"Je redoute un Etat dans lequel les Palestiniens seraient des citoyens de seconde zone"
- Publié le 17-02-2017 à 15h42
- Mis à jour le 17-02-2017 à 17h22
Le politologue Denis Charbit est maître de conférence à l’Université ouverte d’Israël, près de Tel Aviv. Il est actuellement en congé d’écriture aux Etats-Unis où il est chargé d’un cours à l’université d’Irvine, près de Los Angeles. Il est l’auteur du livre "Israël et ses paradoxes" (Le Cavalier bleu, 2015).
Les propos de Donald Trump constituent-ils un désaveu de la solution à deux Etats ?
Trump a voulu faciliter la position de Netanyahou par rapport aux pressions dont il fait l’objet dans sa coalition. Mais sans mesurer les conséquences de ses propos. Il souligne qu’une solution qui est sur la table depuis près de 25 ans (depuis les accords d’Oslo en 1993, NdlR) et dont on voit bien, des deux côtés, qu’elle exige des révisions déchirantes, n’est peut-être pas celle à privilégier. Le sens de la solution à deux Etats ne vaut que si elle est mise à exécution et que si, des deux côtés, on y est fermement attaché. Le problème de cette solution, c’est qu’elle tarde à venir, et si c’est le cas, c’est parce que la majorité des Israéliens l’envisagent sur papier mais ont du mal à la concrétiser. On peut dire la même chose pour les Palestiniens dans la mesure où elle résout le problème de l’occupation mais pas celui des réfugiés et du contentieux historique initial.
La solution à deux Etats ne serait donc pas mûre mais, à la place, M. Trump ne propose rien…
Il ouvre une autre perspective. Non comme un diplomate mais comme un homme d’affaires. C’est le Trump pragmatique, qui veut réussir une négociation d’affaire. Il tape le poing sur la table en disant : si vous mettez 25 ans pour signer un contrat, c’est qu’il y a un défaut dans l’affaire. Il en pointe la faiblesse, à savoir que cette solution ne parvient pas à inciter les deux populations à forcer leurs dirigeants à la prendre. Obama disait : les dirigeants ne prennent des décisions douloureuses que si leurs peuples les invitent à les prendre. Et visiblement les peuples ne sont pas convaincus que c’est la bonne solution. Trump dit aussi qu’il n’entend pas intervenir ni imposer une solution, ce qui est conforme à sa tentation isolationniste. Il y a une sorte de retenue qui ressemble un peu à un désengagement.
Cette attitude peut être porteuse mais elle est surtout hasardeuse.
Cela va susciter la réflexion. La droite, qui n’a pas de plan mais des think tanks en abondance, va peut-être pouvoir en élaborer un. Mais on ne mesure pas bien le risque que la logique à un Etat qui va se substituer à la solution à deux Etats se résume à un débat politique (entre) l’Etat colonial (d’apartheid) et l’Etat binational, égalitaire et démocratique. Cela aura des conséquences énormes. D’une part, je ne vois pas la communauté internationale opter pour un Etat dans lequel Israël continuerait sa politique actuelle. D’autre part, un Etat démocratique serait un Etat où la partie dominante juive perd le contrôle quasi exclusif qu’elle a sur la gestion de ses intérêts.
Dans quelle direction pensez-vous qu’irait un projet à un Etat ?
Je redoute qu’à moyen terme la droite propose un projet - qui chercherait bien sûr l’assentiment de la communauté internationale - qui garantit aux Palestiniens, en contrepartie d’une souveraineté israélienne étendue à toute la Cisjordanie (Gaza étant exclu), une autonomie qui inclut tous les droits sociaux, économiques, culturels, religieux… à l’exception des droits politiques. Donc, où les Palestiniens seraient des citoyens de seconde zone, qui ne pourraient pas voter pour la Knesset mais pourraient par contre avoir une sorte d’assemblée consultative interne. Bref tout modèle qui ne mettrait pas en cause la majorité juive, dont Israël dispose dans le cadre des frontières de 1967.
Diriez-vous que la solution à un Etat existe déjà?
Oui, l'Etat unique existe déjà en quelque sorte. Israël gouverne souverainement son territoire et, par l'intermédiaire de l'autorité militaire, exerce son autorité en Cisjordanie. Il y a une bicéphalité, mais les deux têtes sont les mêmes: le gouvernement israélien, d'une part, et l'armée, de l'autre, qui dirige sous les ordres du gouvernement. Mais la solution à un Etat n'est pas le statu quo actuel, c'est une transformation des relations (existantes) entre les deux populations avec une sorte de marché proposé aux Palestiniens, qui consiste à les accrocher à la 'start-up nation".
Et je peux imaginer -et c'est ce qui m'inquiète- que les Palestiniens, au vu de l’incapacité de résoudre le conflit aux termes de la solution à deux Etats, au vu de l’état politique et économique peu reluisant des pays arabes de la région, puissent se dire qu’il vaut mieux être arrimés à un Etat d’Israël dynamique, plutôt que de s’arc-bouter sur un Etat (à eux) auquel on ne parvient même pas. Les réfugiés (palestiniens) pourraient très bien s'engouffrer dans une solution pareille car, quitte à ne pas avoir de droits politiques, pourquoi ne reviendraient-ils pas revenir en Palestine plutôt que de rester au Liban (ou ailleurs). Les colons pourraient aussi préférer une solution dans laquelle ils peuvent rester là où ils sont plutôt qu'être contraints à un déplacement.
C'est étrange, car d'une certaine manière, c'est comme si on revenait en 1947, au moment du plan de partage. Souvenez-vous: ce plan proposait de partager soit le pouvoir soit le territoire. Et c'est comme si, au lieu de partager le territoire comme ce fut le cas, la partie israélienne et sioniste choisissait aujourdhui d'aller dans le sens du partage du pouvoir. Même si, on l'a vu, ce n'est pas tout à fait cela.
Malgré son absence totale d'idée, Trump change le cadre de la réflexion. En évacuant la solution à deux Etats, qui pouvait apparaître comme un "diktat", il semble retirer une contrainte pour faciliter un accord de paix...
Il change un cadre dont il estime qu'il n'a pas porté ses fruits. Personne ne peut l'accuser d'avoir fait avorter une solution qui était à terme. Non, elle n'est pas plus à terme aujourd'hui qu'hier. L'échec de la mission de Kerry en 2013-14 (la reprise des négociations) le montre bien. Trump souligne que, vraisemblablement, la communauté internationale était plus motivée par cette solution que les acteurs sur place, et qu'au lieu de s'obstiner, on pourrait envisager une autre solution. Devant l'échec de la solution à deux Etats durant 25 ans, je me pose aussi des questions. Cela pourrait être une solution confédérale, en bâtissant une confédération israélo-palestinienne. Mais il faut savoir qui fait maîtrise quoi. Bref, il faut se plonger dedans.
Cela pourrait-il être une solution transitoire?
Je pense que Netanyahou, quand il semble acquiescer aux propos de Trump, doit avoir une idée derrière la tête, à savoir que les Palestiniens se résignent à un accord intérimaire. En gros, il doit se dire: nous ne sommes pas capables, ni eux ni nous, de prendre des grandes décisions historiques; le temps n'est ni aujourd'hui ni, semble-t-il, demain à un grand compromis historique, alors occupons-nous de faire baisser la tension sur le terrain et de parvenir à un accord intérimaire. Là, il peut faire quelque chose. Il attend le départ d'Abbas pour savoir s'il peut faire avancer ce pion-là. Il aura le soutien américain. Mais il faudra faire avaler ce trognon-là à une direction palestinienne qui, aujourd'hui, n'est pas du tout sur cette ligne-là.