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Frédéric Encel : peut-on comparer l'attentat à Jérusalem avec ceux de Nice et Berlin ?

RONEN ZVULUN/REUTERS

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Une attaque au camion bélier a été perpétrée en Israël. Pour Frédéric Encel, si le mode opératoire et peut-être la motivation djihadiste peuvent évoquer les attentats de Nice et Berlin, le contexte du conflit israélo-palestinien change la donne.


Docteur en Géopolitique de l'Université Paris-VIII, habilité à diriger des recherches, Frédéric Encel est maître de conférences à Sciences Po Paris. Il a reçu le Grand Prix 2015 de la Société de Géographie pour son ouvrage Géopolitique du printemps arabe(éd. PUF, 2014). Avec le géographe Yves Lacoste, il vient de publier Géopolitique de la nation France (éd. PUF, 2016). La quatrième édition de son Atlas géopolitique d'Israël (éd. Autrement) paraît cette semaine.


FIGAROVOX. - Un Palestinien a projeté un camion contre des soldats israéliens ce dimanche. Quatre d'entre eux sont morts, dix-sept ont été blessés. Peut-on faire le rapprochement avec Nice et Berlin comme l'a fait le Premier ministre Benyamin Netanyahu?

Frédéric ENCEL. - Oui et non. Oui quant au modus operandi, de plus en plus emprunté par des terroristes, notamment du fait de son coût quasiment nul et de sa grande simplicité. Oui également s'il est avéré que l'individu a agi au nom de l'idéologie islamiste radicale. Non en revanche pour ce qui concerne le contexte géopolitique, très différent à Jérusalem de celui qui prévaut en Europe.

L'Autorité palestinienne, haïe par les islamistes pour avoir reconnu Israël, craint bien davantage Daech qu'Israël.

Le ministre israélien de la Défense a reconnu dans le mode opératoire la marque de l'État islamique. L'État hébreu est-il une cible privilégiée pour Daech?

Jusqu'à présent ce n'était pas le cas, pour trois raisons. D'abord, comme tous les régimes racistes fanatiques voire génocidaires - et l'État islamique en est un - celui-ci a eu pour priorité de «purifier» son propre territoire avant même d'entrer en guerre ; Yezidis, chiites, chrétiens, «renégats» et autres Kurdes. Ensuite, Daech n'a jamais réussi à atteindre une zone sous contrôle israélien, en l'occurrence le plateau du Golan, contrairement à d'autres forces en présence. Enfin la dissuasion israélienne a joué à plein lorsque, durant l'été 2014, l'État islamique a menacé la Jordanie voisine et amie d'Israël via l'Irak ; pour l'État juif, c'eut été la ligne rouge. Mais, acculé dans Mossoul et rejeté de l'ouest syrien, Daech pourrait tenter de rouvrir le «front sioniste». Pas sûr toutefois que les Palestiniens, auxquels ces barbares ne se sont jamais intéressés (mais pas moins du reste que quantité de régimes arabes modérés!) y souscrivent. En tout cas, l'Autorité palestinienne, haïe par les islamistes pour avoir reconnu Israël, craint bien davantage Daech qu'Israël.

C'est la politique de Netanyahou, qui a toujours considéré que le terrorisme avait une seule voix et un unique visage.

Le parallèle avec Nice et Berlin ne permet-il pas aussi à Israël de dépasser le cadre du conflit qui l'oppose avec la Palestine?

Si, du moins est-ce la politique de Netanyahou, qui a toujours considéré que le terrorisme avait une seule voix et un unique visage. Il a écrit dès la fin des années 1980 un ouvrage consacré à ce thème. Ce n'était pas exact à l'époque, puisqu'existaient alors dans le monde des formes nationalistes, indépendantistes, maoïstes, millénaristes ou encore islamistes de la terreur. Mais force est de constater que ces dernières sont aujourd'hui très majoritaires. Ce qui renforce a posteriori la posture «prédictive» du Premier ministre israélien, et lui permet en effet de ne pas s'inscrire dans le seul face-à-face avec les Palestiniens.

Le Hamas, le parti islamiste de la bande de Gaza, a «salué un acte courageux». Quelle est votre réaction?

C'est hélas banal. Le Hamas a toujours joué la politique du pire, rejetant non seulement la reconnaissance d'Israël mais même les traités signés par l'Autorité palestinienne! Il l'a d'ailleurs chassée de Gaza par un putsch en juin 2007. Les islamistes du Hamas se radicalisent d'autant plus qu'ils craignent la concurrence idéologique du Jihad islamique et surtout de Daech.

Les guerres en Syrie et en Irak ont-elles une implication sur l'état du conflit israélo-palestinien?

Non. Ni cause ni conséquence. Idem d'ailleurs pour le printemps arabe de 2011 ; le conflit israélo palestinien n'en fut en aucun cas la cause ni le moteur. Au sein d'un monde arabe fracturé et balkanisé - et même dans une certaine mesure dans le monde musulman de façon plus large - des clivages extrêmement violents se développent depuis des années, sans lien avec Israël ou la cause palestinienne. Ce qui ne signifie pas qu'il n'est pas urgent qu'un vrai processus de paix n'advienne enfin à nouveau. Mais on doit garder à l'esprit cette réalité objective: en 70 ans de conflits israélo-arabes, il y eut trois fois moins de tués et dix fois moins de réfugiés qu'en seulement 5 ans de guerre en Syrie...

Frédéric Encel : peut-on comparer l'attentat à Jérusalem avec ceux de Nice et Berlin ?

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27 commentaires
  • Melbris-101

    le

    La réponse est oui. Bien entendu, on peut comparer toutes ces attaques terroristes. L’attentat de Jérusalem est tout à fait similaire à ceux de Nice ou de Berlin : même opératoire, même type de véhicule utilisé, même volonté de faire un carnage en tuant un maximum de personnes.

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