Monde / Société

Des universitaires démontent les propos de Netanyahou sur la Shoah

Les historiens réfutent point par point l'attribution de l'idée du génocide orchestré par les nazis au Grand Mufti de Jérusalem.

Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse à Berlin le 21 octobre | REUTERS/Fabrizio Bensch
Benjamin Netanyahou lors d'une conférence de presse à Berlin le 21 octobre | REUTERS/Fabrizio Bensch

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Washington Post, Times of Israel

Les déclarations du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le 20 octobre faisant du Grand Mufti de Jérusalem Hajj Amin al-Husseini la tête pensante de l’Holocauste à la place d’Hitler a soulevé une réprobation quasi unanime, jusqu’au gouvernement allemand, qui recevait le lendemain Benjamin Netanyahou, rappelle cet article du Washington Post. Le chef du service historique du mémorial israélien de l’Holocauste situé à Yad Vashem a réfuté les propos du chef de la majorité sans ambages: «Ces propos sont complètement erronés, à tous les titres.»

À contre-courant de la totalité, ou peu s’en faut, de l’historiographie couvrant la Shoah, la sortie de Netanyahou semble moins poursuivre un but académique que politique. Husseini a été longtemps une figure spirituelle de premier plan pour les musulmans et un leader politique pour les Palestiniens. Jeter l’opprobre sur lui, en pleine période de violences entre juifs et arabes, revient de facto à disqualifier les positions les plus véhémentes des Palestiniens et les assimilant à un antisémitisme ancestral.

Shoah par balles

Bien sûr, la haine vibrante des juifs nourrie par le Grand Mufti, mort en 1974, n’est pas à démontrer. Après avoir quitté la Palestine pour échapper aux Britanniques, il a effectivement rencontré Hitler en novembre 1941. C’est à cette date que Netanyahou lui prête l’initiative d’avoir poussé le chancelier allemand à exterminer les juifs plutôt que de les expulser.

Le Premier ministre a visiblement exagéré l’influence du dignitaire musulman sur les nazis, car, comme le relève un autre article du Washington Post, ceux-ci avaient commencé à tuer systématiquement les juifs dans certaines zones d’Europe centrale et de l’Est avant la rencontre entre Hitler et Husseini. Le 28 septembre 1941, les Allemands massacrent, en pleine invasion de l’Union soviétique, les 34.000 juifs que comptait la population de Kiev, à Babi Yar, en Ukraine. C'était le temps de la Shoah par balles ou au fond de camions remplis de gaz.

Si Husseini n’avait pas existé, les nazis auraient sûrement procédé de la même manière

Wolfgang Schwanitz et Barry Rubin, historiens, dans leur ouvrage Nazis, Islamists, and the Making of the Middle East

Si Netanyahou a trahi les faits, il est possible qu’il se soit inspiré (en en caricaturant les conclusions là encore) d’un essai paru en 2014 sous le titre Nazis, Islamists, and the Making of the Middle East, par les historiens Wolfgang Schwanitz et Barry Rubin. Les deux auteurs attribuent un rôle important à Husseini dans l’extermination des juifs et posent la coïncidence des dates entre sa rencontre avec Hitler et la conférence de Wannsee, tenue en janvier 1942, durant laquelle les responsables nazis ont mis au point les rouages de l’extermination industrielle des juifs dans les camps. Mais les deux historiens le soulignent eux-mêmes: «Si Husseini n’avait pas existé, les nazis auraient sûrement procédé de la même manière.»

Justification douteuse

Mercredi 21 octobre, Benjamin Netanyahou a voulu réaffirmer l’importance prépondérante d’Hitler dans le génocide... tout en maintenant l’essentiel de ses déclarations. The Times of Israel remarque qu’il a cherché à les justifier en citant les mots de l’adjoint d’Adolf Eichmann au bureau chargé de la déportation des juifs, Dieter Wisliceny. Au procès de Nuremberg, l’officier SS avait déclaré: «Il me semble que le Grand Mufti, qui a vécu à Berlin à partir de 1941, a joué un rôle, d’une importance non négligeable, dans la décision du gouvernement allemand d’exterminer les juifs d’Europe.»

Peu d’historiens prennent cette allusion au sérieux, considérant qu’il s’agissait avant tout des paroles d’un responsable SS, dont la tâche avait consisté à envoyer les juifs dans les camps de la mort, en quête d'un impossible pardon.

Décidément, Benjamin Netanyahou aura du mal à trouver des alliés parmi les spécialistes de la question, comme chez leurs lecteurs.

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