Denis Ducarme (MR): "Sur le web, nous devons être aussi créatifs que Daech"

Que vous inspire l’attentat de Nice ?

C’est une douleur. Mais c’est aussi se rendre compte que la classe politique de manière générale aurait dû être attentive plus tôt à un certain nombre de signaux comme la montée du radicalisme. C’est désormais un acquis du MR dans les travaux de la commission d’enquête. Nous pourrons nous pencher sur les réponses à donner, en tirant les leçons du passé.

Vous accusez qui ?

Personne. Il y a eu une naïveté collective. Je me suis retrouvé très seul par le passé pour aborder ces questions. Le premier qui m’a tendu la main, c’est Charles Michel quand il était président de parti et nous avons alors intégré ces questions dans notre programme. A l’époque, j’ai utilisé des termes très forts. J’avais parlé de guerre.

Vous maintenez ce mot ? Nous sommes en guerre ?

Bien entendu. Nous sommes en guerre sur deux fronts. Premièrement, contre Daesh avec nos F 16 et nos formateurs. Et deuxièmement ici, avec un adversaire qui frappe et qui tue. Je le dis depuis longtemps. Quand il y a eu les premiers départs de Belges pour la Syrie, j’ai demandé leur interdiction. Il a fallu attendre ce gouvernement pour qu’on le fasse. On a été extrêmement naïf. Je sens encore que certains ont des scrupules à poser des actes politiques essentiels à notre sécurité.

Est-ce qu’en matière de sécurité vous vous fixez des limites ?

La Belgique doit continuer à rattraper son retard en la matière. Il faut aussi anticiper les nouvelles formes de menaces liées au risque terroriste. Notre limite, c’est de réussir l’équilibre entre le respect des libertés individuelles et la sécurité de tous. Il ne s’agit pas de répondre à la menace par des excès sécuritaires, mais il va falloir être plus dur sur certains aspects.

Lesquels ?

J’ai proposé, il y a longtemps, la surveillance électronique des personnes radicalisées. Ce doit être la décision d’un juge plutôt que d’une administration. On va aussi devoir aller plus loin pour ce qui est du recrutement, en s’attaquant à l’apologie du terrorisme comme on le fait pour les expressions racistes et antisémites. Nous devons avoir une logique plus offensive sur le web.

Concrètement ?

Comme le fait Daech, en ayant recours à des clips. Nous devons utiliser des moyens de communication qui suivent le même canevas. En leur répondant dans leur langage. Nous devons convaincre et séduire les gens qui sont tentés par Daech.

Daech appelle ses sympathisants à travers le monde à tuer de n’importe quelle manière. Ne doit-on pas craindre la multiplication des actes menés par une seule personne, plus difficiles à détecter ?

Je ne souscris pas à la thèse du loup solitaire. La connexion s’établit toujours. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas mais c’est pour cela que nous devons continuer à apprendre de ceux qui luttent déjà contre toutes ces formes de menaces. Je peux citer Israël mais également les Etas-Unis. Ils ont intégré ces formes d’attaques dans leur doctrine antiterroriste. Aucun gouvernement avant celui-ci n’aura jamais fait plus pour la lutte contre le terrorisme et le radicalisme.

C’est aussi le premier qui se retrouve face à de tels actes.

Gouverner, c’est prévoir. Compte tenu de la menace qui existait déjà, toute une série de mesures devaient être prises sous le gouvernement Di Rupo.

La commission d’enquête consacrée aux attentats répond à vos attentes ?

Oui, parce qu’il y a une volonté chez chacun de passer le fonctionnement au scanner et de dire ce qui s’est bien passé et où il y a des choses à améliorer. La volonté est de construire ensemble. Et j’aspire à ce que les deux prochains volets, sur l’architecture de la sécurité et sur la montée du radicalisme, se tiennent avec maturité et je me surveille aussi.

"Sans la Fédération, dans vingt-cinq ans, on parlera davantage le néerlandais que le français à Bruxelles"

Deux députés, un MR et un VLD souhaitent refédéraliser certaines compétences. Vous êtes d’accord avec eux ?

Le MR n’est pas demandeur d’une nouvelle réforme de l’Etat. Se positionner de la sorte, c’est en demander une. Si vous venez avec une revendication, aussi sympathique soit-elle, comme celle-là, on va vous demander des choses qui le seront beaucoup moins. Ce que je constate en tant que chef de groupe, c’est qu’on peut enfin se concentrer sur les enjeux socio-économiques et de sécurité et laisser le communautaire-institutionnel sur le côté.

Lorsqu’on entend les propos récents de Geert Bourgeois lors de la fête flamande, vous considérez que la N-VA mange sa parole ?

Je dis à la N-VA qu’elle doit assumer d’avoir décidé de mettre le communautaire au frigo. Par leurs sorties, ils essayent peut-être de le faire oublier mais c’est la réalité.

Lorsqu’on voit les rapports entre le fédéral et les gouvernements wallons et bruxellois, n’est-il pas temps de trouver un terrain d’entente ?

J’en ai parlé avec Charles Michel, il y a peu de temps. Je sens une volonté, dans son chef, de faire fonctionner la concertation. Je vois aussi le ministre-Président wallon qui ne supporte pas de ne pas être président du PS. Il y a une instrumentalisation politique, de confrontation avec le fédéral.

L’ambiance au MR est-elle bonne ? Les discussions récentes autour de la doctrine qui ont mis au placard la volonté de certains de créer une Belgique à quatre régions ont dû frustrer certains libéraux ?

Nous avons mené un travail nécessaire au MR grâce à Olivier Chastel. Ce qui est clair, c’est que nous avons fortement conforté l’unité des francophones même si le fait régional est incontournable. Je ne me suis pas ménagé là-dessus, mais l’unité des francophones à travers l’enseignement, la culture ou encore l’audiovisuel doivent constituer notre socle commun. Si on ne fait pas cela, dans vingt-cinq ans, on parlera davantage le néerlandais que le français à Bruxelles.

La Fédération Wallonie-Bruxelles reste la plus belle arme pour protéger Bruxelles ?

De mon point de vue, oui. En tout cas, une Fédération qui fonctionne - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les matières liées à l’enseignement, à la culture et à l’audiovisuel constituent le lien entre les Wallons et les Bruxellois. Et ce lien doit, à mon sens, être conforté. Sur d’autres matières, il peut y avoir des discussions.

Chaque membre du MR trouvera donc son bonheur dans cette nouvelle doctrine ?

Bien entendu, chacun s’y retrouve. Chacun peut respirer et chacun peut agir.

Où en est le MR dans sa réflexion sur l’inscription de la neutralité de l’Etat dans la Constitution ?

Je travaille avec Richard Miller la main dans la main et nous avons pu imposer un débat en commission. Le 15 septembre, nous débattrons en interne et nous déposerons la position du MR le 30 septembre. Le respect de la liberté de culte est essentiel pour nous. Nous devons pacifier et réconcilier notre société. Aujourd’hui, nous n’avons pas, dans ce pays, de références juridiques suffisamment solides pour répondre à ces questions qui nous empoisonnent. Et je vois que petit à petit sur ces questions, le PS sort de son coma. Je veux en profiter pour tenter, tant que possible, de les faire rejoindre la majorité des deux tiers nécessaires à cette modification de la Constitution.

Vous pensez qu’une modification de la Constitution va régler tous ces problèmes ?

Ça aidera, même s’il n’y a pas de solution miracle. Je pense que dans le respect total de la liberté de culte de chacun, nous avons besoin de cette neutralité.

Wouter Beke dit que c’est l’agenda des loges maçonniques qui dictent ce débat. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas maçon. Mais soyons clairs. Derrière ça, qu’est-ce qui se cache ? La N-VA. La concurrence intraflamande est forte au sein de ce gouvernement. Cette concurrence existe sur différents fronts et il est clair que la N-VA entend, sur le plan du marché électoral, faire de la concurrence au CD&V. C’est sans doute ce qui explique cette forme de vocabulaire exacerbé.