La campagne d’Orbán contre Soros fait pschitt !
- Publié le 01-12-2017 à 15h37
- Mis à jour le 01-12-2017 à 15h39
Fin de la consultation nationale contre Soros après des semaines de propagande paranoïaque. Au voleur ! A l’assassin ! On m’a dérobé mon argent. Qui cela peut-il être ?" - "George Soros !", crie une voix dans le public du théâtre budapestois Magyar Színház. Après quelques secondes de silence, le comédien qui incarne Harpagon dans cette représentation de "L’avare" de Molière et qui n’a pas saisi l’ironie réplique : "Dis-mois, t’es con ou quoi ? !" C’est le site en ligne 444.hu qui relate cette scène révélatrice qui s’est produite vendredi. Il y a quelques mois encore, personne ou presque ne connaissait ni le nom ni le visage de celui qui a été élevé au rang d’ennemi d’Etat par le gouvernement national-populiste de Viktor Orbán. A tel point que George Soros, né juif hongrois à Budapest en 1930, devenu spéculateur-milliardaire américain puis grand mécène au profit des causes progressistes et libérales dans le monde, fait d’une certaine façon désormais partie de la vie des Hongrois, alimentant les conversations et les blagues de gens de tous bords, pro et anti-Fidesz.
Après plusieurs mois d’une campagne de calomnie orchestrée par le gouvernement Fidesz, George Soros s’est décidé à réagir, lundi 20 novembre, qualifiant la situation actuelle de "tragédie pour la Hongrie" et dénonçant les "affirmations fausses et mensongères" de la consultation nationale. Celle-ci consiste en sept affirmations sur lesquelles les huit millions d’électeurs doivent se prononcer, telles que : "Une partie du plan Soros consiste à attaquer politiquement et sanctionner durement les pays opposés à l’immigration." "Attaque frontale !", ont rétorqué en chœur les hommes du Fidesz. Deux jours plus tard, le chef de la diplomatie, Péter Szijjártó, affirmait lors d’une conférence de presse : "Ces dernières années, le plan de Soros a entraîné une immigration clandestine de masse en Europe." Un jour après avoir fait du milliardaire l’instigateur de la "crise des réfugiés", ce supposé plan était subitement réduit aux prises de position passées du milliardaire dans la presse : "Il a expliqué ce qu’il veut, et c’est ce que nous appelons le Plan Soros."
"Un énorme acte de lavage de cerveau"
La situation est devenue ubuesque en Hongrie au point que c’est le Jobbik, un parti aux racines antisémites (mais qui les renie à présent) qui s’emploie à démonter la propagande par laquelle le Fidesz l’étouffe, ainsi que tous ses autres adversaires politiques. Son député Ádám Mirkóczki a saisi le Bureau national d’investigation de la police hongroise afin que celui-ci détermine si George Soros constitue une "menace pour la sécurité nationale" comme l’affirme le Premier ministre Viktor Orbán. Dans le cas contraire, avertissait Mirkóczki, preuve sera faite que toute la campagne n’est qu’un "énorme acte de lavage de cerveau, un vaste mensonge". Après un mois d’attente, la police a finalement rejeté, cette semaine, sa demande d’enquête, invoquant un manque de preuves. Elle a estimé que non seulement Soros n’a fait qu’exprimer une opinion sur la migration - ce qui "ne peut être considéré comme une préparation à un acte qui implique la violence ou la menace" - mais qu’en plus ses propositions concernent l’Union européenne et non la Hongrie. Face à un comité parlementaire sur la sécurité nationale, le ministre de l’Intérieur Sándor Pintér avait lui-même été bien en peine d’étayer les craintes de son gouvernement. "Je ne sais pas si George Soros présente ou non un danger", avait-il dû concéder, ajoutant prudemment "mais les idées qu’il promulgue ne sont pas conformes aux conceptions hongroises et à la loi hongroise". Quoi qu’il en soit, le Fidesz espère brandir ce week-end le nombre de deux millions de questionnaires "validés" par la population. C’est à peu près le socle électoral sur lequel le Fidesz espère bâtir une nouvelle victoire électorale en avril 2018.
3 questions à Gabor Horn
Directeur du programme éducation à la Hungarian Soros Foundation de 1995 à 2000 et aujourd’hui à la tête du think tank "Republikon".
1. A quand remonte la rupture entre Soros et la droite qui collaboraient dans les années 80 et 90 ?
George Soros est venu en Hongrie en 2011 pour faire donation d’un million de dollars pour les victimes de la boue rouge (une catastrophe industrielle, NdlR) et pour établir un programme en faveur de l’intégration des Roms. Il a serré la main d’Orbán devant les caméras. On savait déjà qu’ils représentaient deux idéologies opposées, mais tout le monde s’en fichait. Ce n’est donc pas un conflit ancien… juste une manœuvre électoraliste.
2. Certains dénoncent une campagne aux relents antisémites, du fait des origines juives de Soros. Partagez-vous cet avis ?
Je connais personnellement Orbán, ce n’est pas un antisémite, pas plus que le Fidesz d’ailleurs. Toute cette campagne toxique et ignoble n’a rien à voir avec la personne de Soros, c’est du cynisme pur : comment renforcer le pouvoir de son groupe qui est anti-globaliste, anti-européen et populiste.
3. Que cela dit-il de la société hongroise ?
La majeure partie de la société ne sait pas qui est George, personne ne le dit alors que c’est important : George Soros est un Hongrois et son argent est hongrois, il n’est pas une force étrangère ! Et le gouvernement hongrois a dépensé sept milliards de forint (environ 22 millions d’euros) pour sa campagne contre lui, c’est cinq fois plus que ce que dépense l’Open Society Foundations de Soros en une année en Hongrie !