Pourquoi Israël craint l’Iran et fait des yeux doux à l’Arabie saoudite (ENTRETIEN)
- Publié le 14-11-2017 à 10h23
- Mis à jour le 14-11-2017 à 10h30
Y a-t-il un risque de guerre entre l’Arabie saoudite et l’Iran ? Que se passe-t-il en Irak et au Liban ? Autant de questions auxquelles Sima Shine peut répondre grâce au sixième sens développé durant sa carrière au sein du Mossad, où elle a dirigé le service des analyses sur le Moyen-Orient. Aujourd’hui, chercheuse à l’Institute for National Security Studies (INSS) de Tel Aviv, elle s’exprime plus ouvertement, mais dans la ligne d’Israël.
Craignez-vous la guerre entre l’Arabie saoudite et l’Iran ?
Non, nous ne verrons pas une guerre directe, bilatérale, entre les deux pays. Chacun hésite à entrer dans un tel conflit. Mais la guerre via des proxies, déjà en cours, va s’accélérer. On voit bien que l’Arabie saoudite tente un rapprochement avec l’Irak pour ne pas laisser le champ libre aux Iraniens. Le Premier ministre al-Abadi est allé à Riyad, de même que (le leader chiite) Moqtada Sadr. Je pense que l’Arabie saoudite va soutenir une coopération entre les chiites et les sunnites, qui est la seule façon de rendre l’Irak stable à l’avenir. L’autre région est bien sûr le Liban où l’influence saoudienne a toujours été très importante. Riyad tente de rétablir l’influence de la communauté sunnite locale dans l’espoir de réduire la mainmise du Hezbollah, soutenu par l’Iran.
Comment interprétez-vous la purge à Riyad ?
C’est une affaire interne liée à la lutte pour occuper le trône du prochain roi. On dit que le roi Salmane a l’intention de céder sa couronne à son fils avant de mourir. MBS (Mohamed Ben Salmane) a désormais le contrôle des trois forces de sécurité du pays. En tant que ministre de la Défense, il a le contrôle de l’armée. Quand il a limogé le ministre des Affaires internes, il a pris l’ascendant sur les forces de sécurité intérieures. Et maintenant, il a limogé le patron de la Garde nationale. Il a aussi pris le contrôle des deux plus importantes chaînes de télévision du pays et de plusieurs business. Ce jeune prince semble aussi vouloir changer la société saoudienne, autoriser les femmes à conduire, construire de nouvelles villes sur les bords de la mer Rouge, promouvoir un islam tolérant…
Une bonne nouvelle ?
Voyons d’abord s’il va réussir…. Plus il fait des purges, plus il se crée des ennemis. Mais s’il réussit, il pourrait changer l’Arabie saoudite.
Pour quelles raisons Israël développe-t-il des relations avec Riyad ?
Nos accords avec l’Egypte et la Jordanie, deux pays stratégiques à nos frontières, sont fondamentaux. Une bonne relation avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe est très importante pour nous sur le plan politique, mais aussi économique.
N’y a-t-il pas un risque pour Israël de se trouver coincé dans un conflit entre Riyad et Téhéran ?
Nous y sommes déjà car l’Iran a décidé que nous étions le "Petit Satan" et qu’Israël devait être effacé de la carte du monde, même si l’Iran ne le ferait pas de lui-même. Nous n’avons pas d’alternative.
Un autre acteur est la Turquie, qui a des troupes en Syrie, en Irak et même au Qatar. Quel rôle joue-t-elle ?
Il y a deux ans, la Turquie a effectué un changement stratégique majeur. Autrefois contre l’Iran et donc proche de l’Arabie saoudite, Ankara s’est réconciliée avec la Russie, puis avec Bachar al-Assad, enfin avec l’Iran. La Turquie a toujours constitué un intérêt majeur pour l’Iran, en raison de leur frontière commune et parce que l’Iran veut montrer qu’il n’intervient pas seulement pour protéger les chiites mais aussi pour afficher de bonnes relations avec un pays sunnite comme la Turquie.
Et la Syrie ?
Bachar al-Assad dépend tellement des Iraniens que ceux-ci feront tout pour inclure des milices pro-iraniennes dans l’armée syrienne. Comme ils l’ont fait en Irak ! Téhéran entend soutenir le réseau électrique syrien, construire une route vers l’Irak, ouvrir une université à Idlib du type de l’université islamique Azad. Nous assistons à une pénétration iranienne en Syrie, d’un point de vue sécuritaire, économique et religieux.
N’y a-t-il pas en Syrie, comme en Irak, un sentiment national qui veut se préserver de l’ingérence ?
En Syrie, Bachar al-Assad n’a pas le privilège du choix. Les Iraniens ont été les premiers à la soutenir et ont amené les Russes. Ils sont plus malins que lui et ont des moyens financiers. Historiquement, les Iraniens sont extraordinairement efficaces. Voyez le Qatar, l’Irak, le Liban… Mais il y a une limite à ce qu’un pays chiite peut "digérer" en terre majoritairement sunnite.
Les Européens se sont rendu compte, après le 11 septembre, que l’islam radical, inspiré par le wahhabisme, avait produit un terrible courant terroriste. Et pourtant, Israël craint plus l’Iran, avec qui nous avons signé un accord nucléaire…
Nul doute que le wahhabisme a joué un rôle dans l’essor de ce courant djihadiste. Mais l’Arabie saoudite a pris conscience que celui-ci constituait un danger pour elle aussi. Pour nous, la différence est que l’Iran est un Etat alors qu’Al-Qaïda et Daech sont des groupes terroristes.