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Cinéma

De "Baron noir" aux Oscars, l'incroyable destin de Ziad Doueiri, réalisateur de "L'insulte"

INTERVIEW Emprisonné au Liban pour avoir tourné "L'Attentat" en Israël, Ziad Doueiri est nommé à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère pour son film "L'insulte" qui sort aujourd'hui sur les écrans français. Une revanche pour ce réalisateur à l'esprit vif et au parler franc. 

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Ziad Doueiri, réalisateur de "L'Insulte"

Ziad Doueiri, réalisateur de "L'Insulte", au cinéma le 31 janvier

DAVID HURY

À Beyrouth, une insulte qui dégénère conduit Toni - chrétien libanais - et Yasser - réfugié palestinien - devant les tribunaux. Un affrontement judiciaire qui porte le Liban au bord de l'explosion sociale, et contraint ces deux hommes à se regarder en face. Trente ans après la fin de la guerre civile libanaise, L'Insulte ou Procès N°23 dans sa version originale dépeint avec tant de réalisme les tabous du conflit que le film programmé ce mercredi 31 janvier sur les écrans français a décroché une nomination à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, face à la Palme d'or de 2017, The Square. Derrière la caméra, Ziad Doueiri, un cinéaste franco-libanais qui a quitté son pays pour les Etats-Unis alors que ce dernier était décimé par la guerre civile. À San Diego, il suit une formation de chef-opérateur avant d'être engagé sur le tournage de Reservoir Dogs de Quentin Tarantino. Du cinéaste culte américain, Ziad Doueiri retiendra cet univers noir et ces personnages compulsifs. Mais très vite, le passé rattrape le jeune réalisateur qui, soucieux d'inventer sa propre grammaire cinématographique, retourne dans son pays pour réaliser son premier long-métrage, West Beirut, sorti en 1998. En 2012, il signe L'Attentat, un film adapté du best-seller de Yasmina Khadra qui sera censuré au Liban, car tourné partiellement en Israël. Ziad Doueiri sera même arrêté dans son pays, emprisonné avant d'être remis en liberté. Aujourd'hui, le réalisateur vit en France, et présente son nouveau film L'insulte, coproduit par Jean Bréhat pour Tessalit Productions et Julie Gayet pour Rouge International. Il a même travaillé sur les deux saisons de la série politique Baron noir et savoure cette nomination aux Oscars comme un pied-de-nez à ses détracteurs. Rencontre avec un réalisateur à l'esprit vif et au parler franc, qui prône plus que jamais la réconciliation en ces temps de forte division. 

Que signifie pour vous cette nomination à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère pour L'insulte

Une nomination comme celle-ci est une très jolie récompense, quand on pense au travail rigoureux que l'on a fait, à examiner chaque scène, chaque ligne de dialogue, le casting et tout le reste, toutes les couches qui constituent la fabrication d'un film. Mais pour moi, c'est un peu particulier, car on a subi d'énormes attaques. On a été massacré, j'ai été accusé d'être un "collabo". Autant d'attaques qui ont failli faire tomber toute cette histoire et le film était à deux doigts de ne pas être distribué à Beyrouth. J'ai été emprisonné à cause de ça. Et toutes ces accusations sont parties du fait que j'ai tourné en Israël il y a cinq ans pour L'Attentat. Selon certains groupes, cet acte était considéré acte de traîtrise. Et depuis ce moment-là, on ne m'a pas relâché et c'est devenu une attaque très personnelle. On a vécu trois mois d'enfer et on continue à gagner une bataille l'une après l'autre. Quand on a reçu l'appel pour l'Oscar, j'étais à l'aéroport avec mon producteur Jean Bréhat, ça nous a fait évidemment très plaisir. Je me suis impliqué émotionellement dans ce film, parce que je tenais à son propos. Ce qui se dit dans le film est quelque part autobiographique, les thèmes de la réconciliation, d'être juste, qu'il y avait des peuples qui n'ont pas été entendus, qui ont été stigmatisés, rejetés, emprisonnés. Il fallait montrer cette histoire. Et le fait d'être nommé à l'Oscar est un signe qu'il y a de la justice dans le monde. 

Comment décririez-vous l'ambiance qui règne actuellement au Liban?

Ce qu'il faut comprendre, c'est que le gouvernement est partagé entre deux forces et qu'au Liban, tout est lié. L'art est considéré comme une arme qui peut nuire à l'Etat et certains partis politiques. Donc ils essaient d'interdire ce qui ne leur convient pas. Le film est sorti en septembre et aujourd'hui, il est toujours à l'affiche au Liban. Les Libanais ont tranché dans cette campagne de boycott en allant voir le film. Alors, représenter le Liban à l'Oscar est aujourd'hui une revanche, car c'est leur dire qu'on est dans le monde de la culture et de l'ouverture d'esprit. Gardez votre bataille politique en dehors de l'art. C'est aussi simple que cela. Je suis réalisateur, je suis libre de tourner où je veux avec qui je veux. Vous savez, le Liban est un pays sous tension, parce qu'on est entouré de plusieurs pays en guerre. C'est un pays fragile, un pays de proximité. Comme on dit en arabe, ça a toujours été un "pays posé sur la main du diable", c'est à dire, ça peut basculer à n'importe quel moment. Mais le Liban est un pays qui se bat. 

Quelle est votre situation aujourd'hui? Vous vivez en France? 

Oui, j'habite en France depuis 2012 parce que c'est là où je monte mes films, c'est là où se trouvent mes producteurs et c'est là où ma fille habite. Mais je continue à faire des allers-retours partout dans le monde.

>> À lire aussi: Comment Macron et Mélenchon ont inspiré la saison 2 de "Baron noir"

Vous avez réalisé plusieurs épisodes de la série Baron noir, que vous a-t-elle enseigné sur la situation politique en France?

J'ai réalisé toute la première saison de Baron noir et 5 épisodes de la saison 2. Pour moi, ce travail, je ne l'ai envisagé que d'un point de vue dramatique. J'étais très très loin de la politique française et ce qu'ai découvert et appris m'a fasciné. Quelque part, je sens que c'est ce qui m'a aidé, ça m'a permis de garder un peu de distance. J'ai été choisi car les producteurs avaient beaucoup aimé L'Attentat. Quand j'ai lu le scénario, j'ai senti qu'il y avait une dimension dramatique qui était très belle et c'est cet aspect qui m'a poussé à vouloir entrer dans ce projet. On a créé un style, on a tourné Baron noir comme un long-métrage et ça reste une expérience très unique. Les personnages de Philippe Rickwaert et Amélie Dorendeu sont dramatiquement très intéressants, leurs failles, leur idéalisme, leurs magouilles sont des traits qu'un réalisateur recherche dans un film. 

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