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Controverse historique dans le Journal de Moshe Sharett

L’État juif et l’intégrité du Liban

La polémique interne va grandissant en Israël entre, d’une part, les partisans de la guerre du Liban et du maintien de l’occupation de la région sud du pays et, d’autre part, ceux qui récusent cette politique, qui voient une différence de principe entre une guerre comme celle de 1948-1949, où il n’y avait « pas d’autre choix », puisque le pays était attaqué par des pays arabes qui cherchaient à empêcher son existence, et la guerre de 1982-1983, qu’Israël a consciemment entreprise dans le but d’« effacer » le problème palestinien. De jeunes Israéliens découvrent brusquement la problématique compliquée et inquiétante de la politique extérieure de leur pays voulant que la loi du plus fort soit le plus simple moyen de résoudre un difficile conflit entre deux peuples : en réalité, hormis leur ignorance, il n’y a là rien de nouveau.

De nombreux jeunes, remettant en question l’« éthique » d’Israël, refusent d’effectuer leur service militaire au Liban, dans un pays déchiré par les conflits internes, où, de surcroît, ils découvrent à leur tour ce que Moshe Sharett, qui fut le deuxième chef du gouvernement et le premier ministre des affaires étrangères d’Israël, avait dès la première conquête de la bande de Gaza en 1956 appelé le « gouffre de l’occupation » .

Pour certains, l’origine de l’attitude israélienne envers le Liban remonte au lendemain de la première guerre mondiale, lorsque Français et Britanniques établirent artificiellement les frontières des Etats reçus en « mandat » de la Société des nations. A l’époque, les dirigeants du mouvement sioniste rêvaient déjà aux frontières d’un hypothétique « foyer national » ; et, dans le projet qu’ils présentèrent à la conférence de la paix de Paris, en 1919, la frontière nord de ce « foyer » était marquée par le fleuve Litani. En fait, cette frontière ne devait pas voir le jour, et les dirigeants sionistes ne lui accorderaient par la suite aucune attention particulière ; pas plus, en tout cas, qu’à ces vieilles cartes du mouvement révisionniste de Jabotinsky représentant un Etat d’Israël s’étendant loin au-delà du Jourdain.

Cependant, moins de six ans après la fondation de l’Etat d’Israël en 1948, et comme pour confirmer les griefs arabes dénonçant un « expansionnisme congénital » du jeune Etat, apparut parmi les dirigeants israéliens une volonté farouche d’envahir le Liban pour y faire régner un « ordre nouveau » et s’approprier les territoires situés au sud du Litani. Trois hommes symbolisèrent alors cette volonté : David Ben Gourion, qui venait de démissionner de la présidence du conseil ; Pinhas Lavon, une ancienne « colombe » qui se transforma en « faucon » dès l’instant où il fut désigné ministre de la défense, et le jeune chef d’état-major Moshe Dayan. Ils représentaient en cela toute une tendance politique envahie par un nouveau sentiment de puissance qu’illustraient les « actions punitives » menées par un tout jeune officier nommé Ariel Sharon.

Les faits sont établis dans un document unique en son genre dont l’authenticité est prouvée : le Journal personnel de mon père, Moshe Sharett. Devenu chef du gouvernement, celui-ci réussit à deux reprises, en 1954 et 1955, à empêcher le gouvernement de prendre la décision d’envahir le Liban.

Le Journal de Moshe Sharett a été publié en hébreu en 1978 (éditions Maariv, Tel-Aviv), et n’a jusqu’à présent été traduit dans aucune langue. Nous en donnons ci-dessous les principaux extraits concernant la politique israélienne à l’égard du voisin libanais.

Jeudi 25 février 1954

(…) On vient de m’annoncer par téléphone que le général Neguib (président de l’Egypte depuis le coup d’Etat des officiers en juillet 1952) a été renversé, et que Gamal Nasser s’est désigné chef du gouvernement (…). Malgré les bruits qui couraient depuis des semaines, c’est une énorme surprise.

Après une brève visite au ministère des affaires étrangères et une courte discussion sur les dernières nouvelles en provenance d’Egypte, je pars à Rehovot pour un déjeuner chez Mme Weizmann (veuve du premier président de l’Etat d’Israël). Parmi les invités, il y a Pinhas Lavon (ministre de la défense) et sa femme Lucie. Au milieu du repas, je suis informé par téléphone qu’une révolte a éclaté contre le président syrien, le colonel Adib Chichakli. La révolte semblerait être organisée par Bagdad.

Après le repas, Pinhas Lavon m’a pris à part. Selon lui, c’est le moment ou jamais de prendre possession des positions sur la frontière syrienne situées de l’autre côté de la zone démi-litarisée (instaurée à l’issue des accords de cessez-le-feu israélo-syriens de 1949). La Syrie se désagrège (…). C’est une occasion historique qu’il ne faut pas manquer !

Je me suis rendu compte que nous étions au seuil d’une aventure catastrophique. Je me suis demandé si Lavon proposait d’entrer immédiatement en action, et j’ai été stupéfait de voir que telle était son intention (…). Je lui ai dit que, pour l’instant, l’entrée des troupes irakiennes en Syrie n’était pas un fait établi mais seulement une menace, qu’on ne savait même pas encore si Chichakli avait été réellement renversé. Nous devons donc attendre et voir avant de prendre une décision. Lavon a répété que le temps nous était compté et que l’on ne savait pas si une telle occasion reviendrait jamais. A mon tour, j’ai rappelé que, dans les conditions actuelles, il n’était pas envisageable que je donne mon accord à une action de ce type. Finalement, j’ai proposé que l’on en discute avec Ben Gourion, chez lui, à Sdé-Boker samedi matin.

 (...)

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Yaacov Sharett

Écrivain et journaliste israélien, fils de l’ancien premier ministre.

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