La Haute Cour de justice a relancé le débat sur l’intégration des hommes ultraorthodoxes dans l’armée israélienne. Dans une décision très commentée, la plus haute instance judiciaire du pays a rejeté par huit voix contre une, mardi 12 septembre, la législation en vigueur, qu’elle estime discriminatoire envers le reste des jeunes Israéliens faisant leur service.
Une loi qui prévoyait d’accélérer la participation des haredim à l’armée avait en effet été neutralisée par un amendement voté en 2015. Le gouvernement israélien se voit donner un an par la Haute Cour pour concevoir une nouvelle législation. Mais la droite est décidée à trouver une parade législative. La décision de la Haute Cour porte un coup aux arrangements, conclus après les élections de mars 2015, au sein de la coalition au pouvoir. Les deux formations ultraorthodoxes, Shass et Judaïsme unifié de la Torah, avaient posé une liste d’exigences pour s’associer au Likoud et au Foyer juif au sein du gouvernement. La question du service militaire figurait tout en haut. Leur objectif consistait à ruiner les efforts du parti centriste Yesh Atid et de son leader Yaïr Lapid, au sein du gouvernement sortant.
Un débat persistant et sensible
Yesh Atid avait promu une loi importante en mars 2014, pour pousser les haredim à faire leur service militaire sous peine de poursuites pénales, si les quotas n’étaient pas respectés. L’initiative n’était pas brutale. Les jeunes hommes avaient la possibilité de différer ce service en poursuivant leurs études en yeshiva (école religieuse) ou de lui préférer un service civil. Une période transitoire de trois ans était prévue, avec un objectif chiffré d’enrôlements chaque année. Depuis, le sujet a mobilisé à intervalles réguliers les communautés ultraorthodoxes, avec des manifestations, des actes de violence et de défiance contre l’armée et la police.
Une étude du Bureau central des statistiques, en mai, affirmait que la part des haredim dans la population pourrait passer de 11 % en 2015 à 20 % en 2040. Selon l’armée, interrogée par Le Monde, 6 600 membres de ces communautés ultraorthodoxes servent en son sein aujourd’hui, dont 400 sont des militaires de carrière. Au-delà des calculs politiques, l’intégration des haredim met en cause des questions fondamentales pour l’avenir du pays : la nature de l’Etat, les rapports que celui-ci entretient avec la religion, la soumission des ultraorthodoxes aux lois communes et leur engagement citoyen.
L’enrôlement dans l’armée continue d’être vu, dans les groupes les plus conservateurs, comme une trahison envers Dieu et la communauté. « Le mode de vie des ultraorthodoxes réclame un engagement total en faveur de la loi juive, souligne Yaïr Sheleg, qui dirige le programme Religion et Etat au Israel Democracy Institute. Or s’engager dans l’armée, surtout dans les unités de combat, c’est aussi un engagement total. Vous ne retrouvez votre famille, votre communauté, qu’une fois toutes les trois semaines pour le week-end. Les haredim redoutent que les jeunes soient laïcisés par la force des choses. »
« Une combine sera trouvée »
De son côté, le rabbin David Stav estime surtout que les leaders religieux redoutent de perdre le contrôle sur cette jeunesse, dès lors qu’elle intégrerait l’armée et ouvrirait son esprit. Président de l’organisation Tzohar, qui prône un judaïsme plus tolérant et s’oppose au monopole du Grand Rabbinat dans les affaires religieuses, David Stav salue la décision de la Haute Cour, tout en jugeant sa décision « inapplicable ». « La Cour a eu raison de dénoncer une législation immorale, dit-il. Mais il est impossible de forcer un aussi grand groupe à servir dans l’armée, s’ils ne veulent pas. Une combine sera trouvée pour contourner la Haute Cour. Il aurait mieux fallu dire qu’il est impossible de financer les longues études religieuses de personnes ne contribuant ni à la vie économique du pays, ni à son armée. »
Déjà, une nouvelle bataille se dessine entre la droite israélienne et la Haute cour de justice, accusée d’outrepasser ses prérogatives et d’être un repaire de gauchistes. Parallèlement, les spéculations sur une crise gouvernementale majeure, conduisant à une implosion de la coalition au pouvoir, ont repris de plus belle mardi soir. Mais la réalité politique est plus complexe. Les deux partis ultraorthodoxes, qui ont fait leur retour au gouvernement après les élections de 2015, ont obtenu énormément de privilèges et de financements pour leurs communautés. ils n’ont pas d’intérêt à une fin de ce cycle. De même, la droite nationale religieuse, conduite par le ministre de l’éducation Naftali Bennett, considère qu’elle a gagné la bataille idéologique, imposant mois après mois son agenda, forçant M. Nétanyahou à s’aligner sur ses positions, même à demi-mot.
Cette droite messianique dispose d’un poids disproportionné par rapport à son faible nombre de députés, huit sur 120 à la Knesset. Naftali Bennett sait qu’il ne dispose pas à ce stade du soutien populaire nécessaire pour remplacer Nétanyahou et le Likoud comme parti central de la droite. Enfin, le ministre de la défense, Avigdor Lieberman, revenu au gouvernement en 2016, est trop heureux de sa position clé pour s’exposer à la volatilité du suffrage. En somme, à droite, personne n’a d’intérêt à des élections anticipées immédiates. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont à écarter. D’autant que les nombreuses affaires mettant en cause le premier ministre, sa famille et son entourage représentent des barils de poudre dont on guette l’explosion éventuelle sans connaître le calendrier.
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