Initiatives citoyennes (2/7): la vieille ville de Nazareth prend un coup de jeune
On dit de Nazareth qu'elle est la capitale arabe d'Israël, forte de 74 619 habitants, dont 69% de musulmans et 30,9% de chrétiens. Aujourd'hui, certains de ses habitants luttent pour le maintien et la reconnaissance de leur identité arabe par le prisme culturel. Reportage.
- Publié le 23-08-2016 à 10h38
- Mis à jour le 23-08-2016 à 10h45

Vingt-trois heures sonnent à Nazareth. A cette heure avancée, on ne devrait plus croiser un passant dans les ruelles sombres de la vieille ville. Les anciennes bâtisses affichent d'ailleurs portes et volets clos. Mais en voici une dont les larges portes à battants sont ouvertes, quelques individus discutant sur le pas. A l'intérieur, un piano droit, unique signe du concert de jazz qui vient de se terminer. Il a été acheminé jusqu'ici tiré par un âne, car les rues étaient trop étroites pour faire passer un camion. "Avec nos petits moyens, nous avons toujours eu de bonnes surprises", sourit Sami, l'un des fondateurs du café Liwan inauguré en juin dernier.
Le projet est né de deux couples d'amis engagés à faire revivre le cœur historique de Nazareth. Sami et sa compagne allemande Silke ont déjà fondé Simsim (sésame, en arabe) en 2014, une auberge de jeunesse située à l'étage de la grande maison qui abrite désormais Liwan au rez-de-chaussée. "Elle était très abîmée", se rappelle Sami. "Nous avons convenu avec le propriétaire de la rénover sans payer de loyer." Sami et Silke renseignent toujours les routards sur Nazareth dont beaucoup ignorent "qu'il s'agit d'une ville arabe".
L'idée du café naît avec Sally et Jonathan. "En bas, c'était un débarras", poursuit Sami. "J'y entreposais de vieux meubles sans savoir quoi en faire." Début 2016, la vaste pièce est enfin nettoyée et restaurée, ses murs repeints en jaune et blanc. On y met des fauteuils, une grande table en bois et des étagères remplies de livres. "Ce n'est pas tant le lieu qui importe que ce qu'on y propose", rappelle Silke. Eux rêvent d'un espace alternatif et culturel où chacun, étranger ou local, trouve sa place. "Certains habitants de Nazareth ne sont pas venus depuis quinze ans dans la vieille ville, il faut les faire revenir."
Investir dans un "quartier malfamé"
En effet, celle-ci paraît presque déserte et la vie animée de son immense souk appartient au passé. Près de la mosquée blanche, quelques marchands continuent de vendre leurs fruits et légumes, non loin de rares échoppes encore ouvertes. Remontons en 1996 : la visite annoncée du pape Jean-Paul II en Terre sainte en 2000, avec un passage obligé par Nazareth - où l'ange Gabriel aurait annoncé à Marie qu'elle serait la mère de Jésus Christ -, conduit le gouvernement israélien à engager des travaux de fond pour restaurer les infrastructures dans la vieille ville. Pendant quatre ans, le souk devient inaccessible, ses boutiques ferment et le marché aux légumes est transféré à Nazareth Illit, la ville nouvelle juive située sur les hauteurs. Certains habitants ne supportent plus de vivre dans ce chantier permanent et partent. Les familles modestes et plus traditionnelles restent. Le quartier se paupérise.
"Cinq cents maisons ont besoin d'être restaurées", constate Razan, une jeune architecte revenue ici après ses débuts à Tel Aviv. Son cabinet est situé dans une vieille demeure où elle a aussi ouvert un café en novembre 2015. "Les locaux ont mis du temps mais maintenant ils viennent aussi". Le choix de ces jeunes Arabes israéliens d'investir ce "quartier mal famé" est parfois mal perçu.
Préserver la culture arabe
Alors avec des collègues, Razan a fondé une association pour aider les propriétaires à restaurer leur maison et ainsi revaloriser l'architecture urbaine de Nazareth - bâtiments en pierre de taille, portes et volets de teintes pastel ou plafonds sculptés à l'intérieur. Un patrimoine témoin de la prospérité marchande de la ville aux XVIIIe et XIXe siècles. Et comme la loi israélienne de 1978 sur les antiquités ne protège que les objets datant d'avant 1700, "rien n'est fait pour cet héritage qui tombe en ruine".
Contrairement à d'autres villes arabes en Israël, la population ici n'a pas été évacuée pendant la guerre de 1948 : la plupart des propriétés sont restées privées alors qu'à Jaffa ou Acre, une fois abandonnées, elles ont été confiées à l'Amidar, un organisme public fondé en 1949 pour administrer les biens immobiliers en Israël. Les restaurations à Nazareth sont donc le fait d'initiatives privées.
Et chouaié chouaié (petit à petit, en arabe), elles se multiplient : une Académie de mode vient d'ouvrir dans un de ces lieux majestueux. A l'intérieur, ça sent encore la peinture fraîche mais des mannequins ont déjà été posés dans les pièces à plafond en arcs brisés. Saher, le fondateur, s'est installé là parce que "ça [lui] rappelle l'Italie" où il a vécu sept ans. Son académie est la première de langue arabe en Israël. Une fierté pour le jeune homme qui se dit "Palestinien avec un passeport israélien". Car l'enjeu est aussi identitaire. A ce titre, le café Liwan n'est pas un projet de "coexistence [entre juifs et arabes]" ou "pour la paix", rappelle Sami, mais plutôt un lieu pour "préserver la culture arabe et la faire connaître".