C’est moins l’histoire d’une rédemption qu’une celle d’un isolement social, de l’enfermement progressif d’un homme au sein d’un groupe politique ultraviolent – les fascistes britanniques – et d’une fuite en avant construite sur d’improbables contradictions que raconte la chaîne britannique Channel 4.
C’est surtout l’histoire d’un homme de 58 ans qui rend les armes et regarde ces contradictions en face : lui qui se considère comme néonazi depuis l’adolescence quitte « le mouvement » et révèle publiquement qu’il est gay et a des origines juives.
Kevin Wilshaw est présenté comme « un militant très connu du National Front pendant les années 1980 et était encore actif jusqu’en début d’année dans des groupes suprémacistes », comme le British National Party. Très jeune, il a gravité vers les cercles extrémistes, fuyant un foyer violent et une petite ville isolée, à la recherche de « ce sentiment de camaraderie qu’on a lors qu’on est membre d’un groupe qui est attaqué par d’autres ».
La double vie qu’il mène depuis plus de 40 ans était devenue impossible à justifier, dit-il depuis son salon, devant les caméras de Channel 4. « C’est extrêmement égoïste à dire. J’ai vu des gens se faire insulter et cracher dessus dans la rue, mais ce n’est que quand vous êtes la victime que vous vous rendez soudainement compte que ce que vous faites est mal. »
« Il y a toujours eu une scène gay active à l’extrême droite »
Matthew Collins, de l’ONG Hope Not Hate, est lui aussi un ancien skinhead. Il travaille à la réinsertion d’anciens extrémistes et a aidé Kevin Wilshaw, qu’il a côtoyé « dans l’underground violent du fascisme et du nationalisme britannique ». Il voit en Kevin Wilshaw un cas unique. Un homme, se sachant gay et juif, qui a milité dans des groupes antisémites et racistes en se forçant à ignorer la réalité, ou au moins à ne pas trop réfléchir aux immenses incohérences :
« Depuis tout le temps que je suis impliqué ou observateur de l’extrême droite, je n’ai jamais vu quelqu’un qui a dû faire autant d’efforts ou surmonter tellement de défis juste pour pouvoir continuer à haïr. »
Dans les années 1980, Kevin Wilshaw est condamné pour l’attaque d’une mosquée à Aylesbury. Pourtant, il dit avoir maintenu une très bonne relation avec sa sœur, mariée à un musulman et convertie à l’islam. La mort de sa mère en 2015, de qui il tenait ses origines juives, l’a finalement obligée à regarder la réalité en face. Peu de temps après, il se rapproche de Hope Not Hate et la transition aboutit avec l’interview de Channel 4 et la médiatisation de son histoire.
Quant à sa vie sexuelle, elle n’a jamais posé de problèmes au sein des mouvements d’extrême droite, au contraire :
« Il y a toujours eu un milieu gay actif à l’extrême droite, à condition qu’on n’en parle pas et que tu ne te fasses pas prendre. Je fréquentais beaucoup les clubs gays, je ne me suis jamais fait prendre, je n’en ai jamais parlé. Dans les années 1980, le National Front organisait des “fêtes” pour leurs membres gays, je n’y suis jamais allé. »
Pour Paraic O’Brien, un des journalistes qui a fait le sujet, l’histoire de Kevin Wilshaw ne se résume pas à la juxtaposition de ses éléments sensationnalistes (gay + nazi + juif). Elle dit quelque chose sur la réalité des réhabilitations pour les individus impliqués dans des groupes extrémistes, quels qu’ils soient. « Une vraie réhabilitation veut dire offrir un véritable sentiment d’engagement civique – une vraie chance de’dé-isoler’», dit-il.
Kevin Wilshaw voit en son coming out quelque chose de beaucoup plus personnel : une tentative d’être honnête et de reconnecter avec son fils :
« C’était la seule personne qui comptait pour moi et qui ne savait pas (…). Il avait trop honte de moi. Pour lui je n’étais qu’un vieux nazi triste. Il ne connaissait pas la vérité. »
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