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Gaza, entre la peur et l'espoir

Radio-Canada

Un mécontentement sourd et la peur règnent dans la bande de Gaza, où les habitants, gouvernés d'une main de fer par le Hamas, se relèvent péniblement de la guerre de l'été dernier.

Un texte de Marie-Eve BédardTwitterCourriel

La population de la bande de Gaza a payé le prix fort de ce que le Hamas revendique comme une victoire sur l'armée israélienne lors de la guerre l'été dernier : plus de 2100 morts palestiniens, une majorité d'entre eux étant des civils, selon les Nations unies, dont près de 500 enfants

Soixante-six soldats, six civils israéliens et un travailleur agricole thaïlandais sont morts pendant l'opération militaire baptisée Bordure protectrice.

La victoire, affirme Yahyah Moussa du bureau politique du Hamas, ne se mesure pas en terme de victimes.

Le peuple qui est sous l'occupation, tant qu'il ne cède pas face à l'occupant, il est considéré, avec sa lutte, comme le gagnant.

Une citation de Yahyah Moussa, représentant politique du Hamas

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Assis dans la cour intérieure de sa résidence, Waeb Al-Wadiya, lui, vous dira qu'il n'a rien gagné, mais qu'il a plutôt tout perdu pendant la guerre. Son fils, Adli, était emprisonné depuis 2010 par le Hamas, accusé de collaboration avec l'ennemi.

Waeb al Wadiya. Photo : Radio-Canada

À notre grande surprise, des hommes cagoulés sont venus à la prison de Gaza. Ils l'ont pris avec d'autres membres du mouvement Fatah et les ont exécutés de façon atroce.

Waeb Al-Wadiya, membre du Fatah

C'était en août dernier, à la sortie de la grande prière du vendredi devant la mosquée de Gaza, en pleine guerre. L'exécution a été captée par des caméras amateurs. Elle montre une foule enthousiaste alors que des hommes cagoulés déchargent leurs armes sur des prisonniers.

Mon fils avait plus de cent balles dans le corps, plus de cent.

Waeb Al-Wadiya, membre du Fatah

En entrevue, Yahyah Moussa, du Hamas, a réfuté que son gouvernement ait ordonné les assassinats.

Yahyah Moussa, membre du bureau politique du Hamas. Photo : Radio-Canada

Ces cas font l'objet d'une enquête. Que ces hommes cagoulés aient des affiliations avec le Hamas ou pas, les responsables seront punis.

Yahyah Moussa, membre du bureau politique du Hamas

Mais les résultats de cette enquête ne seront jamais dévoilés. Le Hamas croit à la justice, affirme leur représentant, mais elle n'a pas à être publique. Il en va de l'unité du peuple palestinien, affirme Yahyah Moussa.

Régler ses comptes avec ses rivaux palestiniens?

Amnistie internationale publiait mercredi un rapport affirmant que le Hamas s'est servi du conflit avec Israël dans l'enclave palestinienne pour « régler ses comptes » avec ses rivaux palestiniens. Le rapport détaille l'exécution d'au moins 23 personnes dans ce qui pourrait constituer des crimes de guerre.

« Il est absolument épouvantable que, tandis que les forces israéliennes infligeaient des pertes humaines et matérielles massives au peuple de Gaza, les forces du Hamas en aient profité pour régler sans vergogne leurs comptes, menant une série d'assassinats et d'autres graves violations » des droits de l'homme, a déclaré à l'Agence France-Presse (AFP) le directeur d'Amnistie internationale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, Philip Luther.

Waeb refuse de condamner l'ensemble du mouvement Hamas, mais les Gazaouis sont gouvernés par la peur, dit-il. Il est membre du Fatah, le parti du président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et principal rival du Hamas. Il croit que son fils assassiné a servi d'exemple.

Daesh a appris de ces gens-là. Ils étaient les professeurs de Daesh. Trente et une personnes avec des mitrailleuses lui ont tiré dessus. Pourquoi? Ils ont peur qu'ils reviennent à la vie?

Waeb Al-Wadiya, membre du Fatah

Sous les bombes l'été dernier, la population de Gaza s'est ralliée quasi unanimement derrière le Hamas. Les critiques se faisaient rares.

Mais selon un sondage mené en mars dernier dans la bande de Gaza, seulement 30 % de la population croit que le Hamas a remporté la guerre l'été dernier. Qui plus est, à peine 22 % affirmaient vouloir voter de nouveau pour eux.

Le mécontentement est nourri par la destruction colossale des infrastructures et une reconstruction qui tarde à se matérialiser. Difficile, voire impossible, de trouver une maison qui a été reconstruite.

La population de Gaza n'a accès à l'électricité que de six à sept heures par jour au mieux, l'eau potable se fait rare et le chômage, selon la Banque mondiale, atteint les 44 %, probablement le taux le plus élevé au monde.

Photo : Radio-Canada

Rêves de liberté

Dans cet univers désolant, le Département de langue française de l'Université d'Al-Aqsa est une rare oasis. Ici, les jeunes étudiants de troisième année peuvent laisser derrière les portes de leurs salles de classe les difficultés d'une vie étouffante.

En vertu d'une permission exceptionnelle, la ségrégation des sexes n'est pas appliquée au Département. Filles et garçons peuvent étudier ensemble une langue qui leur permet de rêver d'un ailleurs plus clément, d'un avenir plus libre.

C'est aujourd'hui au tour de Racha de mener la classe avec un exposé sur les nouvelles technologies et les possibilités qu'elles offrent pour apprendre une langue étrangère.

Rappelant à l'ordre deux collègues de classe bavardes, Racha explique, dans un excellent français, comment la vidéoconférence, pourvu qu'on ait accès à Internet, permet de dialoguer avec des francophones de partout dans le monde. Si les frontières de la bande de Gaza leur sont fermées, ils peuvent néanmoins aller à la rencontre du monde.

Je ne peux pas imaginer qu'on va continuer notre vie dans la même situation. Les Israéliens à l'extérieur et le Hamas à l'intérieur, c'est grave ça.

Racha Bashir, étudiante

Racha se rappelle encore le jour où on lui a interdit de porter le pantalon à l'université. C'était à l'arrivée au pouvoir du Hamas. Elle a voulu dénoncer cette règle auprès du directeur, en vain. Mais elle croit qu'il ne faut pas abdiquer.

Si des personnes vont dire non, vont refuser, vont créer des problèmes, vont dénoncer les lois, on va avoir notre liberté.

Racha Bashir, étudiante

Elle le dit doucement, avec le sourire, mais Racha croit qu'elle pourrait payer cher cette insubordination.

Mourir c'est mieux. Parce que si je meurs et après moi il y a de plus en plus de gens qui vont mourir, au moins on va arriver à des résultats pour notre pays.

Racha Bashir, étudiante

Mourir, c'est ce qui a bien failli arriver à Samah.

La jeune activiste a été inspirée par les soulèvements populaires du printemps arabe. Elle a cru le moment venu pour exiger la réconciliation des différentes factions politiques ennemies.

Samah. Photo : Radio-Canada

Avec des centaines de concitoyens, elle est descendue dans la rue pour réclamer la fin des divisions entre le Hamas et le Fatah.

C'était comme si on était de nouveau une grande famille, avec un seul enjeu à discuter. Nous croyions que mettre fin aux divisions internes était un premier pas vers la fin de l'occupation. Nous avons un ennemi : l'occupation israélienne.

Samah

Le seul mot d'ordre de la manifestation : venez porter le drapeau palestinien et parler de ce qui vous préoccupe. Mais les services de sécurité du Hamas ne l'entendaient pas de cette oreille.

À sept heures, nous avons été attaqués de nulle part par la sécurité du Hamas. J'ai été poignardée dans le dos. Je n'imaginais pas qu'on allait m'attaquer, puisque je suis une femme.

Samah

Ce qu'elle réclamait, comme une majorité de Palestiniens, soit l'unification des partis, le Hamas et Fatah ont fini par le promettre, en juin dernier. Les frères ennemis devaient former un gouvernement d'unité nationale.

Mais c'est une réconciliation qui est tout sauf concrète. Et qui vient trop tard pour Samah. Depuis qu'elle a été attaquée, Samah dit qu'elle s'est repliée sur elle-même. Elle n'ose plus sortir dans la rue et passe le plus clair de son temps dans le studio d'amis artistes.

Je ne peux plus leur faire confiance. Parfois, je les blâme; ce sont eux qui ont amené la guerre. Les roquettes sont fabriquées ici à Gaza, mais ça envoie le mauvais message.

Samah

En lançant l'opération Bordure protectrice le 8 juillet dernier, Israël déclarait avoir pour objectif de mettre fin aux tirs de missiles sur son territoire en provenance de la bande de Gaza une fois pour toutes et de détruire les capacités militaires du Hamas.

Le 26 août dernier, les parties en guerre ont mis fin aux hostilités à la faveur d'un cessez-le-feu négocié par l'Égypte.

Mais à Gaza, on croit qu'il ne s'agit que de la fin d'une bataille et non celle de la guerre.

« On s'entraîne quotidiennement pour se préparer à la confrontation », disent ces miliciens. Photo : Radio-Canada

Se préparer à la prochaine guerre

Le long d'une route qui longe la mer, des miliciens au visage masqué s'entraînent. Tirs d'armes automatiques, détonations d'explosifs, c'est comme ça tous les jours.

Ils ne font pas partie du Hamas. Ils sont membres du Front démocratique pour la libération de la Palestine, un groupe marxiste. Mais comme les combattants du Hamas et du Jihad islamique, ils étaient sur la ligne de front l'été dernier.

« Israël n'a pas pu et ne pourra pas empêcher les missiles, empêcher nos combattants d'utiliser les tunnels et empêcher les opérations de la résistance », affirme leur porte-parole.

À preuve, il brandit un missile, de fabrication russe assure-t-il, livré dernièrement, bien après la destruction des tunnels.

Les membres de la branche armée du Hamas, les brigades Al-Qassam ou leurs dirigeants ont refusé de nous rencontrer, mais ils ne sont pas en reste, assure-t-on.

Ce sont des opérations classifiées. La résistance a ses moyens et travaille à les développer de toutes les façons. Autant nous avons surpris l'ennemi lors de la dernière agression, nous le surprendrons de nouveau lors de la prochaine.

Yahyah Moussa, membre du bureau politique du Hamas
Photo : Radio-Canada

Et on prépare la relève. Chaque année, des gamins qui ont entre 12 et 18 ans participent à un camp de jour organisé par le Hamas. Exercices physiques, maniement des armes, discipline de rang, voilà les activités au menu.

Le jeune Ali, 12 ans, dit y avoir participé pour libérer son peuple. Son père, qui se tient à l'écart, dit qu'il n'avait pas beaucoup le choix d'inscrire Ali. « Le Hamas en fait la promotion dans les mosquées. On ne peut pas vraiment refuser; que nous arriverait-il? »

Amjed est le plus âgé et le plus endurci des diplômés du camp que nous avons rencontrés. Il souhaite maintenant intégrer les rangs des milices du Hamas.

Nous ne sommes plus des enfants. Ils tuent nos combattants, ceux qui n'ont pas d'armes, les femmes, les enfants, les vieillards. On ne peut pas être voisins avec eux. Soit ils quittent nos terres et nous vivons en paix, ou nous allons mourir en martyrs.

Amjed

Au cours de leur courte vie, ces garçons ont survécu à trois guerres et ont été bercés par le récit de plusieurs autres. Maintenant, ils se croient prêts à la prochaine.

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