Tous les amateurs de Jerry Lewis connaissent l’existence de The Day The Clown Cried (Le jour où le clown pleura). Œuvre maudite, catastrophe industrielle, objet de procédure, c’est la part maudite du cinéaste. Un mélo tragique autour de la Shoah, in fine jamais montré, déposé à la Bibliothèque du Congrès à Washington, où il demeure soustrait au regard jusqu’en 2025, selon la volonté de l’auteur même. Mais bien avant Internet, où l’on peut voir aujourd’hui des extraits du film qui ont fuité, le secret était déjà chose relative. Quelques copies, montrées par l’auteur à des proches, ont toujours circulé, satisfaisant par ricochets la curiosité de quelques cinéphiles sur d’antiques VHS de qualité de plus en plus dégradées avec le temps.
Le film, situé en Allemagne sous le nazisme, raconte l’histoire d’Helmut le magnifique (Jerry Lewis), clown célèbre mais déchu, qui s’est réfugié dans le doute et l’amertume, injuriant Hitler à l’occasion de ses beuveries. Arrêté, le voilà déporté dans un camp de concentration. Tandis qu’il refuse obstinément de distraire ses camarades de baraquement, un groupe d’enfants juifs reclus derrière des barbelés attire son attention. Pour eux, il redevient clown. Les nazis, après le lui avoir interdit, utilisent alors ses talents pour amadouer les enfants promis à un sort funeste. Mais Helmut les accompagnera dans la chambre à gaz de son plein gré, après leur avoir fait un à un passer le seuil, en costume et nez rouge.
Cette scène finale, comme celle de la nuit qui précède, où le clown réconforte les enfants dans un wagon de chemin de fer immobile sur une voie qui jouxte la forêt, sont assez touchantes et tirent le film du côté du conte. On pense, naturellement, au Joueur de flûte de Hamelin. Pour autant, le film tient à l’égard de son sujet une ligne dépourvue de complaisance, qui consiste à envisager la mort comme seul terme envisageable, à rebours de ce que fera, par exemple, Roberto Benigni dans La vie est belle (1997). Il n’en reste pas moins qu’on a affaire avec ce film à une œuvre fragmentaire, dépourvue de jointures, dotée de conventions surannées (tout le monde y parle anglais, y compris les nazis, mais avec l’accent suédois), assez mal jouée, et à l’évidence sous-financée.
Aussi bien, le sujet du film semble être davantage Jerry Lewis lui-même que la Shoah ou les enfants – simples figurants – qui y ont succombé. Pour embarrassant que soit le constat, il faut reconnaître qu’il engage une certaine émotion. Comme le rappelle son (excellent) biographe Chris Fujiwara, « le show-business constitue pour Lewis une psychanalyse alternative, une scène thérapeutique au sein de laquelle il peut mettre en scène en public ses obsessions ».
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