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Oui, il faut révéler les identités des néonazis

Après tout, ils assument de se montrer en public pour crier leur haine.

CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Mettre des noms sur des trognes défigurées par la haine. C'est l'ambition de nombreux internautes après l'attentat de Charlottesville et les débordements qui ont entouré le défilé de suprémacistes blancs et de néonazis faisant trois morts ce week-end. Le compte Twitter «Yes, You're Racist» en tête. La presse et les réseaux sociaux fourmillent de clichés sur lesquels on distingue très aisément les visages de ceux qui étaient là pour exprimer leur haine. Slogans antisémites et racistes, croix gammées, torches... C'est la laideur incarnée qui nous a été donnée à voir, (et des «sieg heil» à entendre).

Depuis, plusieurs de ces manifestants ont été identifiés sur Twitter et leurs noms publiés sous le hashtag #ExposeTheAltRigh.

Oui, «identifiés». Pas «traqués», «pris en chasse» ou «lynchés». Car dans cette affaire, plus que jamais, les mots employés doivent être soigneusement pesés. Et s'il y a une «meute», elle est représentée par ces hommes (et ces femmes) qui ont marché dans les rues en brandissant svastika et barres de fer. Ce sont eux les loups. Pas ceux qui s'emploient à nommer le mal et ses adeptes.

Il ne s'agit pas là non plus de «doxxing», cette pratique consistant à révéler les informations personnelles d'une personne. Pour une raison simple: les néonazis de Charlottesville ont déambulé dans les rues à visage découvert. Il s'agissait d'une manifestation publique, sous l'œil des caméras, des photographes. Ils ne se cachent pas, certains prennent même fièrement la pose devant l'objectif. Ils ne cherchent en aucun cas à ne pas être reconnaissables et ne préservent pas précieusement leur anonymat.

«Si on fait ça on ne vaut pas mieux qu'eux», vraiment?

Rendre public le profil Facebook ou Twitter d'un mec qui participe à un rassemblement néonazi, ce n'est pas non plus l'outer. Car l'idéologie néonazie n'est pas une casserole ou un petit jardin secret qui mériterait d'être traité par autrui avec une neutralité bienveillante. Et que le militant pourrait choisir ou non d'exprimer selon les cas: néonazi braillard et décomplexé au milieu de ses pairs / employé modèle ou papa poule à la maison.

Tu es néonazi, assume-le. Car ceux que tu hais –les Noirs, les juifs, les femmes, les militants anti-racistes–, eux, sont Noirs, juifs, femmes, militants anti-racistes TOUT LE TEMPS, ne peuvent/ne veulent le cacher et que c'est ainsi qu'ils se font insulter, violenter, ou rouler dessus par tes pairs. Ils ne se permettent pas le luxe d'avoir une espèce de double identité qui les préserverait de ceux qui les abhorrent.

Évidemment, le but de ce «name and shame» est de nuire. Que le néonazi en question soit sanctionné par son employeur, ait à répondre publiquement de ses actes. Pour autant, il est sidérant de mettre sur le même plan, comme le font certains, le fait de révéler l'identité des militants et l'idéologie d'extrême droite, sur l'air de «si on fait ça on ne vaut pas mieux qu'eux». Ce type de raisonnement a pour conséquence d'annihiler toute tentative de combattre la haine avec vigueur.

L'antiracisme, ce n'est pas que des pétitions, des slogans mignons et des tweets indignés. C'est aussi l'action, qui mérite parfois de se délester des atours de l'éthique, du pacifisme et de la supériorité morale. On a le droit de faire des choses qui, sur le papier, paraissent un peu moches, s'il s'agit de retirer aux fachos leur croissant sentiment d'impunité. Ils doivent savoir qu'il ne sera JAMAIS anodin de faire des saluts hitlériens dans les rues, et qu'ils devront en répondre. Devant la justice, mais aussi devant leurs concitoyens.

Assumer un peu de pots cassés

 

Bien entendu, il ne faut pas minimiser le risque de dérives. Il y a des ratés, et certaines personnes ont été accusées à tort d'avoir participé aux rassemblements. En étant, par exemple, confondues avec une autre à cause d'une forte ressemblance, comme Kyle Quinn, qui travaille dans un laboratoire à l'université d'Arkansas dans le centre de recherche d'ingénierie et qui a dû se réfugier chez un collègue.

Il y a aussi le cas de ce YouTubeur pris à partie à cause d'une photo de lui portant un brassard nazi alors qu'il l'arborait en réalité dans le cadre d'une expérience sociale. Il doit être insupportable d'être accusé à tort. Et de subir insultes, et menaces. Mais, et je conçois que cela puisse choquer, les personnes mises injustement en cause, auront toujours la possibilité de rétablir la vérité. Même si elles y auront laissé des plumes. Puisque tout le monde se plaît à niveller les choses et à décreter ce qui est grave ou pas: allons-y. C'est moins grave de devoir prouver qu'on est pas raciste que de tâcher de rester en vie quand on est juif, Noir, ou arabe.

Ce qui reste très mystérieux, c'est comment le harcèlement en ligne est banalisé, peu questionné, rarement sanctionné. On s'est fait à l'idée que les réseaux sociaux étaient un champ de tir et que nous sommes tous les potentielles victimes d'une balle perdue –quand on est pas nous même le harceleur en commentant avec fiel une vidéo ou un tweet. On a fait avec. Mais quand il s'agit non pas de harceler mais de dire à un néonazi «hey, on t'a reconnu» et de le «shamer», cela suscite subitement toutes sortes de débats qui parasitent la seule chose dont on est sûrs: nous sommes en 2017 et des gens crient «heil hitler» dans la rue. 

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