Joann Sfar écrivain ? On préfère quand même quand il dessine

Joann Sfar écrivain ? On préfère quand même quand il dessine
JOANN SFAR, en 2016, à une exposition de ses dessins au Musée Dali de Montmartre, à Paris. (©GINIES/SIPA)

Le créateur du “Chat du rabbin” passe à la littérature pour raconter la mort de son père. Son coup de crayon nous manque.

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

Joann Sfar est à la BD ce que Depardieu est au cinéma: un ogre. Prolifique, obsessionnel, agaçant, épatant. Dans sa palette, le dessin à la première personne occupe une place de choix. Dans une sorte de ressassement joyeux, il y parle du judaïsme, de sexe, de cinéma, de sa mère morte quand il avait 3 ans, des femmes. C'est nombriliste et généreux. Dans «l'Obs» en mai dernier, il analysait ce besoin de s'autodessiner:

Le dessin amène à parler de soi, c'est inévitable. Quand un enfant dessine, il se dessine.»

Sexe, judaïsme, travail... Joann Sfar : “Ma religion, c'est le dessin”

La suite après la publicité

Mais Sfar fait aussi autre chose : du cinéma, des romans. On le retrouve donc en cette rentrée littéraire, avec un récit intimiste où il relate la mort de son père, André, avocat et figure de la vie niçoise. C'est l'occasion d'une plongée dans son enfance et son éducation juive, mais surtout de raconter enfin les circonstances précises de la mort de sa mère. 

Pendant deux ans, les adultes lui expliquent qu'elle est en voyage, jusqu'à ce que son grand-père brise l'omerta et lui dise la vérité. Il parle aussi de sa vie actuelle: il s'est séparé de la mère de ses enfants, a emmené ces derniers en vacances en Grèce, a dégotté une nouvelle fiancée, puis l'a quittée, travaille avec un producteur incapable («A chaque fois que je le vois, mon père me manque atrocement.»), etc.

"C'est ça, devenir adulte"

C'est écrit en 26 chapitres, ça se lit sans ennui et sans passion. Lorsqu'il dessine, Sfar ne se contrôle pas, son crayon va plus vite que lui, et le plaisir du lecteur, c'est précisément de sentir cette force irrépressible, qui déborde de partout. Cette pulsion de vie est absente de son «roman». Amputé de son crayon, Sfar nous livre un récit aimable, porté par un style «djeune», avec une pincée de notations politiques, sexuelles ou politico-sexuelles, à la Houellebecq (mais sans la noirceur) comme:

Je t'ai été fidèle, papa. Durant ta semaine d'agonie, ma seule branlette fut pour les deux nanas des pompes funèbres.»

Joann Sfar très inspiré par "l'incitation" à ne plus porter la kippa

La suite après la publicité

Vers la fin, cherchant l'apaisement, il dit :

Il paraît que c'est ça, devenir adulte: le père meurt, on n'a plus d'autre ennemi que soi-même.»

Sfar, s'il te plaît, dis-le nous en dessin.

Eric Aeschimann

Comment tu parles de ton père, 
par Joann Sfar, Albin Michel, 
150 p., 15 euros.

La suite après la publicité

Joann Sfar : "Soit Dieu n'existe pas, soit c'est un sale con"

Joann Sfar en chiffres

A 45 ans, Joann Sfar affiche plus de 130 albums au compteur et de beaux succès: en moyenne, un épisode du «Chat du rabbin» se vend à 300.000 exemplaires. Même réussite au cinéma avec «Gainsbourg» (1,09 million d’entrées). Sorti fin août, «Comment tu parles de ton père» a été tiré à 38.000 ex.

Paru dans "L'OBS" du 6 octobre 2016. 

 Les 1ères pages de "Comment tu parles de ton père", de Joann Sfar

 
Sur le même sujet
A lire ensuite
En kiosque