Les désillusions des agriculteurs israéliens
Le désert du Néguev, au sud d’Israël, couvre plus de la moitié du territoire mais compte moins de 10 % de sa population. Investie par des colons pionniers dès les années 60, la vallée de l’Arava, à l’est, s’est spécialisée dans l’agriculture d’exportation. Un modèle aujourd’hui en crise, à la recherche de nouvelles formes de production et d’organisation. Reportage.
- Publié le 06-09-2016 à 20h10
- Mis à jour le 06-09-2016 à 20h13
Midi passé, le soleil est au zénith. Quarante degrés à l’ombre, une température habituelle pour la saison à Hatzeva. Des deux côtés de la route poussiéreuse qui mène au mochav (un village communautaire), un alignement de longues tentes aux toiles beiges : "Si les serres sont couvertes d’une toile noire supplémentaire, c’est qu’on y cultive quelque chose", explique Dani Bar-El. Seulement, beaucoup restent couleur de sable. Un tracteur passe ; ses conducteurs et passagers ont le visage enrubanné, parfois un chapeau pointu sur la tête.
"Les Thaïs, qui travaillent sur les exploitations", commente cet Israélien de 69 ans, agriculteur dans ce coin du sud-est du pays proche de la frontière jordanienne. En 1985, c’étaient des Thaïlandais. "Ils viennent aujourd’hui de toute l’Asie du Sud-Est. Mais on continue de dire les Thaïs", poursuit Dani. Ils sont des milliers, employés pour des contrats de cinq ans dans les fermes de l’Arava.
Dans cette région désertique, une bande de terre qui s’étend de la mer Morte (au nord) à Eilat (au sud, au fond du golfe d’Aqaba), il n’y avait pas de "réservoir de main-d’œuvre comme ailleurs dans le pays", raconte Dani, qui est aussi l’un des fondateurs du mochav. En 1965, "treize familles et six célibataires" sont venus s’installer ici, répondant à l’appel du Premier ministre David Ben Gourion de venir peupler et "faire fleurir" le désert du Néguev. "Au début, nous campions près du puits sous la tente, se rappelle-t-il. Chaque famille avait reçu vingt dunams (deux hectares) pour travailler la terre".
Une irrigation au goutte-à-goutte
Idéalistes et enthousiastes, ces jeunes pionniers ont su rendre arable ce sol sec et caillouteux, où poussent de rares arbres ou buissons rabougris. Ils apprennent à surmonter les contraintes du milieu : face aux tempêtes de sable et aux insectes ravageurs, la culture sous serre s’impose rapidement.
L’irrigation au goutte-à-goutte permet aussi un gaspillage moindre en eau. "Au niveau des cultures, on a tout essayé", poursuit Dani. "Puis, on s’est spécialisés dans les oignons, les tomates et les aubergines. Certains se sont mis à faire des fleurs. Notre avantage, c’était de cultiver en plein hiver dans des conditions d’été." Ce qui leur permet d’exporter notamment en Europe.
Dans les années 90, plus de 70 % de la production florale et maraîchère - tomates, melons, aubergines et poivrons - partent à l’étranger. Mais depuis, la demande européenne s’est ralentie, du fait de la crise économique et de nouveaux règlements adoptés par la Commission européenne. Les débouchés sont devenus incertains d’une année sur l’autre et, surtout, les fermiers de l’Arava ne reçoivent "plus rien du gouvernement". "L’argent part (dans les colonies) en Cisjordanie." Le soutien sans faille des débuts s’est tari. Si Dani affirme que "l’Etat israélien [lui] a tout donné", aujourd’hui son fils "n’en reçoit rien, pas même sa bénédiction". A la retraite, Dani représente une génération qui ne peut "plus influencer la vie politique". Sur les 7 500 habitants de l’Arava, 15 % ont plus de soixante ans, pour 5 % en 2005. Alors pour pallier la crise agricole, le tourisme vert se développe autour de Hatzeva.
Dans un ancien kibboutz
Les mochavim sont les principaux foyers de peuplement du nord de l’Arava ; au sud, les kibboutzim. Deux formes de communautés agricoles juives antérieures à la fondation de l’Etat d’Israël. Situé à une centaine de kilomètres au nord d’Eilat, Neot Semadar a pour sa part été fondé en 1989 seulement, à l’emplacement d’un ancien kibboutz, Shizafon. En s’établissant dans ces lieux reculés, ses membres veulent instaurer un système autonome où la vie collective serait envisagée comme un tout cohérent dans lequel s’intègrent le travail, les relations sociales et l’expression de la personnalité de chacun.
Oasis de verdure au milieu du désert, Neot Semadar se repère de loin grâce à la haute "tour des vents" de son centre d’art. Il a fallu quinze ans pour construire ce bâtiment digne d’Alice au pays des merveilles. Autour des maisons basses et des caravanes: des oliveraies, des vergers, des vignes et un troupeau de chèvres. Sans compter les deux palmeraies. L’agriculture est autant un moyen de subsistance que le lieu d’un vivre et faire ensemble. Ancrage dans le réel garanti. Si les fruits, le vin et les fromages sont vendus dans tout le pays, les dattes sont principalement destinées à l’export.
Dans la plantation, la cueillette a d’ailleurs commencé à six heures ce matin. Les équipes désignées pour la journée sont réparties sur plusieurs zones, hissées par une grue en haut des arbres. Là, des filets noirs protègent les grappes dont les fruits mûrs sont récoltés avant d’être triés selon leur couleur et donc leur maturité. A huit heures, on retrouve la terre ferme pour un petit-déjeuner pris en silence à l’ombre d’une tente, suivi d’un temps de parole. La cueillette reprend ensuite jusqu’en début d’après-midi.
Conversion en culture biologique
Ehud, 41 ans, est responsable des palmeraies depuis six ans. Une tâche qui lui a été attribuée par la communauté et dont il s’acquitte avec brio : "Je n’avais pas d’intérêt particulier pour les arbres, sourit-il. Mais j’y suis allé parce qu’on me l’avait demandé. Dans n’importe quelle situation, on apprend au final sur les autres et sur soi".
Une vision idéaliste qui n’empêche pas l’exigence du travail bien fait. Délaissées après le départ des premiers kibboutzniks, les palmeraies ont été remises en état et converties en cultures biologiques dix ans plus tard. "Le bio, ce n’est pas seulement l’absence de produits chimiques, c’est aussi l’organisation humaine", ajoute Ehud.
Clé du succès ou pas, Neot Semadar est en tout cas devenu spécialiste de la culture des palmiers dattiers et la production a doublé en cinq ans. "Il suffit d’être attentif. Avant, nous arrosions trop les arbres. Aujourd’hui, ils reçoivent moins d’eau et vont mieux. Idem pour le compost qu’on enfouit désormais. La valeur nutritionnelle du sol s’est considérablement enrichie." Plus de 500 tonnes de dattes medjoul et deglet nour sont récoltées d’août à octobre. Conditionnées, elles sont ensuite exportées par la coopérative israélienne Hadiklaim dans le monde entier.