Présentez sa photo à n’importe quel Israélien, il saura vous dire immédiatement le nom de cet homme joufflu, petites lunettes rondes sur le nez et barbe fournie. Le cas de Jonathan Pollard, espion israélien détenu depuis 1987 aux Etats-Unis et prochainement libéré, est l’un des rares sujets à faire consensus dans l’Etat hébreu. Le slogan « free Pollard » (« libérez Pollard ») s’affiche toujours sur certaines façades d’immeubles décrépis de Tel-Aviv. Emprisonné depuis bientôt trois décennies, l’espion américain devenu israélien en 1995 a marqué la mémoire du pays. Des manifestations en sa faveur sont régulièrement organisées les 21 novembre à Jérusalem ou à Tel-Aviv, date anniversaire de son emprisonnement.
Ancien analyste de la marine américaine, ce natif du Texas a été reconnu coupable en 1987 d’espionnage en faveur d’Israël. Seul condamné américain à la prison à perpétuité pour ce motif au profit d’un pays allié, Jonathan Pollard, 61 ans, sera libéré le 21 novembre, ont annoncé mardi 28 juillet ses avocats.
Une « forte instabilité émotionnelle »
C’est en 1970 que Pollard, né de parents juifs et alors étudiant, découvre pour la première fois Israël. Participant à un programme en sciences organisé par l’Institut Weizmann, il se prend de passion pour le pays. Mais c’est bien des années plus tard et presque par hasard que Jonathan Pollard fera la rencontre qui changera sa vie. Embauché comme analyste en risque terroriste au sein de la marine après avoir tenté d’intégrer la CIA, il rencontre dans une soirée à New York un officier israélien. C’est cet homme qui le met en contact avec les services secrets israéliens. Un pays pour lequel il va jusqu’à transmettre des documents ultrasecrets qui auraient servi à Israël pour notamment bombarder l’Organisation de libération de la Palestine à Beyrouth en 1985. Sur sa fiche, la CIA, qui reconnaît que sa période d’espionnage a été « très courte mais très intense », décrit un personnage ayant « une forte instabilité émotionnelle ».
Arrêté le 21 novembre 1985, il reconnaît lors de son procès avoir livré au Mossad plus de mille documents « pour la sécurité d’Israël », se défend-il. Condamné à la prison à vie, il a depuis fait part de son intention de s’installer dans l’Etat hébreu à sa libération.
Si l’espion est un « traître » pour les Américains, c’est un « martyr » pour une partie de l’opinion israélienne. L’annonce de sa libération a été unanimement saluée en Israël. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s’est déclaré impatient de cette libération.
Le chef du gouvernement, comme tous ses prédécesseurs, avait réclamé à l’administration américaine la sortie de prison du Texan. Dans un discours à la Knesset en 2011 (le Parlement israélien), « Bibi » Nétanyahou avait rappelé l’honneur sali de cet homme. Une envolée qui avait marqué les esprits en Israël mais n’avait pas permis de faire évoluer sa cause.
Inquiétudes sur son état de santé
Les groupes de pression juifs aux Etats-Unis ont, eux aussi, tout tenté pour arriver à leurs fins. Chaque fois, les relations israélo-américaines se sont dégradées un peu plus à cause de cette affaire. Alors qu’une libération semblait acquise en 1998, George Tenet, le patron de la CIA de l’époque, aurait mis sa démission dans la balance pour faire changer d’avis Bill Clinton, alors président des Etats-Unis.
Il aura fallu attendre un tweet de la ministre de la justice israélienne, Ayelet Shaked, pour que tout le pays puisse enfin crier victoire. De droite, comme de gauche, hommes et femmes politiques ont rendu hommage à un « héros ». Uri Ariel, actuel ministre de l’agriculture et ancien chef du Comité parlementaire pour la libération de Pollard, a prié Dieu d’« être en vie le jour où cette libération sera effective », dénonçant au passage un emprisonnement qui n’aurait jamais dû être. Le député d’opposition Nachman Shai (Union sioniste, centre gauche) a dit espérer « le voir enfin à l’aéroport Ben-Gurion de Tel-Aviv en bonne santé ». C’est en effet l’une des inquiétudes des soutiens de l’espion. Ses avocats ont révélé ces dernières années la santé fragile du prisonnier, argument pour tenter d’obtenir une réduction de peine. En vain.
Mais il reste une interrogation géopolitique : cette libération serait-elle un cadeau fait à Israël après l’accord iranien ? Des démentis d’une éventuelle compensation ont tout de suite été opposés, tant à Washington qu’à Tel-Aviv.
Nicolas Ropert (Jérusalem, intérim)
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