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En Israël, des ONG se défendent contre une vaste campagne de diffamation

Plusieurs de ces organisations de défense des droits de l’homme sont la cible d’une offensive de la part du gouvernement et d’extrémistes.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 05 février 2016 à 19h17, modifié le 07 février 2016 à 13h11

Temps de Lecture 5 min.

Des volontaires de l'ONG israélienne Rompre le silence dans leurs locaux de Tel-Aviv, le 16 décembre 2015.

La « cinquième colonne » fait front. Visées par une campagne de diffamation sans précédent du gouvernement et de la droite nationaliste israélienne, plusieurs dizaines d’organisations de défense des droits de l’homme se sont donné rendez-vous, vendredi 5 février, dans le port de Tel-Aviv. Ces ONG ont organisé un rassemblement festif dans une grande salle de concert, pour lancer un cri d’alarme et se compter. A quelques mètres de là, sur la promenade, des centaines d’Israéliens mangeaient en terrasse, déambulaient et couraient, profitant d’un soleil généreux.

Cinq de ces ONG les plus emblématiques ont tenu une conférence de presse pour exprimer leur colère et leur effarement devant « les efforts orchestrés et coordonnées pour détruire la société civile », selon la directrice de Rompre le silence, Yuli Novak. Cette organisation regroupant des vétérans de l’armée a été l’une des cibles choisies par l’organisation d’extrême droite Im Tirtzu. Celle-ci a lancé les hostilités au début de décembre en diffusant une vidéo qui prenait pour cibles quatre activistes de plusieurs organisations, qualifiés de « taupes » et de complices des terroristes palestiniens. Le parquet général n’y a pas vu de raison suffisante pour ouvrir une enquête. Pas plus que la publication régulière des téléphones et des adresses personnelles des activistes. Depuis, Im Tirtzu a dévoilé sur Facebook une liste d’artistes, comprenant les écrivains David Grossman et Amos Oz, accusés d’être des agents de l’étranger pour leur soutien aux ONG de gauche. Une initiative qui a suscité cette fois des condamnations unanimes de la classe politique.

« Les attaques contre la société civile ne finissent pas avec les organisations combattant l’occupation [en Cisjordanie], mais elles commencent certainement par elles », résume Hagai El-Ad, directeur de B’Tselem, qui documente les violations des droits des Palestiniens par l’armée et les colons. Selon l’activiste, cette « campagne orchestrée » a une double dimension : des textes présentés à la Knesset, le Parlement israélien, et un véritable déchaînement de haine sur les réseaux sociaux.

Ces attaques ne provoquent pas de forte mobilisation au sein de la société israélienne. C’est dû à leur ancienneté, sans même remonter à l’ère pré-Internet et aux terribles mois précédant l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin, en 1995. « Cela fait des années que ce gouvernement et les précédents travaillent pour délégitimer les organisations de défense des droits de l’homme, en les caricaturant comme des défenseurs de l’ennemi, dit Hagai El-Ad. Pour le gouvernement, la démocratie est le règne de la majorité. Or ce ne peut être juste cela. Il y a des valeurs et des droits qui ne dépendent pas d’un vote. »

Plusieurs textes de loi ont été mis sur la table des députés, depuis deux mois. Le premier visait à enregistrer comme « agents étrangers » les organisations touchant des fonds de l’extérieur. Un deuxième, à l’initiative de plusieurs députés de la droite radicale et religieuse, réclamait l’interdiction de Rompre le silence, qualifiée d’« organisation subversive voulant changer la politique d’Israël par des méthodes non démocratiques ». Un troisième projet a été avancé par la ministre de la justice, Ayelet Shaked. Ce texte, prétendument « de transparence », pas encore soumis au vote, prévoit que les ONG recevant plus de la moitié de leur financement de gouvernements étrangers devront le mentionner dans leurs rapports officiels et leurs représentants seront obligés de porter un badge spécial au Parlement. Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a fait retirer cet avilissement vestimentaire. Mais l’essentiel demeure : une volonté de marquer au fer rouge. « On publie déjà tous les trois mois sur notre site la liste de nos dotations », souligne Yuli Novak.

Nétanyahou, ennemi numéro un

Enfin, la ministre de la culture, Miri Regev, veut que son administration ait la possibilité de couper tout financement public pour les institutions qui se rendraient coupables d’outrage contre l’Etat, saliraient ses symboles ou nieraient l’existence d’Israël comme Etat juif et démocratique. Il y a quelques mois, la ministre avait menacé de retirer les fonds attribués à un cinéma de Tel-Aviv qui devait organiser un festival consacré à la Nakba, « la grande catastrophe » en arabe, c’est-à-dire l’exode des Palestiniens lors de la guerre israélo-arabe de 1948.

Rompre le silence est la cible numéro un de la droite nationaliste. Cette organisation de vétérans de l’armée, créée en 2004, concentre les attaques. Ses rapports reposent sur les témoignages anonymes – pour des raisons évidentes de sécurité et d’obligation de réserve – de soldats déployés en Cisjordanie ou dans les guerres successives dans la bande de Gaza. Le dernier rapport, publié en avril 2015, mettait au jour de graves allégations de crimes de guerre pendant l’opération « Bordure protectrice » à l’été 2014. En portant atteinte à l’image de l’armée israélienne – la « plus morale du monde », selon ses avocats zélés –, Rompre le silence commet donc en quelque sorte le plus grand des blasphèmes civiques.

La détermination de la droite radicale à détruire Rompre le silence dépasse largement le cadre des réseaux sociaux. Selon Yuli Novak, deux taupes ont été découvertes à l’intérieur de l’organisation. Depuis près d’un an et demi, ces hommes mandatés par une organisation d’extrême droite travaillaient comme volontaires après s’être présentés comme de simples soldats ayant un témoignage à apporter. « Ils ont passé des centaines d’heures avec nous, ils ont participé à des tournées et des conférences, ils ont pénétré dans nos domiciles, comme des amis, et ont enregistré nos conversations, qui seront un jour publiées, dit Yuli Novak. C’est très douloureux. Ces méthodes ont pour but de créer de la paranoïa et de la peur, pour qu’on se consume de l’intérieur. »

Le 28 janvier, Benyamin Nétanyahou s’est posé en adversaire numéro un de Rompre le silence, tout en prenant se distances avec la campagne orchestrée par Im Tirtzu. « Je ne suis pas d’accord avec l’emploi du mot “traître” pour ceux qui sont en désaccord avec moi mais, en même temps, je m’oppose à Rompre le silence, qui diffame Israël à l’étranger. » Deux semaines plus tôt, à la Knesset, le chef du gouvernement a appelé Isaac Herzog, le leader travailliste, à condamner l’ONG. Isaac Herzog a répondu : « Je suis dégoûté par ces opinions, mais je me battrai pour permettre aux gens de les exprimer. » Un soutien le nez bouché, qui exaspère les défenseurs des droits de l’homme, déçus de longue date par cette gauche si difficile à distinguer de la droite.

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