MONDOVISION. Israël : questions sur grand écran

MONDOVISION. Israël : questions sur grand écran
Un Palestinien brandit des couteaux lors d'affrontements avec des soldats israéliens à la frontière entre Israël et la bande de Gaza, le 12 octobre. (MOHAMMED ABED / AFP)

Deux cinéastes israéliens ont réalisé des films sur des rendez-vous historiques qui pèsent sur les événements actuels : la guerre de Six-Jours, en 1967, et l’assassinat d’Itzhak Rabin, en 1995.

Par Pierre Haski
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Lorsque les dirigeants politiques cessent d’offrir des perspectives, il revient parfois aux artistes de poser les bonnes questions. C’est ce qui se passe au sein de la société israélienne, alors qu’une nouvelle fois, inexorablement, la région s’embrase, et que la loi du talion se répète à l’infini.

Deux cinéastes israéliens, de deux générations différentes, ont produit des films qui interpellent le public à propos de deux moments clés, deux rendez-vous importants avec l’histoire qui pèsent sur les événements actuels : la guerre de Six-Jours de juin 1967, et l’assassinat du Premier ministre israélien Itzhak Rabin, le 4 novembre 1995.

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Dans son documentaire, Mor Loushy a recueilli les "confessions" de soldats israéliens sur la guerre de Six-Jours. (Larry Busacca / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

La première est une jeune documentariste, Mor Loushy, qui a exhumé un trésor sonore : les enregistrements réalisés à chaud des "confessions" de soldats israéliens de la guerre de Six-Jours, à leur retour dans leur kibboutz.

A l’époque, le livre qui en avait été tiré avait été très largement censuré par les autorités militaires, et leurs témoignages étaient restés sur des bandes magnétiques, rangées et oubliées. Mor Loushy les a retrouvées, et les a fait écouter, près d’un demi-siècle plus tard, à ces jeunes soldats de l’époque, pour produire "Censored Voices", qui sort en France le 21 octobre. Parmi eux, l’écrivain Amos Oz.

Benyamin Netanyahou, l’apprenti sorcier

Le résultat est stupéfiant, d’abord cinématographiquement, avec ces hommes âgés qui écoutent leurs propres voix à 20 ans ; mais aussi politiquement avec ces récits de combat, de peur, de mort, mais aussi de crimes de guerre, de l’ivresse de la victoire autant que de l’aveuglement qui changera le cours de l’histoire. Mor Loushy, rencontrée récemment à Paris, confie :  

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Ecouter ce que disent ces hommes à l’époque me met mal à l’aise, me met en colère quand je vois ce qui se passe actuellement, car ils savaient tout, une semaine après la guerre.

Tandis que les gens célébraient la victoire à travers tout le pays, Amos Oz pressentait la catastrophe et la confusion vers lesquelles Israël se dirigeait."

Le second film est l’œuvre d’un cinéaste aguerri, Amos Gitaï, auteur d’une œuvre dans laquelle la guerre a aussi sa part, en particulier celle du Kippour en 1973, à laquelle il prit part. Mais il s’est attaqué cette fois à la paix, celle d’Oslo, tuée un soir de novembre 1995 lorsqu’un jeune exalté juif religieux, Yigal Amir, a abattu Itzhak Rabin de trois balles de pistolet pour avoir "trahi" le rêve de "Grand Israël" en serrant la main de Yasser Arafat à la Maison-Blanche. 

Avec "Rabin. The Last Day", qui sortira en Israël le jour anniversaire de l’assassinat, et en France un peu plus tard, Amos Gitaï instruit de manière implacable le procès d’un meurtre politique qui a changé le cours de l’histoire et fait avorter la seule réelle tentative de paix en un siècle de cohabitation et de conflit entre deux peuples sur cette même terre.

Amos Gitaï a dirigé des stars internationales comme Natalie Portman ("Free Zone") ou Juliette Binoche ("Désengagement") dans ses films. (Catherine Gugelmann / AFP)

Dans le film de Gitaï, l’ancien président de la commission d’enquête sur cet assassinat, l’ex-président de la Cour suprême Meir Shamgar, reconnaît que le mandat qui lui avait été donné avait été limité aux défaillances de la sécurité ce soir-là à Tel-Aviv. Mais que la société israélienne ne devait pas faire l’économie d’une "introspection". Celle-ci n’a pas eu lieu, et le pays a dérivé bien à droite.

Benyamin Netanyahou, l’apprenti sorcier de 1995, comme le montrent les images accablantes du film, continue de diriger ce pays sans le rapprocher de la paix. 1967, 1995, deux rendez-vous ratés qui produisent les tragédies d’aujourd’hui. La preuve par l’image.

Pierre Haski

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