmes. »
En théorie, ceux-ci font une place au fait religieux depuis au moins dix ans. Mais dans la pratique, bien des réserves continuent de se faire entendre. « L’école laïque a hérité d’un long combat contre la religion catholique et son hégémonie, rappelle Laurent Klein, directeur d’école et membre du comité de soutien d’Enquête. Et bien des enseignants ont, aujourd’hui encore, le sentiment que s’ils parlent de religion, ils sont en contradiction avec les exigences de la laïcité. » Lui met à disposition de son équipe une boîte du jeu L’Arbre à défis. « S’en saisit qui veut… », dit-il.
L'arbre à défis utilisé en classe pour aborder la laïcité et le fait religieux
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