France : cinq ans après Merah, la communauté juive entre résilience et inquiétude

Le 19 mars 2012, Mohamed Merah assassinait trois élèves et un professeur d'une école juive de Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Depuis, la communauté est partagée entre le constat d'une protection accrue et l'inquiétude face à un danger antisémite persistant.

AFP
France : cinq ans après Merah, la communauté juive entre résilience et inquiétude
©AFP

Le 19 mars 2012, Mohamed Merah assassinait trois élèves et un professeur d'une école juive de Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Depuis, la communauté est partagée entre le constat d'une protection accrue et l'inquiétude face à un danger antisémite persistant.

Abdelkader Merah, le frère du jihadiste tué par la police, comparaît à partir de lundi pour complicité, avec un autre accusé, devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Leur procès va-t-il réveiller les souffrances causées par la plus meurtrière attaque antisémite qu'ait connue la France depuis la Deuxième Guerre mondiale, avec l'attentat devant une synagogue parisienne en 1980 et l'attaque d'une supérette casher en 2015?

"Je crois que le choc terrible de ce 19 mars 2012, on l'a tous les jours (en tête), chaque fois qu'on emmène ou attend ses enfants à l'école", déclare à l'AFP le grand rabbin de France, Haïm Korsia.

La première minorité juive d'Europe, forte d'un demi-million de personnes, ne s'est alors guère sentie soutenue. "Il y a eu une forme de mise à distance, d'indifférence. Dans les manifestations, les cérémonies, on se retrouvait très seuls. Il a fallu attendre les marches du 11 janvier 2015 (après les attentats contre Charlie Hebdo et la supérette casher, ndr) pour trouver cette fraternité qu'on aurait tant aimé percevoir", estime le chef religieux.

Yaacov Monsonégo, directeur de l'école toulousaine Ozar Hatorah, rebaptisée Ohr Torah, a perdu il y a cinq ans sa fille Myriam. Assassinée dans la cour de l'établissement, elle fut la dernière victime de Mohamed Merah, qui s'en était pris auparavant à Jonathan Sandler et ses deux fils de 3 et 5 ans, Gabriel et Arieh.

Il y a "toujours ce nuage qui pèse au-dessus de nos têtes", souffle-t-il.

"On n'imagine pas le traumatisme vécu par les familles lors de cette attaque qui n'a duré que quelques minutes", souligne Nicole Yardeni, du Conseil représentatif des institutions juives (Crif).

La responsable communautaire évalue à 300 le nombre de familles toulousaines qui ont depuis quitté la France pour Israël, dans le cadre de "l'aliyah", ou vers d'autres pays comme la Grande-Bretagne, le Canada, les Etats-Unis...

'Evénement déclencheur'

Dans son étude "L'an prochain à Jérusalem", le directeur du département opinion de l'Ifop, Jérôme Fourquet, voit la tuerie comme l'"événement déclencheur" d'une "aliyah" de France qui s'est emballée. Après le temps de latence nécessaire à la concrétisation de tels projets, 20.000 départs ont été enregistrés entre 2014 et 2016.

Avec la récurrence des attentats - 239 morts en France depuis 2015 - et la généralisation des cibles, la donne a changé. "Il y a eu une résilience, qui passe par l'intégration de l'idée que ces actes sont possibles", estime le grand rabbin Korsia. "On a gagné en partage, en coproduction de la sécurité" ce qu'"on a perdu en innocence".

Les actes antisémites en France ont nettement fléchi en 2016 par rapport à 2015 (-58,5%), après la mise en oeuvre d'un plan gouvernemental de lutte et la mobilisation de plus de 10.000 militaires, notamment aux abords des 800 synagogues, écoles et centres communautaires.

Des politiques ont su trouver les mots, selon le grand rabbin de France, citant la formule employée par l'ex-Premier ministre Manuel Valls: "Sans les juifs de France, la France ne serait pas la France."

L'émigration a ralenti. L'école Ohr Torah, passée en quatre ans de 200 à 140 élèves, a vécu cette année sa deuxième rentrée sans baisse d'effectifs.

"La pression est en partie descendue, mais la communauté reste à cran", note Jérôme Fourquet devant l'émotion provoquée par l'assassinat d'une femme juive en avril à Paris ou la récente séquestration d'un président d'association communautaire en banlieue parisienne.

Face à la violence jihadiste, "la réponse n'est pas que sécuritaire, et le procès d'Abdelkader Merah, qui pour les magistrats a largement contribué à la radicalisation de son frère, pose cette question: un théoricien n'a-t-il pas la même responsabilité qu'un exécutant?", insiste Nicole Yardeni. Si la réponse de la justice est positive, "on aura bien avancé".

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...