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L’adieu à Shimon Pérès rassemble tous les Israéliens

Les funérailles de l’ancien président sont prévues vendredi, au matin, sur le mont Herzl, à Jérusalem.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 29 septembre 2016 à 20h33, modifié le 30 septembre 2016 à 06h45

Temps de Lecture 5 min.

Il fut un temps où l’on s’inclinait en silence devant les grands défunts. Aujourd’hui, on se prend en selfie avec le cercueil en arrière-plan. Cela n’aurait nullement dérangé Shimon Pérès, à qui des milliers d’Israéliens ont rendu hommage toute la journée de jeudi 29 septembre. Une colonne ininterrompue s’est formée dès le matin, grossissant au fil des heures, dans la cour de la Knesset (Parlement).

Le cercueil, exposé devant le bâtiment et toujours sous bonne garde, fut le point de convergence de religieux et de laïques, de jeunes et de personnes âgées, de salariés ayant quitté leur poste plus tôt ou de retraités.

Tous venaient dire adieu à la dernière grande figure politique de l’Etat d’Israël, par-delà les lignes partisanes et le débat sur la paix introuvable avec les Palestiniens, horizon qu’il a défendu jusqu’à son dernier souffle.

Jonathan Lévy, 30 ans, est arrivé de France il y a vingt ans pour faire sa vie en Israël. Comme citoyen actif, ce spécialiste de la finance a connu Shimon Pérès à un âge où le vétéran de la vie publique, député pendant près d’un demi-siècle, était devenu moins impliqué dans un jeu partisan perçu comme médiocre. « Il représentait une vision de l’avenir, l’idée qu’on pourrait vivre en Israël en choisissant d’autres moyens que la guerre, même si c’est dur d’y croire », souligne le jeune homme.

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« Vous savez pourquoi les drapeaux américains sont aussi en berne, et pas seulement les nôtres ? », interroge Dani Bilkel, 59 ans, cadre dans une banque à Tel-Aviv. Parce que Pérès n’était pas juste un politicien, mais un homme universel. En venant ici, beaucoup de gens disent qu’ils aspirent à quelque chose d’autre, à la paix. »

Dani Bilkel fut, il y a vingt-quatre ans, un activiste travailliste, engagé aux côtés de Shimon Pérès dans la bataille pour le contrôle du parti. Pour lui, sa disparition signifie « la fin de la génération des grands hommes ».

A ses côtés, Madal Smadal, 55 ans, approuve. Cette avocate a toujours voté à gauche. Son mari, lui, dirige une société importante dans le secteur de la défense, fabriquant des radars antimissiles. « Shimon Pérès, je le compare à Ben Gourion, notre premier chef de gouvernement, dit-elle. Sa mort signifie qu’à partir de ce jour, nous n’avons plus aucun leader de cette carrure. »

Les funérailles de l’ancien président auront lieu vendredi matin sur le mont Herzl, à Jérusalem. La dépouille de Shimon Pérès prendra place entre celles des anciens premiers ministres Yitzhak Shamir et Yitzhak Rabin.

Environ quatre-vingts représentants étrangers sont attendus pour l’occasion, qui a nécessité une mobilisation policière considérable. Barack Obama et William Clinton, côté américain, François Hollande et Nicolas Sarkozy, pour la France, le président allemand, Joachim Gauck, la première ministre britannique, Theresa May, et Tony Blair figurent parmi les hôtes de marque.

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Benyamin Nétanyahou a accepté, selon la formule officielle, la demande de visite du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. En revanche, il ne devait pas y avoir de chefs d’Etat du monde arabe, où un silence gêné a suivi l’annonce de la mort de Shimon Pérès.

Le roi de Jordanie, Abdallah II, a transmis une lettre de condoléances. La présence du ministre égyptien des affaires étrangères, Sameh Shoukry, est prévue. Mais cette faible représentation porte un coup au discours officiel israélien sur le rapprochement sans précédent qui s’esquisserait avec les pays de la région, autrefois ennemis de l’Etat hébreu, aujourd’hui réunis par des intérêts communs.

La presse et la télévision israéliennes ont multiplié les éditions spéciales consacrées à la mort et au parcours de Shimon Pérès. Il était fascinant de voir à quel point chacun, selon ses propres convictions, retenait ce qui lui convenait de cette vie tumultueuse.

Toute forme d’unanimité à la mort d’un dirigeant politique inspire la méfiance. Les hommages traduisent souvent des raccourcis confortables et un refus de reconnaître la complexité d’une trajectoire.

Ce travers est frappant dans le cas de Shimon Pérès. De par les fonctions éminentes qu’il a occupées et de par sa longévité, il était un personnage hors norme, devenu sur le tard le dernier visage de la paix négociée avec les Palestiniens. Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, assassiné en 1995, ne sont plus de ce monde depuis longtemps.

Un pragmatique

La « momification » de Shimon Pérès avait commencé de son vivant. Ces dernières années, il était devenu une sorte d’ambassadeur rêvé d’Israël, le sage avec lequel on aimait se faire photographier, le vieux jeune féru de nouvelles technologies. Tout le monde louait sa vivacité, son optimisme. Les aspérités s’étaient effacées.

Or la vie de Shimon Pérès échappe aux grilles de lecture binaires, noire et blanche. Ministre de la défense au mitan des années 1970, il ne fit rien – au contraire – pour empêcher des colons fanatiques du mouvement Goush Emounim (« Bloc de la foi ») d’installer leurs premiers campements, défiant l’armée. Homme de paix, il l’était devenu ; non par impératif moral mais par pragmatisme.

Son sionisme inébranlable est le même moteur qui l’a conduit à jouer un rôle essentiel dans l’obtention de la puissance nucléaire, puis à constater, au moment de la première Intifada (1987-1991), que l’Etat hébreu allait à la catastrophe s’il ne trouvait pas une solution négociée avec les Palestiniens.

« Il n’était pas né pacifiste, souligne Yossi Beilin, ancienne figure du parti travailliste, qui œuvra aux accords d’Oslo auprès de Pérès. Begin a abandonné le Sinaï aux Egyptiens, Sharon a fait le retrait israélien de Gaza. Pérès, comme Rabin d’ailleurs et certaines figures du Likoud, a changé d’avis. Il a compris quels dangers pesaient sur nous si on ne divisait pas la terre. »

C’est en raison de cette identité complexe, mélange de convictions et d’opportunisme, de calculs politiques étroits et de visées nobles pour son peuple, que Shimon Perès est salué par tous, de la nouvelle génération travailliste jusqu’à la droite nationale religieuse. « Je me sens orphelin », a osé Naftali Bennett, le leader du parti extrémiste le Foyer juif, quelques heures après l’annonce du décès. Le ministre de l’éducation refuse de réduire Shimon Perès à l’architecte des accords d’Oslo (1993), préférant voir en lui le « Monsieur sécurité, le Monsieur start-up nation ».

De son côté, Benyamin Nétanyahou a publié un long communiqué en hommage à Shimon Perès, dans lequel il rend hommage à un « homme de vision, homme de paix, homme de lettres ». Mais sans jamais mentionner les accords d’Oslo ni le conflit israélo-palestinien.

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