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Pologne : le président Duda approuve la loi controversée sur la Shoah

Washington a exprimé sa « déception » après la décision d’Andrzej Duda, qui risque d’aggraver la crise diplomatique avec Israël.

Par  ((Varsovie, correspondance))

Publié le 06 février 2018 à 14h13, modifié le 07 février 2018 à 11h13

Temps de Lecture 4 min.

Le président Duda lors de l’annonce de la signature du texte de loi, le 6 février 2018.

Sourd à l’inquiétude internationale, le président polonais, Andrzej Duda, a annoncé mardi 6 février, qu’il promulguait la loi mémorielle controversée qui pénalise l’« attribution à la nation ou à l’Etat polonais, en dépit des faits, de crimes contre l’humanité ». Pour Washington, Tel-Aviv mais aussi des historiens du monde entier, cette disposition menace la liberté d’expression et la recherche scientifique en confiant aux procureurs et aux juges le pouvoir d’édicter la vérité historique.

Pris en étau entre son électorat nationaliste et la menace de « répercussions sur les intérêts stratégiques de la Pologne » dans ses relations avec Israël et les Etats-Unis, le président a demandé en parallèle à la Cour constitutionnelle de procéder à un examen ultérieur de la loi. Une manière d’essayer de temporiser en saisissant une juridiction qui est de toute façon contrôlée par le parti au pouvoir. La décision du président ne met pas fin à la sérieuse crise diplomatique avec Israël et les Etats-Unis. « Les Etats-Unis sont déçus par la signature de la loi par le président polonais », a fait savoir, mardi, le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, dans un communiqué. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a, lui, considéré cette loi comme « malvenue » : « Il ne faut pas réécrire l’Histoire », a-t-il déclaré mercredi matin.

« Vague de déclarations antisémites »

Mais au-delà de la loi controversée, c’est la montée de l’antisémitisme en Pologne qui suscite l’inquiétude. L’ambassade d’Israël à Varsovie a déploré dans un communiqué du 2 février la « vague de déclarations antisémites » qui « inondent l’Internet polonais, mais sont aussi devenues présents dans les médias mainstream, en particulier sur TVP Info [une chaîne d’information contrôlée par l’Etat] ».

Moins de deux semaines plus tôt, avant même le début de la crise avec Tel-Aviv, la Pologne avait été bouleversée par un reportage révélant l’existence de groupuscules néonazis polonais. Un phénomène inquiétant dans un pays qui a perdu sous l’occupation allemande près de six millions de ses citoyens, dont la moitié était des juifs polonais.

En dépit des tentatives du gouvernement de minimiser son ampleur, les statistiques du ministère de la justice et de l’association de lutte contre le racisme Plus jamais ça confirment la nette recrudescence depuis 2015 des délits à caractère raciste ou antisémite. Cette date coïncide avec le début de la vague d’attentats islamistes en Europe, la forte médiatisation de la crise des réfugiés et, en Pologne, le retour au pouvoir du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS). En août 2017, le Congrès juif européen déplorait « l’absence de préoccupation étonnante du gouvernement de la Pologne envers la croissance et la normalisation de la rhétorique antisémite et xénophobe dans le pays ces derniers temps ».

Le PiS a une position très critique à l’égard des musulmans – son tout-puissant président, Jaroslaw Kaczynski, avait agité en 2015 la crainte de voir la charia s’appliquer en Pologne –, mais il condamne l’antisémitisme et Kaczynski est admiratif de la « grandeur de l’Etat d’Israël ». « Le gouvernement actuel est, dans l’histoire récente, celui qui a été le plus actif pour entretenir la mémoire des juifs morts sur le sol polonais », soutient Zbigniew Nosowski, coprésident du Conseil polonais des chrétiens et des juifs et membre du conseil d’administration de la Fondation Auschwitz-Birkenau.

Ces efforts portent non seulement sur les vestiges des camps nazis, mais aussi sur des épisodes mettant en cause des Polonais. Le président Andrzej Duda a ainsi été le premier à participer aux commémorations du pogrom de Kielce qui a eu lieu en juillet 1946, soit un an et demi après le départ des nazis.

« Démons nationalistes »

Toutefois, plutôt que de demander pardon, il avait alors affirmé que « ceux qui avaient perpétré ce crime se sont, par cet acte, exclus de notre société ». La formule tranche avec celle de son prédécesseur, Aleksander Kwasniewski (1995-2005). En 2001, à l’occasion du soixantième anniversaire du massacre de Jedwabne, en 1941, il avait déclaré « s’excuser en son nom propre et au nom des Polonais (…) qui pensent que l’on ne peut pas être fier de la grandeur de l’histoire polonaise sans ressentir en même temps de la douleur et de la honte en raison du mal que les Polonais ont fait à d’autres ».

Cette dialectique de la fierté et de la honte est au fondement de la politique historique du PiS qui vise, selon Zbigniew Nosowski, à « remplacer la “pédagogie de la honte” par la fierté nationale. La Pologne victime éternelle ne peut pas être dans le même temps coupable et il est donc défendu d’en dire du mal ».

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Mais la rhétorique nationaliste du PiS lui attire des sympathisants qui ne font pas dans la nuance et accusent par exemple l’opposition de « gauche » de bénéficier du soutien de personnalités d’origine juive comme le milliardaire George Soros et l’intellectuel Adam Michnik, directeur du journal d’opposition Gazeta Wyborcza.

« Le gouvernement est conscient du danger que représentent ces démons nationalistes, mais le PiS a organisé la scène politique polonaise pour ne laisser aucun espace à droite. Il doit donc tenir l’antisémitisme à l’écart sans perdre les groupes qui jouent sur ce sentiment », explique Zbigniew Nosowski. Au risque de se faire déborder.

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