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1986 : la parole de paix d'Elie Wiesel honorée par Marek Halter

Elie Wiesel en 1988. Monier/Monier/Rue des Archives

LES ARCHIVES DU FIGARO - Elie Wiesel s'est éteint ce samedi 2 juillet 2016, après avoir consacré sa vie à la mémoire de la Shoah. Il y a 30 ans Marek Halter lui rendait hommage alors qu'il recevait le prix Nobel de la paix.

Article paru dans Le Figaro du 15 octobre 1986.

Du silence à la parole

Ainsi mon ami Elie Wiesel vient d'être couronné prix Nobel de la paix.

Elie Wiesel n'est pas n'importe quel combattant de la paix. C'est un homme de paix et qui parle. Il parle comme le firent avant lui le juif portugais Samuel Husque en 1553, le juif avignonnais Joseph Hacohen en 1560, et le juif polonais Emmanuel Ringelblum dans le ghetto de Varsovie.

Elie Wiesel parle des ténèbres pour subjuguer les ténèbres, il parle des morts pour secouer l'indifférence des vivants.

Elie Wiesel est né en 1928 en Transylvanie, ce pays des montagnes et des forêts qui vit se déployer, au début du dix-huitième siècle, au milieu d'une population miséreuse et humiliée, l'espoir porté par le mouvement hassidique. Le cri, le chant, la danse d'un homme simple et sincère, enseignait Rabi Baal Chem Tov, sont aussi agréables à l'oreille de l'Eternel que la prière d'un Docteur de la Loi.

Les voyages forment la jeunesse, disait-on aussi en Transylvanie. Et l'enfant Elie Wiesel rêve de voyages. Son premier voyage le conduit, à l'âge de seize ans, en un lieu dont le nom est aujourd'hui gravé dans la pierre noire de Yad Vachem, à Jérusalem: Birkenau.

Comme le voyageur de Dante, Elie Wiesel parcourt toutes les stations de l'enfer: Auschwitz, Monowitz, Buchenwald. Il survit, à jamais marqué aux chiffres de l'horreur.

En 1946, Elie Wiesel arrive à Paris. Habité par le souvenir d'un monde disparu, il sait qu'il peut le préserver de l'oubli en le transmettant. «Pour un survivant, dit-il, écrire est une obligation, un devoir.»

Mais si l'on peut raconter le schtetl et ses chants, si l'on peut décrire le maguid de Mezritch et ses élèves en prière, si l'on peut croquer des enfants riant en yiddish, est-il possible de dire Auschwitz?

Camus est entré en littérature par adoration. Elie Wiesel, lui, y est entré en silence. «C'est en cherchant le silence, en le creusant, que je me suis mis à découvrir les périls et les pouvoirs de la parole», dit-il.

Son premier roman, La Nuit, préfacé par François Mauriac, paraît en 1958.

Depuis, Elie Wiesel ne cesse de témoigner, Pour les juifs d'Union soviétique, les «juifs du silence», à qui l'on interdit de s'exprimer et de rejoindre Israël. Pour les Cambodgiens qu'on massacre. Pour les Noirs d'Afrique du Sud qu'on opprime. Pour les Afghans qu'on occupe. Pour les Mesquitos qu'on déporte... Il ne se lasse pas de nous rappeler à l'essentiel.

Par l'intermédiaire d'Elie Wiesel, c'est aussi cette arme redoutable et longtemps oubliée, et que l'écrivain a toujours mise au service des droits de l'homme - la parole -, qui est aujourd'hui couronnée.

Marek Halter

1986 : la parole de paix d'Elie Wiesel honorée par Marek Halter

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8 commentaires
  • Cohen75

    le

    Le film Shoah de Claude Lanzmann devrait passer sur toutes les chaines pendant une semaine afin que les gens comprennent cd qu'il s'est passé. Ainsi, le monde ira mieux.

  • Jean Poulain

    le

    Le referait-il aujourd'hui ?

  • polonia

    le

    Dans un commentaire précédent, j'évoquais un repas extrêmement fructueux à Maubeuge auquel Marek Halter a aussi participé avec Elie Wiesel et Jacques Duquesne. Marek, c'est un type bien qui fournit un travail d'historien inouïe. Il faut le suivre, même en Ukraine.

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