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Neturei Karta: le mouvement d'extrémistes juifs ultra-orthodoxes qui veulent le démantèlement d'Israël

Vidéo. Le mouvement juif ultra-orthodoxe Neturei Karta, connu pour ses positions anti-israéliennes, tente d’influencer l’actualité du Proche-Orient en créant des happenings sur la voie publique afin d’interpeler l’opinion. Nous les avons suivis lors de leur venue à Paris le week-end dernier.

Vidéo M.R.
Vidéo M.R.

Temps de lecture: 6 minutes

Redingotes et collants noirs, chapeaux de velours et papillotes encadrant leur visage, une poignée d’hommes reconnaissables au costume de haredim, juifs ultra-orthodoxes, distribuent des tracts ce dimanche 15 janvier à 13 h, à l’angle de la rue de la Convention et de la rue des Bergers. Une conférence sur le Proche-Orient réunissant 75 nations à l’initiative de François Hollande se tient à quelques mètres de là.

Leur vêtement religieux austère contraste avec les écharpes au motif de keffieh qu’ils portent autour du cou, les badges aux couleurs de la Palestine et le drapeau palestinien qui flotte au dessus d’eux. Ils déroulent des affiches contre l’État d’Israël: «Les sionistes n’ont aucun droit sur la terre sainte», «La Torah exige que toute la Palestine soit rendue aux Palestiniens et redevienne souveraine», «La solution: le démantèlement pacifique de l’État israélien», «Anti-zionism is not anti-semitism». Ces hommes appartiennent au mouvement Neturei Karta se définissant comme ultra-orthodoxe et antisioniste. Tous rabbins, ils alimentent leur discours politique d’une rhétorique religieuse et de constantes références à la Torah.

Une opposition ancienne

Les mouvements antisionistes datent d’avant la création de l’État d’Israël et participent aussi de son histoire. Les neturei karta son nés d’une scission au sein des partis religieux de l’union Agoudat Israël, créée en 1912. Ils reprochaient au rabbin Isaac Breuer de l’Agoudat d’être trop conciliant avec le sionisme, l’idéologie honnie des religieux considérée comme un «danger mortel pour le judaïsme».

Dans le contexte historique de l’époque, la propagation des fascismes en Europe, certains religieux avaient cherché à créer des alliances avec les sionistes. D’autres n’ont pas varié, tels les partisans du grand rabbin Chaim Sonnenfeld, ardent détracteur du sionisme mort en 1932. Ceux-ci choisissent de se séparer d’Agoudat Israël et créent en 1935 un premier groupe, Hevrat ha Hayim («le parti de la vie»), qui deviendra ensuite Neturei Karta: «les gardiens de la cité» en araméen. Cette expression provient du Talmud de Jérusalem qui présente les religieux comme les vrais défenseurs de la ville sainte.

Les Naturei Karta sont difficilement quantifiables en Israël car ils ne déclarent pas leurs naissances, ne font pas enregistrer leurs enfants dans les registres et refusent la citoyenneté israélienne. Ils possèdent généralement un passeport américain ou britannique. Ils sont une minorité chez les ultra-orthodoxes, quelques centaines dans un quartier de Jérusalem. Ils n'ont pas de poids politique concret puisqu'ils ne reconnaissent pas l'Etat d'Israël et de ce fait ne siègent pas à la Knesset. Ils n'ont pas de carte d'électeurs et évidemment pas de carte d'identité israélienne.

Déconnectés, ils vivent en autarcie dans des quartiers spécifiques, comme Mea Chearim à Jérusalem et dans la ville de Bet Shemesh. Ils se sont aussi illustrés par leur volonté d'imposer la ségrégation entre hommes et femmes dans les bus. Ils étaient exemptés jusqu’à récemment de service militaire. D’autres groupes de religieux partagent leur antisionisme, comme Satmar et Toldot Aaron, mais seuls les neturei karta sont aussi militants.

Activisme

Ils se manifestent par un lobbying intense, une forte utilisation des réseaux sociaux et leur récupération par les mouvements antisionistes voire antisémites. Ce sont de vrais activistes politiques qui donnent du fil à retordre aux autorités, notamment en bloquant la construction de bâtiments, de routes, d’institutions lorsqu’ils ne sont pas jugés conforme à la halakha (loi juive). Ils sont aussi connus pour leurs agressions envers tous ceux qui profanent le chabbath dans leur quartier: automobilistes ou fumeurs, ainsi que tous ceux qui ne respectent pas les règles de la tsniout (pudeur). Certains Israéliens parlent de guerre interne à l’intérieur même du judaïsme.

Le rabbin Amram Blau, leader des Neturei Karta, envoie dès 1937 des ambassadeurs partout dans le monde et institue le tractage et les manifestations sur la voie publique. Ils utilisent les fameux pashkevil contestataires que l'on voit dans la vidéo: des affiches placardées qui délivrent des slogans antisionistes.

Bataille de rue

À Paris, lors de leur manifestation ils tractent d'abord dans l'indifférence, jusqu'à ce qu'un homme à la kippa noire commence à les apostropher: «Ils se croient au shtetl il y a trois cents ans! Ils crachent dans la soupe. Ce sont des antisémites!»

Un autre plus âgé au chapeau noir parvient à leur voler un drapeau palestinien en papier et le déchiquette nerveusement. Il est aussitôt interpelé par les policiers. Sur le trottoir d’en face une petite dizaine d’hommes et de femmes s’énervent et crient des insultes. L’un d’eux déploie un drapeau israélien. Ils viennent de la manifestation qui a débuté deux heures plus tôt devant l’ambassade d’Israël. Les insultes en hébreu fusent.

Les Neturei Karta à Londres

Le rabbin Elhanan Beck venu de Londres, porte-parole du mouvement Neturei Karta, cheveux et peot grisonnantes, prend la parole en pointant leurs adversaires du trottoir d’en face:

«Regardez ces gens, qu’est-ce qu’ils ont de juif? Ils sont juste nés de parents juifs. Mais il ne respectent pas le chabbath, ils ne mangent pas cacher. Qu’ont-ils de juif?»

Le rabbin Elhanan Beck voudrait convaincre ses coreligionnaires:

«Qui a créé le sionisme? Ce n’était pas un rabbin. C’était Herzl, un laïc. Il n’a même pas circoncis son fils et il vient nous apprendre comment vivre le judaïsme! On doit écouter les rabbins pour savoir ce qu’est le judaïsme. Pourquoi pendant deux mille ans, aucun de ces rabbins n’est venu avec une idée pareille? Le Gaon de Vilna, le Bal Chem Tov, le Chlah, le saint Rachi, pourquoi aucun d’eux n’a incité les Juifs à partir en Israël? Parce qu’ils savaient que vivre la Torah, c’est attendre patiemment en exil. Tous les rabbins de toutes les générations nous ont appris cela. Dieu t’a mis en exil, reste en exil. Ne sors par de l’exil par la force!»

Ces ultrareligieux pensent que seul le Messie amènera l’État d’Israël. Ils craignent la colère de Dieu (haredi signifie ceux qui craignent Dieu) car selon eux «l’État sioniste» contredit la révélation de la Torah et constitue un blasphème qui mérite une punition divine.

Alors que la situation s’envenime, des policiers parviennent à les convaincre de retirer leurs badges palestiniens et de quitter les lieux. Ils acceptent alors de partir pour «éviter la confrontation avec les sionistes». Mais une dizaine d’hommes les suivent dans la rue adjacente aux cris de ben zona (fils de pute) et hiloul hachem (blasphémateurs). Les hommes en noir sont à peine arrivés à leur camionnette, qu’un homme casqué frappe l’un des jeunes rabbins, Ahron Feldman, en plein visage. L’agresseur est aussitôt maîtrisé par les policiers.

Nos rabbins s’engouffrent alors rapidement dans le véhicule. Ils me font asseoir à côté du chauffeur pour couper court à toute ambiguïté, car ce groupe pratique une stricte non mixité femme-homme. Il règne un profond désordre. Des sacs de téfilines, des livres de prières, des chapeaux en velours noir sont jetés pêle-mêle sur les banquettes. Un pot de beurre de cacahuète ouvert bien entamé trône sur le tableau de bord, des papiers divers sont partout dispersés. Tous les regards se tournent vers Ahron Feldman, encore sous le choc des coups reçus.

Les rabbins évoquent leur crainte d’être poursuivis: un homme a couru une centaine de mètres derrière la fourgonnette et donne un violent coup de poing à la portière au niveau du feu rouge. Les rabbins décident alors de s’en remettre aux forces de l’ordre et arrêtent une voiture de police. Celle-ci les escorte jusqu’au commissariat. Une longue controverse s’engage alors en yiddish, pour étudier la possibilité ou non de porter plainte pour agression. Finalement le père de la victime, le rabbin David Feldman, explique: «Nous ne voulons pas répondre à la violence par la violence. Si nous portons plainte, nous agissons comme eux. Nous ne fonctionnons pas selon leur système, nous sommes des bakhour yechiva (étudiants d’école talmudique). On laisse tomber la plainte.»

Mais cette prétendue magnanimité ne les empêche pas d’invectiver leurs opposants de manière obsessionnelle. Le rabbin Jacob Weiss enchaîne aussitôt: «Les sionistes sont très violents partout dans le monde. Ici en France, l’un de nos jeunes a été frappé violemment, même la police était choquée. Pour nous ce n’est pas une surprise. Ils se moquent pas mal des Juifs! Une seule chose compte pour eux : le sionisme. Ils peuvent tuer n’importe qui, peu leur importe. Ils peuvent même tuer des Juifs. Le sionisme doit gagner.» 

Le Trocadéro comme tribune

Faute de pouvoir manifester rue de la Convention, le groupe de rabbins décide de se rendre au Trocadéro pour immortaliser leur passage à Paris. Arrivés sur le parvis, les hommes en noir se déploient en ligne et ressortent leurs pashkevil en papier. Le rabbin activiste Israël David Weiss, qui s’est illustré en 2006 en embrassant Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien de l’époque, farouche ennemi d’Israël et négationniste, qui avait parlé du «mythe» de la Shoah, et souhaitait «rayer Israël de la carte» prend la parole pour une longue harangue devant un public inexistant. Seul un touriste coréen filme la scène. C’est ce même rabbin Weiss qui s’était rendu en 2004 au théâtre de la Main d’or à l’invitation de Dieudonné pour rendre hommage à Yasser Arafat. Il porte un badge sur lequel le drapeau israélien est barré d’un bandeau rouge.

Il commence un long discours d'apologie de la «Palestine libre» qualifiant le sionisme de «cancer» et de «tumeur».

À la fin du plaidoyer, les rabbins plient rapidement leurs pashkevil sous une pluie qui s’intensifie. Et surtout parce que l’heure de leur avion approche. À peine entrés dans la fourgonnette, ils sont une nouvelle fois rattrapés par des détracteurs.

Mais les Neturei Karta n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils sont habitués aux confrontations et peu appréciés des Israéliens et des Juifs de la diaspora car ils servent de caution aux pires antisémites. Lors de leur invitation par Dieudonné à la Main d'or, la table ronde organisée commençait par exemple par une modératrice qui minimisait la violence du mouvement et cherchait à démontrer à travers les Neturei Karta qu'on peut être juif et antisioniste. Comme le notait Le Point en 2012, ils ont aussi défilé dans Jérusalem en arborant l'étoile jaune et l'uniforme des déportés de la Shoah, car ils s'estimaient eux-mêmes persécutés par «l'entité sioniste».

Ces ultra-orthodoxes partagent avec les salafistes piétistes la même définition de soi par le vêtement, un dress code précis, anachronique, contre les valeurs de la mode et de la modernité; un même attachement aux commandements divins qui dépassent toutes les contingences humaines. Sans oublier leur côté antisocial, leur volonté de séparatisme avec le reste de la société. Et enfin, une même attitude jouissive face à l’aversion qu’ils provoquent. 

Ils quittaient d'ailleurs Paris satisfaits de leur dernier coup d’éclat. 

Texte Agnès De féo | Vidéo Marc Rozenblum

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