Barta'a, ville partagée entre Israël et la Cisjordanie
Une situation particulière qui a permis le développement depuis 2003 d’un important marché, rare point de contact civil entre Palestiniens et Israéliens. L’opportunité économique semble ici instaurer une trêve. Et pourtant, le destin de la ville est décidé par les Israéliens, d’un côté comme de l’autre. Reportage.
- Publié le 17-10-2016 à 11h26
- Mis à jour le 17-10-2016 à 11h46
A cheval sur la "ligne verte", dans la région du Wadi Ara, au sud ouest de Nazareth, la ville de Barta’a se partage entre Israël et la Cisjordanie. Une situation particulière qui a permis le développement depuis 2003 d’un important marché, rare point de contact civil entre Palestiniens et Israéliens. L’opportunité économique semble ici instaurer une trêve. Et pourtant, le destin de la ville est décidé par les Israéliens, d’un côté comme de l’autre. Reportage. Dix heures du matin en semaine à Barta'a. Les commerçants de la longue rue principale ouvrent leur boutique, leurs étals débordent sur la chaussée. Les premiers clients se garent en voiture. "Vous êtes déjà venue un samedi ici ? On ne peut même plus entrer, c’est un énorme embouteillage !", s’exclame Ahmad, venu avec son épouse d’Umm al-Fahm, une localité voisine, pour acheter des fruits et légumes "baladié", locaux - c’est primordial pour les Arabes. Zohar et Ora ont fait le trajet depuis Zikhron Yaakov, au Nord Ouest, et ont trouvé les barrières en bambou qu’elles cherchaient. Après quoi, elles s’asseyent prendre un houmous sur la place centrale, à l’ombre de la mosquée.
C’est qu’on trouve de tout ici : matériel de jardin, oiseaux en cage, épicerie fine ou vêtements. Et surtout à des prix imbattables, de 20 à 30 % moins chers qu’ailleurs en Israël. Simplement parce que la marchandise vient de Cisjordanie. Tout comme les vendeurs, Palestiniens originaires de la région de Jénine et de Naplouse. Les clients: des Israéliens, majoritairement des Arabes mais aussi des juifs.
Permis spécifique requis
Pour comprendre ce paradoxe, impensable autrement, il faut rappeler que Bartaa a été coupée en deux par la "ligne verte", cette démarcation établie en 1949 entre Israël et les territoires palestiniens. A l’Ouest, Barta’a al Gharbiya est intégrée au territoire israélien tandis que Barta’a ash-Sharqiya, à l’Est - alors sous contrôle jordanien - est rattachée au district de Jénine, au nord de l’actuelle Cisjordanie. Cette partie occupée par Israël en 1967 est plus tard majoritairement définie en zone C - sous contrôle militaire israélien.
Enfin en 2003, il est décidé ici d’ériger la "barrière de sécurité" non sur la ligne verte, mais à 4,9 kilomètres au sud de Barta’a ash-Sharqiya, alors séparée de son territoire palestinien. Autour, trois petites colonies israéliennes - Hinnanit, Shaqed et Rehan. Selon l’association israélienne pour les droits de l’homme B’Tselem, l’emplacement de la barrière aurait été ainsi reculé "pour favoriser leur expansion".
Un "vrai gain" pour les marchands
Résultat: la création d’une "zone d’accès réglementé" entre le mur et la ligne verte, portion de terre palestinienne du côté israélien de la barrière, avec un point de passage au niveau de Rehan pour contrôler hommes et marchandises transitant de la Cisjordanie à Israël.
Un permis spécifique est requis par les autorités israéliennes pour y entrer, valable d’un jour à deux ans. C’est là que se situe Barta’a ash-Sharqiya : ses habitants sont palestiniens mais vivent avec ceux de Barta’a al Gharbiya, de l’autre côté du mur. D’ailleurs, dans le village, rien ne signale le passage de l’Ouest à l’Est, aucun soldat israélien en vue.
Depuis l’édification du mur qui sépare désormais Israël des territoires palestiniens, les Israéliens ne se rendent plus à Naplouse, Bethléem ou encore Ramallah qu’ils fréquentaient d’habitude le shabbat. Barta’a, en apparence unifiée, a été rapidement identifiée par les marchands arabes comme un débouché propice aux produits de Cisjordanie: le marché compte aujourd’hui 1 200 boutiques et le samedi, 15 000 véhicules circulent dans la rue principale, qui a dû être élargie. Mais c’est un "vrai gain" pour les marchands palestiniens et les Israéliens n’ont d’ailleurs "pas peur de venir ici", selon Rafat Kabaha, responsable de l’enseignement au conseil local, "l’intérêt économique" favorise un calme relatif.
Des logements passés du simple au double
En 2011, le Bureau palestinien des statistiques enregistre 4 575 habitants à Barta’a ash-Sharqiya. Ils sont 4 700 à Barta’a al Gharbiya, selon l’administration israélienne. Palestiniens à l’Est, Israéliens à l’Ouest, même si tous appartiennent au clan Kabaha, une famille arabe de la région. Mais "malgré nos statuts différents, nous gardons des liens forts", explique Rafat Kabaha. "Les mariages mixtes sont fréquents".
La différence est surtout visible dans la planification urbaine entre les plans d’aménagement pour la partie ouest, validés par le district de Haïfa et ceux de l’est, en zone C, prévus par l’Administration civile israélienne : le nombre d’unités de logement par hectare passe du simple au double et les bâtiments construits illégalement à l’Est sont presque systématiquement détruits, rapporte Bimkom, une association israélienne pour les droits à l’aménagement. Alors, les récentes infrastructures et les services de l’Ouest bénéficient au final pour l’ensemble des habitants: 30 % des élèves qui fréquentent l’école de Barta’a al Gharbiya viennent de Barta’a ash-Sharqiya.