La Syrie, champ de bataille mondialisé
Déjà actifs en Irak, le Royaume-Uni et l’Allemagne vont à leur tour, intervenir contre Daech en Syrie. Allié d’Assad, l’Iran y a engagé 5 000 hommes. Et Israël y mène aussi des opérations. Entre la Turquie et la Russie, aussi présentes sur le terrain syrien, le torchon continue de brûler.
- Publié le 01-12-2015 à 20h42
Le Royaume-Uni devrait confirmer mercredi soir son engagement militaire en Syrie contre Daech. Après une journée entière de débats, qui s’étendront de 11h30 jusqu’à 22 heures (soit 23 heures, heure de Bruxelles), les députés de la chambre des Communes devraient en effet accepter la demande du Premier ministre David Cameron de bombarder les troupes de l’organisation terroristes au-delà de l’Irak, où le pays intervient déjà depuis deux ans. Le leader conservateur avait indiqué en septembre "qu’ il ne retournerait devant le Parlement que s’il existe un véritable consensus au Royaume-Uni" sur ce sujet. Il semblerait que les attentats parisiens du 13 novembre et son allocution parlementaire de jeudi dernier lui aient permis d’obtenir une majorité assez confortable pour relancer la machine parlementaire et éviter une défaite aussi inconfortable que celle subie en août 2013.
Cameron convainc les indécis
"Les risques de l’inaction sont-ils plus grands que ceux de l’action ?" , a demandé David Cameron pour convaincre les indécis, avant de leur assurer que le pays figurait déjà dans la liste des cibles prioritaires de l’organisation terroriste, qu’il l’attaque ou non sur le sol syrien. Si les Libéraux-démocrates et le Parti national écossais ont d’ores et déjà prévenu que leurs 8 et 55 élus respectifs voteront contre l’intervention en Syrie, n’ayant pas du tout été persuadés par le bien-fondé de la stratégie, le Parti travailliste est partagé.
Le Premier ministre n’est pas parvenu à faire changer d’avis le leader du Labour, Jeremy Corbyn, opposant de toujours à la guerre non nécessaire, après avoir même été le président de la coalition "Arrêtez la guerre" jusqu’à son élection à la tête du parti. Il a cependant fait évoluer la position de nombreux élus travaillistes, parmi lesquels plusieurs des membres du cabinet fantôme, la direction du parti. En charge des questions liées aux Affaires étrangères, Hilary Benn a ainsi expliqué jeudi avoir trouvé les arguments de David Cameron "irrésistibles" .
Corbyn face à un choix cornélien et devant des difficultés
Jeremy Corbyn s’est alors retrouvé face à un choix délicat : soit il rendait officielle l’opposition du parti aux frappes aériennes et risquait de provoquer la démission de plusieurs membres de son équipe; soit il leur laissait les mains libres, au risque de voir se brouiller un peu plus l’image de son organisation. Face à cette possible révolte, et pour empêcher que celle-ci ne se transforme en une réelle division, il a finalement accepté que ses députés votent en leur âme et conscience. Environ 60 des 258 députés travaillistes pourraient ainsi voter en faveur des bombardements. Cela suffira à David Cameron pour passer outre la dizaine d’irréductibles conservateurs qui s’opposeront à lui et faire entériner sa requête.
Le signe d’apaisement de Jeremy Corbyn envers les siens ne marquera pourtant pas la fin des difficultés du Labour. "Les élus travaillistes se trouvent quoi qu’il en soit dans une position inconfortable" , nous explique Anthony Wells, directeur de l’équipe en charge des sujets politiques et sociaux de l’institut de sondages et d’études de marché Yougov. "Quelle que soit leur décision finale, ils agaceront soit la majorité des électeurs qui ont voté pour eux, soit les membres de leur parti. En effet, plus de la moitié des électeurs travaillistes sont favorables aux bombardements alors que la quasi-totalité des membres du parti y sont opposés." Des tendances qui n’ont guère évolué depuis les attentats de Paris. Et qui promettent des discussions tendues au sein du parti d’ici aux fêtes de fin d’année…
Le Bundestag va devoir se prononcer à la va-vite sur l’engagement militaire
Les députés allemands ne sont pas enchantés : en l’espace de quatre jours ils devront approuver l’engagement de 1 200 soldats en Syrie, décidé hier en conseil de cabinet. Le vote est prévu pour vendredi. Il ne fait pas de doute que le texte sera adopté à une écrasante majorité, mais beaucoup d’élus de la CDU, le parti chrétien-démocrate de la chancelière Angela Merkel, auraient préféré évaluer sans hâte les risques et aboutissements de l’intervention.
"C’est une procédure sommaire", s’est émue Simone Peter, coprésidente des Verts, traditionnellement pacifistes, pour approuver "l’une des plus grandes et plus dangereuses missions dans l’histoire de la Bundeswehr" qui, de plus, n’a pas d’objectif militaire précis. Bernd Riexinger, coprésident du parti d’extrême gauche "Die Linke", parle de la "rupture d’un tabou" et menace de porter plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Moins risqué qu’en Afghanistan
Les experts de la défense ne partagent guère ces appréhensions. La mission allemande en Afghanistan, avec un contingent de 5 350 combattants, avait été beaucoup plus risquée et onéreuse. L’intervention en Syrie doit coûter 134 millions d’euros par an, à opposer à un milliard par an en Afghanistan. De plus, en Syrie, la Luftwaffe sera présente avec des chasseurs-bombardiers Tornado, qui effectueront uniquement des vols de reconnaissance, et une frégate protégera le porte-avion français Charles-de-Gaulle. La proposition du commandant de la Luftwaffe de bombarder les milices de Daech n’a pas été retenue.
Les députés de la coalition critiquent surtout le fait que l’intervention alliée en Syrie ne repose pas sur un mandat en bonne et due forme du Conseil de sécurité de l’Onu. En Allemagne, concernant les engagements internationaux, les aspects juridiques et éthiques sont importants.
Angela Merkel a usé d’un argument massue en demandant de faire preuve de solidarité avec la France. "La France blessée invoque la clause d’assistance du traité européen et l’Allemagne n’a pas le choix", constate sobrement la radio Deutschlandfunk. Qui ajoute : "Les députés ne sont pas à envier." D’autres commentateurs notent que dans la crise des réfugiés, la France fait peu d’efforts pour assister l’Allemagne.
Appuyer Assad ou non ?
Le texte soumis à approbation du Bundestag noie un peu le poisson en disant que la "contribution allemande sert à appuyer en particulier la France, l’Irak et l’alliance internationale dans sa lutte contre l’Etat islamique". L’Allemagne fait partie depuis septembre 2014 de l’alliance internationale contre Daech : dans le nord de l’Irak elle a entraîné et équipé les peshmergas de centaines de missiles Milan et de milliers de fusils d’assaut.
L’appui éventuel des troupes syriennes est également controversé : le gouvernement y semble opposé, mais pour l’expert Wolfgang Ischinger, les seules troupes capables de combattre l’EI au sol sont celles d’Assad et "pour un certain temps, il faudra avaler la couleuvre Assad".
Plus de 5 000 soldats d’élite iraniens en Syrie
Plus de 5 000 membres de la Force al Qods , le corps d’élite des Gardiens de la révolution islamique (Pasdarans) iraniens combattent en Syrie au côté de l’armée syrienne. Ce chiffre, publié mardi par le Conseil national de la résistance d’Iran (CNRI), confirme que l’Iran fait plus qu’envoyer des conseillers militaires en Syrie (comme en Irak), un discours bien rôdé à Téhéran. Les (trop) vives dénégations des autorités iraniennes, de la nouvelle d’une blessure du général Qassem Souleimani, le commandant de ce corps d’élite, accréditent une présence massive de cette force dédiée aux missions militaires prioritaires du régime iranien à l’étranger.
Ces combattants iraniens s’ajoutent aux "dizaines de milliers de combattants du Hezbollah, des milices extrémistes irakiennes, ainsi que les mercenaires afghans et pakistanais qui combattent pour les Pasdarans", précise le CNRI dans un communiqué. Au printemps, une source issue des renseignements syriens chiffrait à 7 000 le nombre de combattants iraniens et (surtout) irakiens déployés autour de Damas. L’objectif, selon cette source, était d’y déployer jusqu’à 10 000 hommes, dont une partie devait être transférée dans les environs d’Alep (Nord). C’est là que le général Souleimani a été blessé, et que son adjoint est mort le mois dernier.