Culture

Conversation autour d'Hanouna devant la table du petit déjeuner

Où l'on parle de Charlie Hebdo et de pâtes dans les sous-vêtements, mais aussi de Benny Hill et de la bulle médiatique.

Temps de lecture: 6 minutes

Elle, tout à l’heure, quand les nains sont propres et nourris, dans l’interstice d’un café avant la suite. «Tu as vu que Charlie fait sa Une sur Hanouna?»

Pas vu.

Elle: «Ils le dessinent en moustique. Il est le moustique qui rend con.»

Moi: «J’espère qu’on n’a pas déjà dit que c’était antisémite.»

Elle: «Ca ressemble à une caricature de juif, quand même.»

Moi: «En même temps, il a une tête de juif, non?»

Je suis juif et ça se voit. Pour Cyril aussi. Je veux dire, si on me dessinait, il faudrait faire fort pour que je ressemble à autre chose qu’un juif. Je suis juif visiblement, ça m’envahit suffisamment pour que la seule chose que m’inspire cette histoire, c’est cette angoisse: qu’on reparle de nous. Je suis parano judéo-centré à l’heure du petit déjeuner. Et je la contamine, elle qui est bretonne. C’est peut-être à cause du moustique?

Il y a quelques années, un salaud de Minute avait dessiné Fabius en moustique, ou bien en vampire je crois, à l’époque de l’affaire du sang contaminé. On avait dit que c’était antisémite, parce que c’était Minute et parce que c’était Fabius. Ce n’est pas pareil. Fabius figurait un moustique suceur de sang quand Hanouna (je suis allé voir sur le web) inoculerait le virus de la connerie. Ah non. Fabius inoculait le sida… Sucer, ou inoculer. Pauvres nous. Pauvres moustiques.

La connerie, c’est moins grave. Charlie n’est pas antisémite. Charlie est politiquement correct, sur ce coup, c’est un plus grave défaut. Taper sur Hanouna, du haut de la non-connerie d’un journal satirique, c’est d’un facile. En même temps, qu’est ce qu’on s’en fout?

Elle, encore. «Il y a un bad buzz sur Hanouna en ce moment. Tu as entendu cette chronique sur France Inter l’autre jour?»

C’est ici que la famille pourrait basculer. Parce que je ne fais pas deux enfants à une femme qui dit «bad buzz» au petit déjeuner, et pourtant, ça vient d’arriver, alors qu’elle lit plus de livres que moi. Et elle cite Inter, ce qui est une faute de goût. Inter nous ressemble tellement, tellement en phase culturellement avec les tendres républicains de progrès que nous sommes (à la table du petit déj, dans mon quartier boboïsé, chez mes copains de vieux dîners), que l’écouter me semble incestueux. Groucho Marx n’aurait pas écouté une radio avec laquelle il était d’accord? D’ailleurs, je ne suis pas d’accord.

Moi. «Cette chronique sur Hanouna qui maltraite les gens et qui verse des nouilles dans le slip de son partenaire? Sans déconner? La chronique super bien faite pour rassurer les gens intelligents qui ne regardent pas Hanouna et qui se sentiront encore plus intelligents de ne pas le regarder?»

Elle. «Il est bon, Donnet, celui qui a fait la chronique. Il faisait du vrai décryptage au Grand Journal…»  

Faute de goût ou gap générationnel

Je ne sais pas si c’est une faute de goût ou juste un gap générationnel. Trente-trois contre cinquante-trois, ça se sent. Elle regarde des choses que je ne regarde pas. Elle est réac comme une jeune et moi je m’en foutiste comme un vieux. En même temps, Donnet est un quadra. Elle aimait sa voix et sa «petite semaine». Et il prend au sérieux ce qu’est l’air de notre temps. Lui et elle. Ils ont un sens moral que j’abandonne à l’aigreur, dès qu’on sort de la politique.

Elle. «Des vannes toujours mêlées à de l'humiliation, se charrier tout le temps, ça donne l'impression que ce mode de communication est cool, que c'est comme ça et sur ce ton qu'il faut se parler. C’est bien qu’on finisse par le dire, qu’il fait n’importe quoi!»

Notez bien. Nous n’avons pas acheté Charlie. Je n’ai pas entendu cette chronique d’Inter. J’ai eu tort. Elle a marché, puisque Hanouna a répondu, et c’est devenu un objet de parole. Elle ne regarde pas Hanouna. Elle s’inquiétait quand mon grand fils, ado, le regardait au lieu de préparer son bac. C’était un truc de jeune belle-mère. Ca ne l’a pas empêché d’avoir son bac et de jouer Olivier Py dans son cours de théâtre.

Moi. «Tu crois vraiment que la télé rend con?»

Elle. «Non. Mais il y a quelque chose. Tout le monde encensait Hanouna? Et là, ça se retourne…»

Moi. «Dans le petit milieu peut-être. En vrai, dans les audiences?»

Elle: «Mais tu vois bien le retournement… Il y avait une mode, et c’est fini…»

Elle marque un point. Dans la bulle des gens qui parlent des médias, il était de bon ton d’encenser Hanouna, parce qu’il le méritait, tout frais découvert… Et aussi, c’était le jeu, pour déstabiliser «Le Grand Journal», d’opposer la spontanéité potache de «TPMP» au verrouillage de celui-ci. Maintenant, le travail est fait. La machine à dire du mal du fenestron reprend sa marche. Et Cyril Hanouna, qui n’est plus tout frais, frôle un plafond de verre, pas à la télé mais à la radio, où Ruquier fait plus adulte. Et alors. Quand il était à la mode, il ne faisait pas moins de conneries!

Comme souvent dans les débats, il y en a un qui triche. C’est moi. Je suis dégueulasse, là, parce que je suis plus vieux qu’elle, et hypermnésique en plus, et c’est moi qui raconte, donc je me fais gagner.

«Tu connais Benny Hill?
–Non.»

Évidemment.

«Benny Hill était un gros anglais obsédé sexuel qui passait son temps à martyriser un petit vieux chauve dans ses émissions. Ce que Hanouna faisait à Delormeau, c’était de la rigolade en comparaison. Hanouna a vu Benny Hill, je suis sûr.»

Sale vieux. On n’invente jamais rien. C’est moi qui mériterait les pâtes aux sous-vêtements, comme tous les nomenklaturistes de nos petits milieux. J’en parle avec remords et perplexité.

Honnêtement.

Est-ce que je suis dans la bulle?

Est ce que je défends Hanouna parce que je le connais? On se croise dans les coulisses de nos télévisions communes, le pôle en clair du groupe Canal, lui qui EST D8, moi qui suis de iTélé. On s’embrasse. Sa bande fait du bruit dans un froufrou de costumes et de paillettes quand je me contente de nouer ma cravate pour parler politique. Je ne suis pas sûr de rendre quiconque plus intelligent, à propos. J’aime bien Enora aussi. Verdez. On parle foot. Cyril est un type intelligent, gentil, speedé et charmant, qui fait métier de faire rire les gens. Je serais speed aussi si je menais sa vie, mais serais-je charmant? Est ce que je défends Hanouna parce qu’il me dit du bien de moi quand on s’embrasse? Parce qu’il m’avait proposé vaguement de faire de la radio avec lui, ou du foot pour lui, et pour l’instant ça ne s’est pas fait? Parce que je voudrais que ça se fasse? Parce que je suis pauvre?

On a parlé une fois longuement, avec Hanouna justement, de notre judaïsme en commun et de ce pays qui part en vrille, et nos juifs ne sont pas les derniers. Cyril est mesuré et tolérant, et perplexe. Il a des copains animateurs qui passent leur vie sur internet à chercher des saloperies antisémites pour bien nourrir leur angoisse. Pas lui. Il n’est pas en prison.

Est-ce que je défends Hanouna parce que nous sommes des juifs raisonnables?

Oui.

Est-ce qu’un juif raisonnable a le droit de mettre des pâtes dans le pantalon d’un diplômé de HEC Montréal, si ça les amuse?

Est ce que je le défends parce que le pain sur la table, au petit déjeuner, vient du groupe Canal?

Mais est-ce que je défendrais «Le Grand Journal»?

Est-ce que j’ai raison d’écrire cela?

Est-ce que je voudrais dessiner dans Charlie?

Est-ce que je voudrais faire des chroniques sur Inter?

Oui.

Est-ce que je dis du mal d’une chronique d’Inter au petit déjeuner parce que je suis à ma table du petit déjeuner au lieu d’être sur Inter à dire une chronique que d’autres commenteraient en buvant leur café?

Oui.

Je ferais des chroniques sur Inter, ça ne serait pas pareil. Par exemple, je dirais du bien d’Hanouna sur Inter. Par exemple. Ou pas. Par exemple.

Est-ce que j’ai raison d’écrire cela?

Est-ce que j’ai peur pour ma soupe?

Est-ce que je suis dans la bulle?

Je ne travaille pas qu’à iTélé. Les vendredis notamment, je suis à «28 minutes» sur Arte et là, ce n’est pas Hanouna que je croise dans un vestiaire potache, mais souvent des dessinateurs de Charlie, partenaires de l’émission. Je les trouve aussi adorables que Hanouna, dans un autre genre. Plus trash que potrashes. Ils viennent avec leur sécurité. Ça fait partie de leur vie, et de la nôtre. Charb me manque, on se croisait aussi, et je n’aurai jamais avec lui la longue engueulade que nous aurions mérité entre un soc-dem libéral multiculturaliste et un rouge laïcard… C’est fichu. J’aime Charlie quand ils emmerdent le monde. Ils me fatiguent quand ils sont dans le vent dominant. Et ensuite?

Je suis dans la bulle.

Je voudrais ne pas être dans la bulle, ne pas connaître tout ça? Je voudrais être encore plus dans la bulle, parce que ça rassurerait mon banquier, ou alors plus du tout?

Je suis dans la bulle et elle a ses contradictions. Dans la réalité du monde sensible, pendant ce temps (ordinateur sur les genoux, un nain s’en va avec sa mère à la maternelle, l’autre s’est rendormi), elle m’a vu écrire et elle doute de moi.

«Tu vas te donner le beau rôle?
–Comment ça?
–Le beau rôle de défendre Hanouna, et moi, tu me fais passer pour la Polony du couple?»

On parle rarement de Polony au petit déjeuner, en même temps. C’est une faute de goût.

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