Les Arabes d’Israël : Etre à la fois Arabe et Israélien aujourd’hui
Le débat sur les Arabes israéliens est ravivé après un attentat à Tel Aviv. Entretien.
- Publié le 07-02-2016 à 19h36
- Mis à jour le 08-02-2016 à 06h04
La fusillade du 1er janvier 2016 à Tel Aviv, perpétrée par un Arabe israélien, qui a fait trois morts et sept blessés, a ravivé le débat sur la communauté arabe en Israël. Lors d’une conférence organisée par l’Institut national de Sécurité le 18 janvier à Tel Aviv, le président israélien Reuven Rivlin a alerté le public sur la présence de cellules affiliées à l’Etat islamique en Israël. Aussi a-t-il plaidé pour une meilleure intégration de la communautés arabe - qui représente 20,7 % de la population israélienne.
Des statistiques établies pour la conférence montrent que 80 % des Juifs israéliens considèrent leurs compatriotes arabes "avec suspicion" alors que 70 % de ces derniers "se sentent Israéliens". Inlassable artisan du dialogue israélo-arabe, le père Emile Shoufani, curé de Nazareth, répond à nos questions.
Que dire des débats nés après la fusillade du 1er janvier dernier ?
L’Etat d’Israël cherche à justifier cet attentat en y apposant le nom de Daesh parce que l’auteur est musulman. Mais il oublie que si la société arabe israélienne a des revendications, elle n’est cependant pas anti-Israël. Les Arabes israéliens n’ont jamais pris les armes contre l’Etat ou contre les lois. Il y a des manifestations mais elles s’inscrivent dans le cadre d’une vie démocratique où les citoyens ont le droit de s’exprimer. Les Arabes israéliens, qu’on appelle aussi "les Palestiniens de 1948", veulent rester en Israël mais ils exigent une justice sociale dans leur citoyenneté.
Se considèrent-ils donc pleinement comme citoyens d’Israël ?
Nous sommes citoyens et reconnaissons l’Etat d’Israël qui a été fondé sur des bases démocratiques. Mais aujourd’hui, il semble que les politiques marchent à reculons par rapport à ce projet initial. Or, les Arabes israéliens aspirent à vivre dans un Etat moderne : ils souhaitent une égalité de droits entre citoyens mais se sentent à ce titre inférieurs à leurs compatriotes juifs. D’ailleurs, le gouvernement israélien se trompe en voulant établir l’identité par le religieux, comme il le fait en ce moment.
En tant qu’Arabe et chrétien, comment vous définissez-vous ?
Ce n’est pas le religieux qui me relie à la Palestine, c’est mon arabité. Quand je discute avec un musulman, ce n’est pas du dialogue interreligieux. Chrétiens ou musulmans, nous parlons la même langue et partageons les mêmes références culturelles. Ici, je suis Palestinien et chrétien par mes origines, mais aussi Israélien, par ma citoyenneté. Ces appartenances ne sont pas contradictoires.
Quels liens existent entre les Arabes d’Israël et ceux de Cisjordanie ?
Tous se sentent proches car culturellement palestiniens. Cependant, les Arabes israéliens n’iront pas habiter en Palestine occupée ou dans un autre pays arabe; ils tiennent trop aux lois fondamentales d’Israël qui les protègent. La jeune génération n’a jamais vécu ailleurs qu’ici et ne connaît pas la Palestine occupée. Mais cela ne l’empêche pas de réclamer la fin de l’occupation israélienne à Gaza et en Cisjordanie.
Israël se trompe en voulant définir ses citoyens par leur religion, dit le Père Shoufani, curé à Nazareth.
La plus grande ville arabe d’Israël incarne l’identité de cette communauté partagée entre une aspiration à être reconnue comme telle et un désir d’intégration à la société juive.
A Nazareth, ou les enjeux de la société arabe d’Israël
Les Arabes israéliens se sentent dépossédés de leurs biens et de leur culture. Reportage.
La vieille ville de Nazareth se réveille doucement. Le souk déploie ses étals et chacun se salue d’un "Marhaba" ou "Sabah el kheir". L’angélus sonne aux clochers des églises. Le chant des muezzins a résonné plus tôt ce matin, du haut des minarets. Dans les ruelles, certaines maisons en pierre blonde ont leurs portes et volets clos. Le cœur ancien de Nazareth est devenu silencieux, contrastant avec la rumeur de la ville moderne aux maisons basses et aux boutiques alignées le long des rues souvent embouteillées. "Nous avons un trésor et nous n’en prenons pas soin", regrette Tareq Shihada, directeur de l’Association culture et tourisme à Nazareth, fondée en 2000 pour faire revivre la vieille ville et attirer les visiteurs. Depuis la seconde Intifada (2000-2005) puis la guerre de l’été 2014 à Gaza, le nombre de touristes et de pèlerins s’est progressivement amenuisé.
Tareq Shihada s’investit depuis quinze ans pour lutter contre cette baisse inquiétante. Il a sollicité le soutien de l’Etat afin de réhabiliter de vieilles bâtisses et les reconvertir en chambres d’hôtes. Une dizaine a été ouverte. Dans la ville moderne, deux grands hôtels viennent d’être construits. Mais l’association veille aussi à impliquer les habitants dans cette valorisation urbaine. Un acte à valeur aussi bien "symbolique" que "politique", pour qu’ils se réapproprient leur patrimoine.
Une communauté trop étouffante
Tareq Shihada fait partie de ces Arabes israéliens qui luttent contre la "manœuvre" de l’Etat d’Israël qui "les dépossède" progressivement de leurs biens et de leur culture. D’une énergie débordante, il s’investit dans de multiples projets culturels, sans jamais oublier les habitants de Nazareth. Les brochures touristiques publiées par l’association sont, par exemple, disponibles dans plusieurs langues, dont l’arabe.
Investie dans le parti nationaliste arabe Balad, Areen Hawari est de la même trempe. Pour désigner les Arabes citoyens israéliens et ceux des territoires palestiniens occupés, elle parle des "Palestiniens de 48" et de ceux "de 67". Cette native de Nazareth se présente avant tout comme "activiste politique et féministe" car elle "lutte contre le système patriarcal (dans la communauté arabe) entretenu par le système colonial" que leur "impose" Israël. Une"colonisation" qu’elle voit ici à Nazareth Illit, la ville nouvelle fondée en 1955 au-dessus de la ville arabe de Nazareth.
Et pourtant, la ville juive est de plus en plus investie par des familles arabes, désireuses d’y trouver plus d’espace et des services absents de la Nazareth historique. Mais aussi peut-être pour s’éloigner d’une communauté parfois trop étouffante. D’après des chiffres publiés en 2012, près de 20 % des habitants de Nazareth Illit sont désormais arabes.
Rentrer dans l’"écosystème juif"
Le combat pour la reconnaissance de la population arabe en Israël ne prend pas toujours cette forme de revendication. Sur le plan économique, avec l’arrivée des citoyens arabes sur le marché de l’emploi israélien depuis 2000, l’heure est d’abord à la coopération.
Lancé en février 2012, le Nazareth Business Incubator Center est financé par l’Autorité pour le développement économique des minorités en Israël, une institution gouvernementale, et soutient une quinzaine de porteurs de projets dans le domaine des hautes technologies. Fadi Swidan, son directeur, souhaite que les entrepreneurs arabes entrent dans "l’écosystème juif israélien" et contribuent ainsi à réduire l’écart de niveau de vie entre juifs et arabes en Israël.
En 2015, le taux de pauvreté est de l’ordre de 25,9 % pour les premiers contre 59,2 % chez les seconds. L’enjeu est de taille car il s’agit aussi d’un changement culturel, en passant "d’une entreprise familiale à un entreprenariat individuel fondé avec des partenaires choisis".
Un incubateur pionnier
Dans le domaine du high-tech, Israël - la Start Up Nation, selon l’expression de Dan Senor et Saul Singer dans leur ouvrage en 2009 - est à la pointe et les entrepreneurs arabes ont tout intérêt à bénéficier du savoir-faire israélien : "Il faut être réaliste. On ne peut rester repliés sur nous-mêmes, surtout dans ce secteur", explique Fadi, pragmatique. Depuis l’ouverture de l’incubateur à Nazareth, près de 70 start-up ont été lancées et 30 % d’entre elles bénéficient d’un financement solide. Quatre structures similaires vont être ouvertes dans des villes arabes du nord du pays, financées par l’Etat israélien. Si le secteur high-tech n’est pas la seule solution pour améliorer le niveau de vie des Arabes d’Israël, il est une petite pierre à l’immense chantier. Le 30 décembre 2015, le gouvernement a approuvé un plan quinquennal pour investir 15 milliards de shekels (3,45 milliards d’euros) dans le développement des municipalités arabes dans les domaines de l’éducation, le transport, l’emploi et le logement. Même si Fadi Swidan y voit un signe positif, il sait néanmoins qu’il faudra du temps : "La société arabe se méfie de l’Etat israélien, même lorsque ce dernier souhaite la soutenir", avoue-t-il, non sans dépit.
Des citoyens en quête de justice sociale
La communauté arabe d’Israël n’avait pas besoin de cela. La fusillade commise par l’un des siens, qui avait fait deux morts et sept blessés le jour de l’an en plein cœur de Tel Aviv, a renforcé la suspicion sur ces citoyens israéliens discriminés pour leur origine culturelle. L’auteur présumé, tué depuis, n’était pas le premier assaillant arabe d’Israël dans les attaques anti-juives de ces derniers mois.
Malgré leur citoyenneté israélienne, les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres après la fondation d’Israël se sentent discriminés par rapport à leurs concitoyens juifs. Ils réclament toujours des droits égaux. Leur meilleure représentation à la Knesset après le succès électoral d’une liste arabe unifiée aux législatives de l’an dernier est peut-être l’amorce d’un changement.
Au gré de trois reportages publiés dès ce lundi, "La Libre" propose de découvrir leur identité, leurs préoccupations et aspirations.