Au procès de Klaus Barbie, "la parole des victimes explose"

Au procès de Klaus Barbie, "la parole des victimes explose"
Jacques Vergès, avocat de la défense, et Klaus Barbie, le 11 mai 1987 au palais de justice de Lyon (TORREGANO/SIPA)

De nombreux documents inédits, dont l'enregistrement intégral des audiences, sont présentés dans une exposition au Mémorial de la Shoah sur le procès Barbie, premier jugement en France de crimes contre l'humanité.

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

Le 11 mai 1987 au palais de justice de Lyon, le procès Barbie commençait. C'était la première fois en France qu'avait lieu un procès pour crimes contre l'humanité, après des décennies d'efforts, et avant les procès de Paul Touvier (1994) puis Maurice Papon (1997). Le Mémorial de la Shoah, à Paris, propose une exposition (jusqu'au 15 octobre) riche en documents sur l'avant, le pendant et l'après-procès de l'ancien chef de la Gestapo de Lyon, un moment clé dans la mémoire de l'Occupation.

On peut y voir, pour la première fois, l'enregistrement intégral des 37 jours d'audiences (157 heures). De nombreuses archives inédites sont exposées, extraites notamment des Archives départementales du Rhône, de photos de presse, des fonds documentaires de Beate et Serge Klarsfeld - sans la ténacité desquels Barbie aurait continué à couler des jours paisibles en Bolivie, sous le nom de Klaus Altmann.

La suite après la publicité

Affiche sur Klaus Barbie et Paul Touvier, exposée au Mémorial de la Shoa

Affiche (Klaus Barbie, Paul Touvier, "ces criminels sont en liberté") et documents à l'exposition du Mémorial de la Shoah (photo T. Noisette)

Autour du procès, sont montrés son prologue, ses coulisses et son impact. La traque de plusieurs décennies, pendant lesquelles les services secrets américains, puis des services sud-américains, utilisent le criminel nazi pour son savoir-faire d'agent de renseignement, tout en prétendant aux Français avoir perdu sa trace ; les services américains donnent en 1951 un passeport de la Croix Rouge internationale à Klaus Barbie, qui fuit en Amérique du Sud.

Il est condamné par contumace en France pour crimes de guerre, condamnation frappée plus tard de prescription, et il s'en faut de peu qu'il ne parvienne à se faire oublier, tout en servant pendant des décennies plusieurs services secrets, en particulier au service de la dictature en Bolivie.

La suite après la publicité

Scandale à La Paz

En juin 1971, les époux Klarsfeld apprennent que le parquet de Munich s'apprête à rendre un non-lieu en faveur de Barbie ; ils parviennent à l'empêcher en sortant plusieurs preuves de crimes en France pour lesquels le "boucher de Lyon" n'a pas été condamné.

En février 1972, Beate Klarsfeld se rend à La Paz avec deux mères d'enfants raflés et déportés par Barbie, pour rappeler publiquement ses crimes. Elle fait scandale en s'enchaînant à un banc avec Ita-Rosa Halaunbrenner, dont le mari et les trois enfants sont morts du fait de Barbie. L'extradition de l'ancien nazi est cependant refusée, et des projets d'enlèvement sur le modèle de celui d'Eichmann autrefois sont envisagés, sans aboutir.

Mémoire de la Shoah : la Toile, devenue un vaccin contre l’oubliEn 1972 également, le journaliste Ladislas de Hoyos interviewe à La Paz le soi-disant Klaus Altmann, et son reportage diffusé à la télévision française permet aux résistants Raymond Aubrac et Simone Kaddoshe-Lagrange, deux de ses victimes, de reconnaître Barbie.

Ce n'est qu'en 1983, après l'arrivée d'un gouvernement de gauche en Bolivie, désireux d'en finir avec les pratiques de la dictature, que l'ex-chef de la Gestapo lyonnaise est extradé en France et arrêté. Symboliquement, il est d'abord incarcéré à la prison Montluc, lieu de ses crimes où sont passés Jean Moulin et nombre de résistants torturés et assassinés.

La suite après la publicité

Une instruction fleuve

L'instruction dure deux ans et demi, de février 1983 à octobre 1985 ; un travail titanesque (le dossier d'instruction fait près de 23.000 pages), où il s'agit de réunir preuves et témoignages pour les crimes contre l'humanité (imprescriptibles) de Barbie. Les trois principaux crimes pour lesquels il est finalement accusé sont :

- la rafle au siège de l'Union générale des israélites de France (Ugif), le 9 février 1943 à Lyon (86 personnes arrêtées, dont 79 déportées à Auschwitz),

- la déportation des 44 enfants juifs de la colonie d'Izieu (dans l'Ain), avec cinq adultes, le 6 avril 1944, tous assassinés,

- la déportation de 650 personnes par le dernier train à quitter Lyon sous escorte allemande, le 11 août 1944.

Après la rafle des enfants d'Izieu, le SS avait envoyé un télex (présenté au Mémorial) à ses chefs, signalant la réussite de l'opération et "l'acheminement" des enfants et ados juifs capturés - aucun ne reviendra. Ce message, accablant pour Barbie, a été traité de faux par le vieil homme et son avocat, Jacques Vergès. Mais son authenticité avait déjà été attestée, et il avait été produit par Edgar Faure en 1946 au procès de Nuremberg contre les chefs du Troisième Reich, pour prouver les crimes nazis commis en France.

La suite après la publicité

Télex du nazi Klaus Barbie après la rafle des enfants d'Izieu

Le télex envoyé par Klaus Barbie à Paris après la rafle des enfants d'Izieu, exposé au Mémorial de la Shoah (photo T. Noisette)

Le procès de Barbie, 74 ans, a enfin lieu, du 11 mai au 4 juillet 1987, dans la salle des Pas perdus du palais de justice de Lyon, transformée en cour d'assises pour accueillir ces audiences hors normes : 107 témoins, 42 avocats (39 pour les parties civiles et 3 pour la défense), 800 journalistes…

Alors qu'au commencement, Klaus Barbie est surtout vu comme l'assassin de Jean Moulin, et que son avocat Jacques Vergès essaie de faire diversion en annonçant des révélations sur la Résistance (qui n'auront jamais lieu), les témoignages détaillent les actes et tortures dont le SS fut le responsable, y compris ses crimes antisémites. En particulier la rafle des 44 enfants juifs d'Izieu, dans l'Ain, qui bouleversera l'opinion. Ces enfants furent envoyés au camp de Drancy, puis à Auschwitz où ils sont tous gazés, sauf deux qui, avec le directeur de la colonie, sont fusillés en Estonie. Les plus jeunes avaient 4 et 5 ans, les plus grands 17 ans.

La suite après la publicité

L'accusé s'est dérobé au bout de trois jours, refusant de se rendre aux audiences (il sera cependant contraint d'assister à plusieurs témoignages, auxquels il refuse systématiquement de répondre), mais cette fuite n'empêche pas le déferlement du passé. Dominique Missika, historienne commissaire de l'exposition, souligne :

"L'enjeu n'est plus l'accusé, mais la parole des victimes, qui explose et bouleverse la France."

De plus, tous ces témoignages sont captés en vidéo : pour la première fois un procès d'assises est filmé intégralement, grâce à la loi votée le 11 juillet 1985 à l'initiative du Garde des Sceaux, Robert Badinter : elle autorise les caméras pour des débats ayant un "intérêt pour les constitutions d'archives audiovisuelles de la justice".

Le procès Barbie, comme ensuite les procès Touvier et Papon, est donc entièrement filmé. Ces archives historiques sont conservées par l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Machine de sténographie et vidéocassettes du procès Barbie en 1987

La suite après la publicité

Appareil de sténotypie et vidéocassettes - pour une journée d'audience - du procès Barbie en 1987, présentées au Mémorial de la Shoah (photo T. Noisette)

Les victimes et rescapés racontent les interrogatoires, les tortures, la sélection des déportés, les camps – Gabrielle Perrier, institutrice des enfants d'Izieu (elle avait 21 ans), en parle pour la première fois –, et des témoins d'intérêt général déposent : Geneviève de Gaulle parle de Ravensbrück, ce qu'elle n'avait encore jamais fait, Jacques Chaban-Delmas témoigne sur la Résistance, Albert Jacquard aborde comme généticien le racisme, Elie Wiesel parle d'Auschwitz...

Deux poupées, une petite boîte et la mémoire de la ShoahCondamné en juillet 1987 à la prison à perpétuité, Klaus Barbie meurt en 1991. L'impact de son procès a été énorme et marque une étape dans la mémoire de l'Occupation et de la Seconde Guerre mondiale : diffusion sur TF1 du film "Shoah" de Claude Lanzmann, ouverture du Centre d'histoire de la Résistance et de la déportation à Lyon, création du Mémorial des Enfants d'Izieu, nombreux livres et documentaires… 

"Personne n’est sorti du procès Barbie comme il y est entré", déclara son procureur général, Pierre Truche.

La suite après la publicité

Unes de presse et documents sur Klaus Barbie, au Mémorial de la Shoah

Photos, documents et unes de presse sur Klaus Barbie, exposés au Mémorial de la Shoah (photo T. Noisette)

Informations pratiques

Mémorial de la Shoah (www.memorialdelashoah.org) : 17, rue Geoffroy-l'Asnier, 75004 Paris (métros Saint-Paul, Hôtel de Ville ou Pont-Marie)

La suite après la publicité

Ouvert tous les jours sauf le samedi, de 10 h à 18 h, et le jeudi jusqu'à 22 h.

Entrée libre (au musée et à l'exposition). Exposition sur le procès de Klaus Barbie : jusqu'au 15 octobre 2017. Plusieurs rencontres et projections sont organisées autour de l'exposition, ainsi que des visites guidées (détails sur le site web).

A lire ensuite
En kiosque