Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

En Israël, « la population, quand il s’agit de terrorisme, penche vers le nationalisme »

A l’occasion des vingt ans de l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un extrémiste juif, le leader travailliste Isaac Herzog décrypte le climat politique israélien.

Propos recueillis par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 28 octobre 2015 à 19h19, modifié le 30 octobre 2015 à 16h45

Temps de Lecture 5 min.

Isaac Herzog, leader du parti travailliste israélien et chef de l'Union sioniste en mars 2015, à Tel-Aviv.

Les anniversaires les plus tristes permettent un moment d’introspection. Il y a vingt ans, le premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, était assassiné par un extrémiste juif. Les cérémonies officielles se sont multipliées cette semaine à sa mémoire. Un grand rassemblement aura lieu samedi soir, 31 octobre, à Tel-Aviv, sur la place qui porte dorénavant son nom, en présence notamment de l’ancien président américain Bill Clinton. Mais cet anniversaire a été aussi l’occasion de nouvelles escarmouches entre la gauche et la droite. Dans un entretien au Monde, le leader travailliste Isaac Herzog, qui a conduit l’Union sioniste lors des législatives de mars, s’explique sur la difficulté à distinguer la gauche israélienne de la droite au pouvoir.

Comment l’assassinat a-t-il changé la gauche ?

Isaac Herzog Cet événement a d’abord bouleversé le pays et provoqué un grand tournant dans la politique. Ce n’est pas seulement l’assassinat qui a conduit à l’affaiblissement de la gauche, mais les circonstances historiques. Le terrorisme et les attentats-suicides dans les années 1990 et au début des années 2000 ont influencé de façon dramatique la psyché nationale. Mais, d’un autre côté, cela a conforté l’héritage de Rabin. Paradoxalement, après lui, tous les leaders ont été forcés d’aller dans le sens d’arrangements avec les Palestiniens. Tous ceux qui s’étaient opposés à la politique de Rabin l’ont adoptée. Benjamin Nétanyahou, Ehoud Barak avec les négociations de Camp David, Ariel Sharon et le retrait unilatéral dramatique de la bande de Gaza, Ehoud Olmert qui est allé aussi loin que possible avec Mahmoud Abbas... D’une certaine façon, ils sont tous allés dans le sens d’une solution à deux Etats, malgré le fait que, dans l’opinion publique, elle avait perdu substantiellement du soutien avec la vague de terreur.

Mais on a l’impression que le « camp de la paix » ne s’est jamais remis de la mort de Rabin...

La gauche a été affaiblie politiquement. Elle n’a pas réussi à s’en remettre. Depuis Barak [1999-2001], elle n’a pas réussi à former un gouvernement. Seuls des leaders de la droite et du centre ont été premiers ministres. J’en ai été proche lors des dernières élections, en mars. Je dirige le deuxième plus grand bloc dans la politique israélienne. Il y avait un désir de remplacer Nétanyahou et il existe une frustration croissante due à ses politiques. Néanmoins, l’état d’esprit de la population quand il s’agit de terrorisme, d’assassinats et de coups de couteau penche naturellement davantage vers la droite et le nationalisme. Dans ces circonstances, je persiste dans mes positions : nous devons aller vers une séparation d’avec les Palestiniens.

Certes, mais sur des sujets majeurs comme le terrorisme, le dossier nucléaire iranien ou bien le mouvement BDS, appelant au boycottage d’Israël à cause de l’occupation, il est souvent difficile de distinguer vos positions de celles de la droite. Pourquoi ?

Parce que nous y croyons ! Quand il s’agit de sécurité nationale, je ne serai jamais dans l’opposition aux citoyens israéliens. Je pense que l’accord sur le nucléaire iranien est très problématique et que Rabin aurait été d’accord. Je pense que le mouvement BDS est une menace existentielle pour notre légitimité et notre juste cause dans ce monde. Je veux m’assurer que notre nation a un Etat indépendant qui est la destination du peuple juif, à côté d’un Etat palestinien qui est la destination du peuple palestinien. J’ai aussi clairement fait comprendre à mon parti et à nos supporters qu’il fallait que nous allions vers le centre, car nous n’emporterons jamais la confiance des Israéliens si nous ne touchons pas leur cœur en matière de sécurité. Depuis des années, la droite nous accuse d’être des traîtres et d’avoir laissé tomber les questions de sécurité.

Au cours d’un échange de tribunes avec le célèbre journaliste du Haaretz, Gideon Levy, il y a quelques semaines, vous avez écrit que l’affrontement politique actuel en Israël opposait les pragmatiques aux messianistes. C’est-à-dire ?

Le messianisme commence quand les gens introduisent les questions religieuses dans le conflit et croient dans le « Grand Israël » [de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain]. Ils disent que si les choses restent en l’état, on surmontera tout et on sera victorieux. Le pragmatisme a toujours été la mission des hommes d’Etat travaillistes, depuis Ben Gourion jusqu’à Yitzhak Rabin et Shimon Pérès. C’est notre « raison d’être » [en français]. Nous débattions déjà de ce pragmatisme avec Menachem Begin [premier ministre 1977-1983]. Le pragmatisme signifie qu’on ne peut continuer comme cela à jamais, sans aller vers la paix.

Au cours des dernières législatives, en mars, vous avez été à la tête d’un camp qui s’est appelé Union sioniste. Le sionisme, ça veut dire quoi aujourd’hui ?

Le sionisme pragmatique des pères fondateurs était toujours inclusif. Le vrai débat avec la droite est : jusqu’où doit aller le sionisme ? Tous les citoyens doivent avoir les mêmes droits dans notre pays. Il faut préserver une justice indépendante et les valeurs démocratiques, qui reposent sur la justice sociale. Le sionisme messianique, lui, dit que tout découle des croyances religieuses, au mépris des autres personnes vivant sur cette terre.

Quand Rabin a été assassiné, il y avait 140 000 colons en Cisjordanie. Ils sont 350 000 à présent, et avec de puissants relais politiques...

Il existe une proposition de règlement pacifique entre Israéliens et Palestiniens avec échange de territoires. Elle reste valable. C’est la proposition Clinton de 2000. Elle concerne 80 % des colons. C’est donc encore faisable, on peut y arriver. Il faut essayer, encore et encore. Je crois qu’il existe une occasion en or, sur la base d’un concept régional. Il y a des pays dans la région qui partagent nos intérêts et nos défis, comme la lutte contre le terrorisme, l’Iran, l’Etat islamique, et qui veulent favoriser un accord entre nous et les Palestiniens. Il pourrait s’agir d’un moteur essentiel pour changer l’atmosphère dans la région.

Croyez-vous Benyamin Nétanyahou lorsqu’il affirme vouloir préserver le statu quo au sujet de l’accès à l’Esplanade des mosquées (mont du Temple pour les juifs) ?

Ça n’a rien à voir avec la croyance. Israël a toujours voulu, sans équivoque, préserver le statu quo sur le mont du Temple, et ce gouvernement aussi. D’énormes mensonges sont diffusés par les affiliés des Frères musulmans en Israël et ailleurs, sur ce sujet, qui a toujours fait couler le sang. Je crois dans le droit de chacun à pratiquer sa religion. Je crois aussi dans la prudence, basée sur des décisions religieuses [rabbiniques] au sujet des visites des juifs sur le mont du Temple.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.