Peut-on porter plainte contre l’Etat pour n’avoir pas reçu les mêmes bases élémentaires éducatives que celles délivrées aux autres enfants ? Un juge québécois a tranché, lundi 15 mai, en validant la plainte de Yochonon Lowen et Clara Wasserstein, anciens membres de la communauté Tash, un groupe de juifs ultra-orthodoxes de Boisbriand au Québec.
Vivant selon un mode ancestral et dans les principes stricts du judaïsme, les membres de cette communauté ne parlent ni français ni anglais mais le yiddish, et vivent complètement coupés du monde dont ils refusent le modernisme. Yochonon et Clara ont tous deux passé leur scolarité dans une école talmudique, où dès 10 ans pour les jeunes garçons, 13 ans pour les jeunes filles, les matières élémentaires telles que les mathématiques, le français ou la géographie ne sont plus enseignées au profit de l’étude exclusive de la Torah. Quant à leur apprentissage en histoire, il se limite à celui délivré dans les textes sacrés.
Réapprendre les codes de la société moderne
Une fois adulte, le couple a pris la décision difficile de quitter la communauté religieuse dans laquelle ils avaient grandi, pour rejoindre ce qu’ils appellent « la vie normale ». Il leur a fallu apprendre les codes de la société moderne, eux qui vivaient sans radio ni télévision et n’avaient jamais entendu parler des principes de l’évolution. Réapprendre aussi la construction du rapport hommes-femmes, car dans leur ancienne communauté, les échanges entre personnes de sexes différents sont prohibés en dehors du cercle familial. Autre problématique cruciale : comment trouver un travail ou être admis à l’université quand on a le niveau scolaire d’un enfant de 10 ans ?
Pour les anciens élèves de l’école talmudique, c’est leur éducation qui est mise en cause car elle ne leur permet pas de s’intégrer à la société qui les entoure. Ils ont donc décidé de porter plainte contre le ministère de l’éducation du Québec où la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans. Aux côtés du ministère sur le banc des accusés : les écoles concernées et le principal rabbin de la communauté Tash.
« Si on gagne, le gouvernement ne pourra pas rester dans une situation d’illégalité sous peine de violer ses obligations en matière d’instruction publique. » Me Clara Poissant-Lespérance, avocate
Les plaignants ne réclament pas de dédommagements mais espèrent faire évoluer ce système éducatif. « Si on gagne, le gouvernement ne pourra pas rester dans une situation d’illégalité sous peine de violer ses obligations en matière d’instruction publique. Donc il sera obligé de faire quelque chose », explique leur avocate Me Clara Poissant-Lespérance. Elle estime qu’au Québec environ 3 000 à 4 000 enfants sont scolarisés dans ces écoles. Non accrédités par l’Etat, ces établissements sont parfois cachés et continuent de dispenser une éducation non séculière en toute impunité.
Yochonon et Clara ne sont pas les seuls anciens ultraorthodoxes à avoir eu recours à la plainte pour alerter sur les problèmes auxquels ils sont confrontés. Une plainte est également en cours aux Etats-unis ; et même en Israël, où cinquante-deux personnes se sont regroupées pour lancer un recours collectif contre l’Etat.
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Avec des difficultés d’intégration comparables à celles du couple québécois, ces anciens ultraorthodoxes espèrent que l’Etat israélien, qui finance en grande partie les écoles talmudiques, ait son mot à dire dans ce système éducatif mais également qu’il mette en place un programme de remise à niveau pour ceux qui rompent avec leur communauté. Dans l’Etat hébreu, où près d’un tiers des enfants sont scolarisés dans une école talmudique, le combat de ces anciens ultraorthodoxes est devenu un enjeu de société.
Par Elsa Mourgues
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