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Moyen-Orient

Jérusalem : les leçons du dernier coup de force de Trump au Moyen-Orient

INTERVIEW Xavier Baron, spécialiste du Proche-Orient et auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit israélo-palestinien, estime que Donald Trump "s'adresse avant toute chose à son électorat évangéliste" et constate "le profond désengagement des pays arabes dans ce conflit" entre Israël et la Palestine.

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Donald Trump a reconnu mercredi Jérusalem comme capitale d'Israël et suscité une vague de réprobation très forte au Proche-Orient.

Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël et suscité une vague de réprobation très forte au Proche-Orient.

Heri Juanda/AP/SIPA

Après le soutien total accordé à l'Arabie saoudite et la "décertification" de l'accord sur le nucléaire iranien, Donald Trump vient de prendre une nouvelle décision lourde de conséquences pour le Moyen-Orient. Contrairement à ses prédécesseurs, le président américain a reconnu mercredi Jérusalem comme capitale d'Israël, suscitant la colère des Palestiniens et une vague de réprobation au Proche-Orient. Une décision qui pour le mouvement islamiste palestinien Hamas ouvre "les portes de l'enfer" aux États-Unis dans la région. La Jordanie, la Turquie, mais aussi la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Union européenne ou l'Arabie saoudite ont également ouvertement regretté cette décision du locataire de la Maison Blanche. Quant à Vladimir Poutine, il se rendra lundi en Turquie pour évoquer le sujet avec Recep Tayyip Erdogan. 

L'analyse de la situation avec Xavier Baron, spécialiste du Proche-Orient et auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit israélo-palestinien dont "Les conflits du Proche-Orient" (Perrin) ou "Histoire du Liban" paru en 2017 chez Tallandier.

Comment analysez-vous la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël?

C'est un acte très inquiétant qui met par terre tous les efforts diplomatiques menés par ses prédécesseurs. Le sort de Jérusalem doit faire l'objet de négociations dans le cadre du processus de paix. Donald Trump ne peut pas régler tout seul cette question historique. Cette décision est d'autant plus dommageable que le président américain ne propose rien s'agissant du conflit israélo-palestinien. Il a par exemple déclaré, lors de son intervention mercredi, que les limites de la souveraineté israélienne sont a définir : reconnaît-il donc uniquement Jérusalem-Ouest, c'est à dire la partie israélienne de la ville ? Il ne définit pas Jérusalem dans son intervention et se borne uniquement à dire que cette question de la souveraineté israélienne devra faire l'objet de discussions. 

Cette décision est-elle en rupture totale avec la politique américaine traditionnelle des États-Unis dans la région?

Donald Trump met en œuvre une décision votée par le Congrès américain en 1995 et systématiquement repoussée tous les six mois par ses prédécesseurs. Ces derniers redoutaient que cette reconnaissance n'embrase encore davantage la région. Certains présidents ont toutefois fortement penché du côté d'Israël. On a par exemple longtemps pensé que Ronald Reagan allait franchir le pas. Bill Clinton avait aussi parlé en 2000 du bassin sacré de Jérusalem mais il n'était pas allé plus loin. Avec Trump c'est différent. Nous avons affaire à un président qui n'a pas de limite et s'adresse avant toute chose à son électorat évangéliste. 

Cette reconnaissance menace-t-elle le processus de paix?

On repart à zéro. Donald Trump a plongé les relations israélo-palestiniennes dans un plus bas historique. Les Palestiniens n'accepteront jamais une solution s'ils n'ont pas Jérusalem-Est qui est d'ailleurs de plus en plus encerclé par les colonies israéliennes. Et puis personne ne va vouloir négocier avec Trump. Cette décision a été condamnée par quasiment tous les États hormis Israël. Même le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dont les liens avec Donald Trump sont très forts, a critiqué cette décision.

Justement, quel rôle peuvent jouer les pays arabes dans cette nouvelle crise?

On constate depuis longtemps un désengagement des pays arabes dans ce conflit. La Palestine est en quelque sorte une épine dans leurs pieds. Nous ne sommes plus dans les années 1970 où l'Egypte et les autres États arabes se montraient solidaires de la cause palestinienne. Ce sentiment de solidarité a d'ailleurs évolué avec Yasser Arafat qui en tant que président de l'organisation de libération de la Palestine (OLP) agissaient parfois contre les pays arabes. Il ne faut donc pas attendre de réaction immédiate des États arabes. Le Hamas (mouvement islamiste palestinien, Ndlr) a bien appelé à une intifada après la décision de Trump mais cela ne se décrète pas. En revanche, l'opinion arabe peut peut-être faire bouger les lignes. 

L'Arabie saoudite, qui s'est rapprochée ces derniers mois d'Israël pour faire front contre l'Iran, semble se désintéresser de plus en plus de cette question palestinienne...

Il y a entre les deux pays une concordance de vue à propos du "danger" iranien. Riyad est totalement focalisée sur Téhéran. La priorité de Mohammed ben Salmane est donc de contenir l'ennemi chiite plutôt que de venir en soutien de la Palestine. 

Emmanuel Macron se veut pro-actif dans cette région comme il vient de le prouver avec le cas Saad Hariri. Quel rôle peut jouer la France?

Le président a redonné de la force à la diplomatie française depuis son élection. La France est redevenue une force de médiation qui parle aux uns et aux autres, discute avec ses adversaires. Mais s'agissant du conflit israélo-palestinien, ce sont les États-Unis qui ont la main. La France ne peut pas se substituer à la puissance américaine. Et l'Europe, qui n'a jamais rien fait sur la question des colonies, ne le peut pas davantage. Seul Washington peut vraiment initier quelque chose même si c'est très compliqué. Barack Obama avait par exemple tapé du poing sur la table à propos de la colonisation israélienne, puis avait renoncé. Le président américain qui a été le plus proche d'un accord a été Bill Clinton. Les solutions proposées lors du sommet de Camp David en 2000 paraissaient acceptables pour les deux camps. Mais là encore, l'échec avait été au rendez-vous. Il faut aussi dire que tout est plus difficile aujourd'hui car la population israélienne est de plus en plus nationaliste. Le camp de la paix a du mal à s'exprimer et le parti travailliste n'a plus le poids qu'il avait par le passé.

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