Où Joseph Sitruk était-il le plus lui-même ? Le lundi soir quand il donnait, presque chaque semaine que Dieu fait, son enseignement aux jeunes, à Paris, dans la synagogue bondée de la rue de la Victoire (9e) ? Ou quand il haranguait la foule lors de ses Yom Hatorah, ces rassemblements de masse du Bourget où il invitait toute sa communauté dans une sorte de kermesse fervente et chaleureuse ? Ou tout simplement en famille, au milieu de ses enfants – neuf –, quand il allumait les bougies de Hanouka ?
Mort dimanche 25 septembre à 71 ans, il emporte avec lui nombre de mystères. Joseph Sitruk était un intellectuel juif, mais détesté par les intellectuels juifs. Charismatique, moderne, mais confondu avec l’orthodoxie la plus archaïque.
Une figure symbolique
Lecteur insatiable – raffolant du Talmud autant que des revues automobiles –, mais aussi homme de terrain et capitaine d’équipe. Attaché aux institutions laïques mais vitupéré pour son intégrisme. Prêchant le dialogue entre les religions, mais se frottant assez peu, sinon pour une rencontre à l’Elysée ou une cérémonie commémorative, à ses pairs catholiques, protestants ou musulmans.
Né le 16 octobre 1944, à Tunis, formé à Strasbourg, d’abord grand rabbin de Marseille, Joseph Sitruk fut élu grand rabbin de France pour la première fois en 1987, réélu en 1994, puis le 17 juin 2001.
On l’a accusé d’avoir remanié les statuts pour se doter d’une sorte de mandat à vie, incompatible avec l’esprit du rabbinat. Mais en un peu plus de trois septennats, il aura été la figure la plus symbolique de toutes les mutations de la communauté religieuse juive, de sa vitalité fiévreuse, de son orthodoxie toujours plus rigoureuse, de son exigence de l’étude, aussi de ses conflits internes, toujours au bord de la rupture, enfin de sa proximité inconditionnelle avec Israël.
Rabbin bâtisseur
C’est à ce rabbin bâtisseur que les écoles juives doivent leur succès. Seules des contraintes financières l’empêchaient d’inaugurer toujours plus de synagogues et de centres communautaires.
Pour les grandes options de la vie religieuse (cashrout, mariages, conversions), appuyé par un beth din (tribunal rabbinique) trié sur mesure, Joseph Sitruk était d’une intransigeance absolue, dissimulée sous un éternel sourire et un art de séduire, par le geste et un verbe toujours émaillé de références talmudiques, qui n’appartenait qu’à lui.
Ce leader né était aussi un spirituel. Couche-tard, il étudiait jusqu’à une heure avancée de la nuit, mais chaque matin il était le premier à l’office dans sa synagogue de Neuilly, dans les Hauts-de-Seine.
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