Le Théâtre palestinien de Jérusalem échappe à la faillite
Croulant sous les dettes, fin novembre, il a bénéficié d’une campagne de soutien.
- Publié le 03-01-2016 à 17h23
- Mis à jour le 04-01-2016 à 12h03
Faiblement éclairée, la salle de spectacle est vide et silencieuse. Debout, accoudé à la scène, Amer Khalil, le directeur du Théâtre national palestinien de Jérusalem, contemple les 300 fauteuils rouges devant lui.
En mai 2015, cette même salle résonnait des applaudissements du public après la représentation "Des Roses et du Jasmin", dernière grande coproduction en date avec le Théâtre des Quartiers d’Ivry en France. Fin novembre, le Théâtre a menacé de fermer ses portes à cause d’une dette de 600 000 shekels (soit 142 000 euros), du fait des nombreuses factures impayées - électricité, assurances et taxes locales - qu’il doit à la Municipalité israélienne de Jérusalem.
Fondé en 1984 sous la houlette du comédien et metteur en scène François Abou Salem, le Théâtre, aussi appelé El-Hakawati (le conteur, en arabe), occupe une vieille bâtisse de Jérusalem-Est - la partie palestinienne de la ville annexée et occupée par Israël. Véritable institution, il a permis l’éclosion du théâtre palestinien contemporain, un genre qui mêle une tradition locale ancienne au théâtre tel qu’il se pratique en Europe, avec une scène et un public, dans un espace fermé. En ces lieux, François Abou Salem fit du théâtre palestinien un genre artistique et professionnel. Depuis sa fondation, le fonctionnement d’El-Hakawati dépend des subventions versées par les Etats étrangers et des ONG locales et internationales : "Dans les années 1990, avec les accords d’Oslo et les espoirs de paix qu’ils ont suscités, nous avons reçu beaucoup d’argent, raconte Amer Khalil. Le déclenchement de la seconde Intifada en septembre 2000 a inversé la donne."
C’est le début d’une crise financière sans précédent pour le Théâtre, affaibli par des difficultés de gestion en interne. Aujourd’hui, " même si c’est un théâtre professionnel, il n’a pas les moyens de ses ambitions , résume Najla Nakhlé-Cerruti, agrégée d’arabe et doctorante sur le théâtre palestinien. Il n’a pas d’argent pour monter une saison."
La ville sainte isolée de la Cisjordanie
Et pourtant, le Théâtre national palestinien est une des dernières institutions culturelles de Jérusalem-Est. Le conflit israélo-palestinien et l’émiettement progressif du territoire palestinien ont isolé la ville sainte du reste de la Cisjordanie. De ce fait, les artistes lui préfèrent aujourd’hui Ramallah. Et le public se fait rare : "Ici, à Jérusalem-Est, on s’est mis à penser que la culture était réservée à une élite , explique Imad Muna, propriétaire de l’Educational Bookshop, une librairie fondée en 1986 . Le soir, les gens préfèrent rester chez eux plutôt que de sortir en ville; ils invoquent des raisons financières et sécuritaires, même si ce n’est pas toujours le cas."
La vie culturelle à Jérusalem-Est est aussi soumise à des contraintes politiques. Depuis 2000, selon le ministère israélien de l’Intérieur, il est interdit à l’Autorité palestinienne d’organiser des événements en territoire israélien, et donc à Jérusalem.
Le libraire se rappelle de l’événement "Jérusalem capitale de la culture arabe" dont l’inauguration devait justement avoir lieu à El-Hakawati en mars 2009 : "Les soldats israéliens sont arrivés pour mettre fin à la cérémonie. Nous nous sommes alors repliés au Consulat britannique."
Aussi, beaucoup dénoncent la politique de censure de l’Etat d’Israël à l’égard de la culture côté palestinien. Pour sa part, Amer Khalil reste prudent : "Ils n’ont par fermé le Théâtre mais ils préféreraient que nous (les administrateurs du Théâtre, NdlR) n’existions pas" , dit-il seulement.
Refus des subsides israéliens
A plusieurs reprises, la Municipalité de Jérusalem - située côté israélien - a proposé de financer El-Hakawati. Il s’y est toujours opposé, par refus de collaborer "avec l’Ouest" mais aussi pour rester libre dans sa production artistique. Au risque de le payer cher comme l’a montré ce récent épisode.
Malgré tout, Amer Khalil est confiant. Mobilisation des écoles locales, campagne internationale de crowdfunding sur Internet, aide promise par le gouverneur palestinien de Jérusalem… Depuis le début de la crise, les manifestations de soutien ont afflué et la dette a pu être remboursée à la fin décembre, selon le directeur. Il compte ensuite constituer un fond indépendant pour financer les futurs projets artistiques d’El-Hakawati : "Une nouvelle vie pourra alors commencer !", s’enthousiasme-t-il.
Un optimisme plus que nécessaire tant le Théâtre est symbolique pour les Palestiniens de Jérusalem-Est : "La culture est ici notre dernier rempart , rappelle Imad Muna. Nous devons résister car s’il tombe, c’en est fait de nous."