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#VivreAvec : « Comprendre ce monde nouveau et mouvant », par Annette Wieviorka

Tribune. Un souvenir hante la spécialiste de la Shoah depuis janvier 2015. Celui de l’attentat devant la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980.

Publié le 24 mars 2016 à 11h34, modifié le 01 avril 2016 à 09h13 Temps de Lecture 2 min.

Par Annette Wieviorka, spécialiste de la Shoah, directrice de recherche émérite au CNRS.

La résistance pourrait être définie comme elle l’est en physique  : une rétroaction. On résiste à quelque chose. Ainsi, certains historiens considèrent que, pendant la seconde guerre mondiale, tout acte s’opposant à la destruction des juifs d’Europe était un acte de résistance. Le camaïeu de ces actes est large  : des insurgés du ghetto de Varsovie aux jeunes filles qui organisèrent le passage d’enfants en Suisse ; du policier qui prévint de l’imminence des rafles aux familles qui cachèrent, au mépris de leur vie en Pologne, des juifs. Encore fallait-il être informé du sort des juifs dans les divers pays d’Europe ; encore fallait-il comprendre qu’ils étaient voués à la mort.

Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui, à Londres, dirigea le service de diffusion de la France libre expliquait qu’aucune information ne leur parvint, à lui et ses camarades, sur la rafle du Vél’d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942. En revanche, ils furent renseignés sur celles qui se déroulèrent le mois suivant en zone libre, et Radio Londres s’en fit l’écho. Mais, comme pour Raymond Aron et tant d’autres, les informations reçues ne faisaient pas sens  : « Les chambres à gaz, l’assassinat industriel d’êtres humains, non je l’avoue, je ne les ai pas imaginés, et parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne les ai pas sus. » Soixante-dix ans après la fin de la guerre, nous comprenons ce qui restait opaque aux contemporains.

Un souvenir me hante depuis janvier 2015. Celui de l’attentat devant la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980. Je me souviens de la mobilisation au lycée Jules-Siegfried, à Paris, où j’enseignais alors ; je me souviens du flot humain de la manifestation Nation-République où, pour la première fois, des francs-maçons défilèrent en tenue ; je me souviens de la violence de nos émotions et de notre détermination absolue à résister à l’extrême droite qui avait, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, tué des juifs sur le territoire de notre pays. Nous nous sommes alors trompés de cible. Les très rares voix – celle d’Annie Kriegel notamment – qui affirmaient que l’attentat n’était pas le fait de l’extrême droite, mais que la bonne piste était la piste moyen-orientale, furent étouffées. Il serait intéressant de relire ce que Le Monde écrivait alors. Ainsi, nous ne résistâmes pas contre le bon ennemi.

On peut vouloir résister pour être en paix, en accord avec soi-même. Mais résister à quoi ? Car le plus difficile, dans les jours que nous vivons, entre terrorisme et réseaux islamistes, crise des migrants, détricotage de l’Europe, c’est bien de comprendre ce monde nouveau et mouvant dans lequel nous vivons. En ce sens, la responsabilité de nous aider à comprendre incombe d’abord aux médias et aux politiques, à leur capacité d’écouter ceux qui ont la meilleure connaissance des situations, à leur capacité d’imaginer dans la lucidité et le respect de la vérité, et de nous faire connaître ce qu’ils ont compris.

Annette Wieviorka, spécialiste de la Shoah, est directrice de recherche émérite au CNRS.

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